Analyse


LDL-cholestérol élevé et risque cardiovasculaire chez les personnes âgées


15 06 2021

Professions de santé

Médecin généraliste
Analyse de
Mortensen MB, Nordestgaard BG. Elevated LDL cholesterol and increased risk of myocardial infarction and atherosclerotic cardiovascular disease in individuals aged 70-100 years: a contemporary primary prevention cohort. Lancet 2020;396:1644-52. DOI: 10.1016/S0140-6736(20)32233-9


Conclusion
Cette étude de cohorte danoise, contemporaine, de prévention primaire, montre que les personnes âgées de 70 à 100 ans avec un taux élevé de cholestérol LDL présentent le risque absolu le plus élevé d'infarctus du myocarde et de maladie cardiovasculaire athéroscléreuse et le plus faible NNT estimé en 5 ans pour prévenir un événement.



De nombreuses discussions sont liées au taux de LDL-cholestérol sur le risque cardiovasculaire. Des études épidémiologiques tentant de démontrer une association entre les LDL-c et les événements cardiovasculaires chez les patients âgés montrent des résultats contradictoires (1). Une synthèse méthodique (2) analysée dans Minerva (3) en 2017 n’établit pas de lien entre mortalité globale ou cardiovasculaire et le taux de LDL-C chez les personnes de plus de 60 ans. Une étude de cohorte prospective (4) analysée dans Minerva en 2021 (5) dont l’objectif était d’évaluer l'association globale non ajustée et ajustée du risque entre les événements CVD et le LDL-C chez les adultes âgés ≥ 75 ans sans maladie cardiovasculaire athéroscléreuse (MCVA) connue et d’évaluer l'impact de l'hyperlipidémie sur le risque de nouvelle MCVA chez les personnes âgées ayant des profils de facteurs de risque variables a montré qu’un taux de LDL-cholestérol élevé n’est pas associé à une morbimortalité cardiovasculaire plus élevée, même après combinaison de plusieurs facteurs de risque, tels l’HTA, le tabagisme ou le diabète.

L’importante morbimortalité des maladies cardiovasculaires, leur incidence importante chez les personnes âgées et l’augmentation de l’espérance de vie font que les facteurs de risques et la physiopathologie de ces maladies doivent être connus au plus vite afin d’adapter de manière adéquate les préventions primaire et secondaire.

 

Une nouvelle étude a été publiée en 2020 pour tenter d’apporter des réponses claires (6). Les auteurs rappellent que les résultats d'études antérieures suggèrent qu'un taux de cholestérol LDL élevé n'est pas associé à un risque accru d'infarctus du myocarde et de maladie cardiovasculaire athéroscléreuse chez les patients de plus de 70 ans (2,3). Ils ont voulu tester cette hypothèse dans une population contemporaine d'individus âgés de 70 à 100 ans.

Cette étude de cohorte portant sur la Copenhagen General Population Study (CGPS) est une vaste étude de cohorte contemporaine de la population générale danoise. Les patients inclus étaient âgés de 20 à 100 ans, n'avaient pas de maladie cardiovasculaire athéroscléreuse ou de diabète au départ et ne prenaient pas de statines. Des tests de laboratoire standard ont été utilisés pour mesurer le cholestérol LDL. Les modèles à risque proportionnel de Cox ont évalué la relation entre un taux de cholestérol LDL élevé et le risque d'infarctus du myocarde et de maladie cardiovasculaire athéroscléreuse. Les rapports de risque (HR) ont d'abord été ajustés en fonction de l'âge (en continu) et du sexe, puis dans des analyses multivariées en prenant en compte le statut tabagique, le cholestérol HDL (en continu), l'indice de masse corporelle (en continu), l'hypertension artérielle et le taux de filtration glomérulaire estimé (en continu). Ces covariables étaient complètes à 99,6% et les données manquantes ont été insérées avec une imputation multiple. Les rapports de risque (HR) et les taux d'événements absolus pour l'infarctus du myocarde et les maladies cardiovasculaires athéroscléreuses ont été calculés, et les auteurs ont estimé le nombre nécessaire à traiter (NNT) en 5 ans pour prévenir un événement.

 

Entre novembre 2003 et février 2015, 91135 patients ont été inclus et suivis pendant une durée moyenne de 7,7 ans (DS de 3,2 ans). 57% étaient des femmes (répartition stable entre les différents groupes) ; 17% étaient fumeurs (assez stable entre les différents groupes analysés) et 51% présentaient une HTA (83% chez les ≥ 80 ans et 31% chez les 21 – 49 ans). 1515 personnes ont eu un premier infarctus du myocarde et 3389 ont eu une maladie cardiovasculaire athéroscléreuse. Le risque d'infarctus du myocarde par augmentation de 1,0 mmol/L du cholestérol LDL augmente pour la population globale (HR de 1,34 avec IC à 95 % de 1,27 à 1,41). Ce risque est amplifié pour tous les groupes d'âge, en particulier ceux âgés de 70 à 100 ans. Le risque de maladie cardiovasculaire athéroscléreuse (infarctus myocardique, maladie coronarienne fatale ou AVC ischémique) augmente également pour chaque augmentation de 1,0 mmol/L du cholestérol LDL global (HR de 1,16 avec IC à 95 % de 1,12 à 1,21). Le risque est également amplifié dans tous les groupes d'âge et en particulier ceux âgés de 70 à 100 ans. Le NNT estimé à 5 ans pour une statine d’intensité modérée est le plus faible pour les personnes âgées de 70 à 100 ans, le NNT augmentant avec l'âge.

