Analyse
Sous antagonistes de la vitamine K dans la fibrillation auriculaire, maintenir l’INR entre 2 et 3
Dans Minerva, nous avons discuté d’une synthèse méthodique sur les avantages et les inconvénients du recours à des services d’anticoagulation spécialisés, par comparaison avec la prise en charge classique, pour le suivi du traitement à long terme par warfarine chez des adultes atteints de fibrillation auriculaire. Le TTR (Time in Therapeutic Range), à savoir le pourcentage de temps durant lequel l’INR est compris dans l’intervalle thérapeutique de 2,0 à 3,0 avait été choisi comme critère de jugement (1,2). Dans les comparaisons entre l’effet des anticoagulants oraux directs (AOD) et celui des antagonistes de la vitamine K, l’INR avait également une valeur cible située entre 2 et 3 (3). Ces choix s’appuient sur le fait qu’un INR < 2 augmente le risque d’AVC ischémique sans réduire le risque d’hémorragie intracrânienne, qu’un INR > 3 ne réduit pas davantage le risque d’AVC ischémique et qu’à partir d’un INR > 3,5 on observe une forte augmentation du risque d’hémorragie intracrânienne (4). Cependant, des études observationnelles menées en Asie de l’Est suggèrent qu’un INR plus faible pourrait être préférable du fait d’une réduction des hémorragies majeures sans perte de protection antithrombotique (5,6).
Une synthèse méthodique avec méta-analyse a examiné l’effet d’un INR faible et celui d’un INR standard sur le risque de thromboembolie, d’hémorragie majeure et de mortalité (7). Cinq auteurs, indépendamment les uns des autres, ont effectué une sélection tant dans des banques de données occidentales (le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials, CENTRAL), Medline, Embase, jusque juillet 2019) que dans des banques de données chinoises (China National Knowledge Infrastructure (CNKI), Wanfang Data, SinoMed, jusqu’en septembre 2019). Seules ont été incluses des études randomisées contrôlées qui examinaient l’effet d’au moins deux valeurs cibles différentes de l’INR sur les événements thromboemboliques et/ou les saignements et/ou la mortalité chez des patients atteints de fibrillation auriculaire. L’extraction des données et l’évaluation de la qualité méthodologique au moyen de l’outil de la Collaboration Cochrane ont également été effectuées par deux auteurs indépendants. Comme on s’attendait à une importante hétérogénéité entre les études, les résultats ont été regroupés à l’aide du modèle à effets aléatoires. Les résultats de l’étude ont été regroupés de deux manières : d’une part, une valeur cible d’INR faible comparée à une valeur cible standard (telle que définie dans les études randomisées contrôlées) et, d’autre part, une valeur cible d’INR comprise entre 1,5 et 2 comparée à une valeur cible comprise entre 2 et 3. Dans une analyse en sous-groupes, les études ont été réparties en fonction de la région (d’un côté les études occidentales et de l’autre les études menées en Asie de l’Est). De plus, quatre analyses de sensibilité ont encore été réalisées : uniquement des études avec des personnes âgées ; avec des patients présentant un risque de thromboembolie intermédiaire à élevé ; avec uniquement des patients atteints de fibrillation auriculaire non valvulaire ; sans traitement antiplaquettaire supplémentaire. Finalement, 79 études randomisées contrôlées totalisant 12928 patients ont été sélectionnées. Deux études ont été menées en Italie, une au Japon, une aux Pays-Bas, une en Espagne et une aux États-Unis. Les 73 autres études ont été menées en Chine. Toutes les études présentaient un risque élevé de biais en raison de leur conception en ouvert.
Par rapport à une valeur cible d’INR standard, une valeur cible plus basse était associée à une augmentation absolue de 2,7% des événements thromboemboliques (faits probants de qualité modérée) et à une diminution absolue de 2,2% des hémorragies majeures (faits probants de qualité modérée), sans différence de mortalité (faits probants de faible qualité). Pour l’analyse comparant un INR entre 1,5 et 2 et un INR entre 2 et 3, on a également observé, avec la valeur d’INR plus basse, une augmentation absolue de 2,2% des événements thromboemboliques (faits probants de qualité modérée) et une diminution absolue de 2,8% des hémorragies majeures (faits probants de qualité modérée), sans différence de mortalité (faits probants de faible qualité) (voir tableau). Ces résultats ont été confirmés par quatre analyses de sensibilité. L’âge n’avait donc pas d’influence sur les résultats. Cependant, l’analyse des sous-groupes a montré que l’augmentation relative des événements thromboemboliques et la diminution des hémorragies majeures avec une valeur cible d’INR plus basse que la valeur cible standard et avec une valeur cible d’INR située entre 1,5 et 2 plutôt qu’entre 2 et 3 n’était statistiquement significative qu’en Asie de l’Est et pas dans les études occidentales. Ce dernier résultat peut être dû à un manque de puissance, car seules 5 études occidentales (n = 1606) ont été incluses. En outre, l’étude la plus vaste combinait une valeur cible de l’INR plus basse et l’ajout d’un antiplaquettaire (8). Les différences régionales dans la qualité du contrôle de l’INR peuvent également jouer un rôle, mais il y avait trop peu de données pour le prouver. Il existe cependant une raison pouvant expliquer les résultats de l’analyse de sous-groupe, à savoir la différence de pharmacogénétique entre les populations occidentales et celles d’Asie de l’Est pour la dégradation de la warfarine (9). Un risque plus élevé d’hémorragie intracrânienne a également été observé chez les Américains d’origine asiatique par rapport aux Américains blancs en visant un TTR médian similaire (10).
