Analyse


Quel est le vécu du sentiment de regret chez les médecins après une erreur diagnostique (réelle ou ressentie comme telle) ?


01 06 2021

Professions de santé

Médecin généraliste
Analyse de
Müller BS, Donner-Banzhoff N, Beyer M, et al. Regret among primary care physicians: a survey of diagnostic decisions. BMC Fam Pract 2020;21:53. DOI: 10.1186/s12875-020-01125-w


Conclusion
Cette étude qualitative dont certains choix méthodologiques posent question, suggère que le sentiment de regret peut être présent chez les médecins lors d’erreurs réelles mais aussi dans des situations qui relèvent plus d’un aléa que d’une erreur. Plus ces conséquences sont graves, plus la réaction du patient, de l’entourage et/ou des prestataires de soins est négative, plus le sentiment de regret est important. Par contre, l’implication d’autres prestataires dans la prise en charge réduit l’importance du sentiment de regret.



En 2015, dans un éditorial de Minerva faisant suite à un article du NEJM, nous avions déjà discuté de la difficulté des médecins à aborder la question de l’erreur médicale et de sa gestion (1,2) . Si toutes les erreurs n’entraînent pas un dommage, leurs conséquences peuvent parfois être lourdes pour les patients et pour le médecin, qui, au-delà du risque judiciaire, peut perdre confiance en ses capacités, expérimenter un burn-out, voire arrêter sa pratique (3,4) . Des données sur le vécu des erreurs et les pistes pour aider à leur gestion sont donc encore nécessaires.

 

L’étude qualitative analysée ici (5) , menée en Allemagne, vise à explorer le sentiment de regret vécu par les médecins lors d’erreurs diagnostiques, au moyen d’un questionnaire. Le temps estimé pour remplir les 17 questions était de 10 à 15 minutes. Après un pré-test lors de rencontres en face à face, le formulaire a été diffusé en ligne auprès de médecins via diverses institutions, des départements universitaires de médecine générale, des newsletters, des journaux ou lors de réunions locales.

Les participants étaient invités à rapporter un cas vécu pour lequel le diagnostic final était différent du diagnostic initial qu’ils avaient eux-mêmes posé, avec à la clé au moins un retard de traitement. Les situations datant de plus de 5 ans, et/ou n’ayant eu aucune conséquence et/ou les diagnostics suboptimaux mais non erronés étaient exclus. L’impact de l’erreur sur le patient, la famille et sur les autres prestataires, le diagnostic initial et final, ainsi que le déroulement des faits ont été collectés. Les réponses ont fait l’objet d’une analyse thématique.

32 questionnaires ont été recueillis (taux de réponse < 1%, ce qui est très faible). 3 ont été exclus (2 incomplets et 1 doublon). 20 provenaient de médecins généralistes, 2 d’assistants en médecine générale, 2 de médecins internistes. Pour 5 questionnaires, la qualification de l’auteur n’a pas pu être identifiée. 19 hommes et 10 femmes ont répondu à l’enquête. Chacun d’eux a rapporté le cas d’un seul patient (14 femmes et 15 hommes, âgés de 1,5 à 80 ans). Les situations vécues remontaient pour la plupart à plus d’1 an. Dans 26 situations, le diagnostic final était plus sévère que le diagnostic initialement posé. Dans 2 autres, il était aussi grave et dans 1 cas, il était moins grave. L’erreur commise n’a occasionné des dommages au patient que dans 1/3 des cas (dont 3 décès).

Les auteurs estiment que, dans 10 situations, le diagnostic aurait pu être posé plus tôt, tandis que dans les 19 autres, un diagnostic plus précoce n’était pas possible. Malgré cela, 27 médecins ont exprimé d’importants regrets concernant leur prise en charge. Il est à noter que les auteurs n’ont eu accès qu’à la narration écrite du cas, qui a pu être influencée par les biais de mémoire et de désirabilité sociale ; un tel jugement est donc à prendre avec précaution.

Les auteurs concluent que les erreurs diagnostiques entraînent des regrets pouvant être dévastateurs pour le médecin (phénomène de 2ème victime). Ils avancent que l’expression des regrets est indépendante de la présence de dommages pour le patient et le fait que le médecin ait eu les moyens ou non d’agir. Plus les conséquences sont graves, plus les regrets sont importants. La réaction de la famille, de l’entourage, conditionne l’intensité des émotions négatives. Celles-ci sont tempérées par le nombre de médecins impliqués dans la prise en charge ; plus il est élevé, moins les regrets sont importants.