Tableau. Risques absolus et relatifs de thromboembolie, d’hémorragie majeure et de décès pour une valeur cible d’INR plus basse par rapport à la valeur cible standard et pour un INR compris entre 1,5 et 2 par rapport à un INR compris entre 2,0 et 3,0.
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Valeur cible d’INR spécifique à l’étude plus basse versus standard |
INR 1,5–2,0 versus INR 2,0–3,0 |
Thromboembolie |
taille de l’échantillon |
76 RCT, n = 12577 |
51 RCT, n = 6352 |
nombre d’événements : n/N (%) |
451/6386 (7,1%) vs 275/6191 (4,4%) |
198/3108 (6,4%) vs 148/3244 (4,6%) |
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risque relatif (RR) |
1,50 (1,29 - 1,74), p < 0,00001 |
1,30 (1,06 - 1,60), |
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hétérogénéité |
I² = 0% |
I² = 0% |
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Hémorragie majeure |
taille de l’échantillon |
61 RCT, n = 10815 |
45 RCT, n = 5784 |
nombre d’événements : n/N (%) |
118/5 452 (2,2%) vs 237/5 363 (4,4%) |
49/2 809 (1,7%) 133/2 975 (4,5%) |
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risque relatif (RR) |
0,54 (0,44 - 0,67), p < 0,00001 |
0,47 (0,34 - 0,64), p < 0,00001 |
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hétérogénéité |
I² = 0% |
I² = 0% |
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Mortalité |
taille de l’échantillon |
32 RCT, n = 7327 |
17 RCT, n = 2564 |
nombre d’événements : n/N (%) |
181/3795 (4,8%) versus 183/3532 (5,2%) |
109/1279 (8,5%) vs versus 101/1285 (7,9%) |
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risque relatif (RR) |
1,00 (0,85 - 1,19), p = 0,99 |
1,06 (0,87 - 1,30), p = 0,54 |
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hétérogénéité |
I² = 0% |
I² = 0% |
Que disent les guides de pratique clinique ?
Chez les patients atteints de fibrillation auriculaire, le risque de thromboembolie est estimé à l’aide du score CHA2DS2-VASc (11,12). Une anticoagulation doit être envisagée en cas de score CHA2DS2-VASc = 1 chez l’homme ou = 2 chez la femme, en tenant compte de l’avantage clinique net ainsi que des préférences du patient (12-14). Le traitement anticoagulant est fortement recommandé en cas de score CHA2DS2-VASc ≥ 2 chez l’homme ou ≥ 3 chez la femme, indépendamment du risque hémorragique (12). Les anticoagulants oraux directs (AOD) sont recommandés comme traitement de premier choix, sauf chez les patients qui ont une prothèse valvulaire mécanique et chez ceux qui présentent une sténose valvulaire mitrale modérée à sévère (12). Lors du choix d’un antagoniste de la vitamine K, il faut viser un INR compris entre 2 et 3 avec un TTR > 70% (12).
Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, qui est de bonne qualité méthodologique, mais incluant des études randomisées contrôlées, principalement d’Asie de l’Est, avec des risques élevés de biais, montre une diminution statistiquement significative des hémorragies majeures, mais aussi une augmentation au moins aussi importante, statistiquement significative, des événements thromboemboliques avec une valeur cible d’INR plus basse que la valeur cible standard. Il reste donc recommandé que l’INR soit maintenu entre 2 et 3.
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- Orale anticoagulantia. Ebpracticenet 1/02/2010. (Ce guide de pratique clinique belge est uniquement disponible en néerlandais.)
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Auteurs
Van der Linden L.
ziekenhuisapotheek, UZ Leuven; Departement van Farmaceutische en Farmacologische Wetenschappen, KU Leuven
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