Les auteurs suggèrent dès lors de favoriser les pratiques de groupe et de développer au sein de ces pratiques des stratégies de gestion des risques à partir des incidents vécus, tout en évitant l’écueil de la médecine défensive (qui consiste à demander des examens techniques, non pas dans l'intérêt du patient, mais pour réduire le risque d'une demande de dommages et intérêts pour le médecin).

Certains choix méthodologiques de cette étude posent question. Tout d’abord, nous avons mentionné le faible taux de réponse, pour lequel nous n’avons pas d’explication claire : est-ce parce que le sentiment de regret est finalement peu répandu, ou qu’il reste tabou ? Est-ce lié plutôt à la stratégie de recrutement ? Ensuite, le choix d’utiliser des questionnaires auto-administrés plutôt que des entretiens pose question. Des interviews auraient peut-être permis de mieux appréhender le sentiment de regret, notamment le terrain psychologique sur lequel il se développe et le contexte dans lequel le médecin évoluait au moment de l’incident. Enfin, l’utilisation de tels questionnaires a pu aussi entraîner un biais de sélection, les médecins se sentant plus concernés par la problématique pouvant être plus enclins à répondre.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Pour réduire les conséquences psychologiques néfastes des erreurs médicales ou des situations perçues comme telles, deux volets peuvent être envisagés. D’une part, la prévention des risques elle-même : un programme de l’OMS a proposé à cette fin un cadre conceptuel de prévention et de gestion des risques associés aux soins (6) . D’autre part, la gestion du vécu négatif des soignants, en abandonnant la culture de la toute-puissance en médecine, en brisant le tabou autour des erreurs, et en favorisant le partage d’expérience entre pairs (pratiques de groupe, groupes Balint, Glems) (4,7,8) .

 

Conclusion

Cette étude qualitative dont certains choix méthodologiques posent question, suggère que le sentiment de regret peut être présent chez les médecins lors d’erreurs réelles mais aussi dans des situations qui relèvent plus d’un aléa que d’une erreur. Plus ces conséquences sont graves, plus la réaction du patient, de l’entourage et/ou des prestataires de soins est négative, plus le sentiment de regret est important. Par contre, l’implication d’autres prestataires dans la prise en charge réduit l’importance du sentiment de regret.

 

 

Références 

  1. Henrard G. L’erreur en médecine : une opportunité d’amélioration des pratiques, un défi pour l’EBM. [Editorial] MinervaF 2014;13(9):105.
  2. Gallagher TH, Mello MM, Levinson W, et al. Talking with patients about other clinicians’ errors. N Engl J Med 2013;369:1752-7. DOI: 10.1056/NEJMsb1303119
  3. Rodziewicz TL, Houseman B, Hipskind JE. Medical error prevention. In: StatPearls [Internet]. StatPearls Publishing, 2021. Available from: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK499956/
  4. Jonckheer P, Stordeur S, Lebeer G, et al. Le Burnout des médecins généralistes: prévention et prise en charge. Bruxelles: Centre federal d’expertise des soins de santé (KCE); 2011. KCE Reports 165B. Available from: https://kce.fgov.be/sites/default/files/atoms/files/kce_165b_burnout_des_medecins%20generalistes.pdf
  5. Müller BS, Donner-Banzhoff N, Beyer M, et al. Regret among primary care physicians: a survey of diagnostic decisions. BMC Fam Pract 2020;21:53. DOI: 10.1186/s12875-020-01125-w
  6. Conceptual framework for the international classification for patient safety version 1.1: final technical report. WHO, 2009. Available from: https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/70882/WHO_IER_PSP_2010.2_eng.pdf?sequence=1
  7. Kozlowski D, Hutchinson M, Hurley J, et al. The role of emotion in clinical decision making: an integrative literature review. BMC Med Educ 2017;17:255. DOI: 10.1186/s12909-017-1089-7
  8. Alam R, Cheraghi-Sohi S, Panagioti M, et al. Managing diagnostic uncertainty in primary care: a systematic critical review. BMC Fam Pract 2017;18:79. DOI: 10.1186/s12875-017-0650-0

 

 

 

 


Auteurs

Joly L.
médecin généraliste, ULiège
COI :

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