Pour expliquer ces résultats contradictoires par rapport à d’autres études publiées (1,2,7,8) les auteurs évoquent le fait que les études précédentes se basent sur des cohortes remontant à la deuxième partie du 20ième siècle et que, depuis, non seulement l’espérance de vie a augmenté mais également que la morbidité a diminué chez les personnes âgées. Quoi qu’il en soit, ces nouvelles données apportées par CGPS invitent à mettre en place de nouvelles études interventionnelles, pragmatiques, avant de pouvoir émettre de nouvelles recommandations pour la pratique, comme nous l’avions déjà recommandé en 2017 (9) suite à l’analyse de la revue systématique de Silverman (10).

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Dans un texte de consensus regroupant une revue de la littérature et des avis d’experts datant de 2014 (11), l’INAMI ne recommande pas l’utilisation des statines en prévention primaire chez les personnes de plus de 80 ans et chez les patients de 65 à 80 ans l’utilisation des statines, également en prévention primaire, devrait se faire au cas par cas en tenant compte de la balance bénéfice-risque. Ebpracticenet rappelle que le dépistage du risque cardiovasculaire est recommandé pour tous les hommes âgés de 40 ans et plus et les femmes âgées de 50 ans et plus qui consultent un médecin généraliste. Les personnes de plus de 85 ans sont considérées comme ayant un risque fortement accru de maladie cardiovasculaire (12).

 

Conclusion

Cette étude de cohorte danoise, contemporaine, de prévention primaire, montre que les personnes âgées de 70 à 100 ans avec un taux élevé de cholestérol LDL présentent le risque absolu le plus élevé d'infarctus du myocarde et de maladie cardiovasculaire athéroscléreuse et le plus faible NNT estimé en 5 ans pour prévenir un événement.

 

Références 

  1. Lewington S, Whitlock G, Clarke R, et al; Prospective Studies Collaboration. Blood cholesterol and vascular mortality by age, sex, and blood pressure: a meta-analysis of individual data from 61 prospective studies with 55,000 vascular deaths. Lancet 2007;370:1829-39. DOI: 10.1016/S0140-6736(07)61778-4
  2. Ravnskov U, Diamond DM, Hama R, et al. Lack of an association or an inverse association between low-density-lipoprotein cholesterol and mortality in the elderly: a systematic review. BMJ Open 2016;6:e010401. DOI: 10.1136/bmjopen-2015-010401
  3. Sculier JP. Un taux accru de cholestérol transporté par les LDL n’est pas associé à une mortalité globale et cardiovasculaire accrue chez le sujet âgé de 60 ans ou plus. Minerva bref 15/04/2017.
  4. Nanna MG, Navar AM, Wojdyla D, Peterson ED. The association between low-density lipoprotein cholesterol and incident atherosclerotic cardiovascular disease in older adults: results from the national institutes of health pooled cohorts. J Am Geriatr Soc 2019;67:2560-7. DOI: 10.1111/jgs.16123
  5. Korpak K. Y a-t-il une association entre les LDL-cholestérol et l’incidence des maladies cardiovasculaires chez les sujets de 75 ans et plus ? Minerva bref 15/04/2021.
  6. Mortensen MB, Nordestgaard BG. Elevated LDL cholesterol and increased risk of myocardial infarction and atherosclerotic cardiovascular disease in individuals aged 70-100 years: a contemporary primary prevention cohort. Lancet 2020;396:1644-52. DOI: 10.1016/S0140-6736(20)32233-9
  7. Anum EA, Adera T. Hypercholesterolemia and coronary heart disease in the elderly: a meta¬analysis. Ann Epidemiol 2004;14:705-21. DOI: 10.1016/j.annepidem.2003.10.009
  8. Iversen A, Jensen JS, Scharling H, Schnohr P. Hypercholesterolaemia and risk of coronary heart disease in the elderly: impact of age: the Copenhagen City Heart Study. Eur J Intern Med 2009;20: 139-44. DOI: 10.1016/j.ejim.2008.06.003
  9. Sculier JP. Impact de la diminution du taux en LDL-C sur les complications vasculaires majeurs. Minerva bref 15/09/2017.
  10. Silverman MG, Ference BA, Im K, Wiviott SD, et al. Association between lowering LDL-C and cardiovascular risk reduction among different therapeutic interventions: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2016;316:1289-97. DOI: 10.1001/jama.2016.13985
  11. INAMI. L'usage rationnel des hypolipidémiants. Réunion de consensus du 22 mai 2014. Conclusions – Rapport du jury – Texte long.
  12. Évaluation du risque cardiovasculaire en première ligne. Ebpracticenet 2007. Dernière mise à jour : 12/07/2017.

 

 

 


Auteurs

Dequiedt C.
médecin généraliste hospitalier, Service de gériatrie, CHBA
COI :

Coenen A.
Service de Gériatrie, CHBA
COI :

Glossaire

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Commentaires

Benoit Boland, gériatre 25/06/2021 18:20

Cet article, bien que publié dans le Lancet, présente des faiblesses et des approximations. La variable d’exposition (LDL-C) a été calculée selon la formule de Friedewald (càd pas mesurée) sur un prélèvement pas à jeun, ce qui est problématique car le calcul du LDL-C n’est valide que si les triglycérides sont bas, donc si la personne est à jeun depuis au moins 12 h. Le primary outcome (incidence d’infarctus du myocarde, fatal ou non fatal) a montré une incidence fort basse : 2,2% à 10 ans, tous âges confondus. Contrairement à ce que dit l’abstract, le HR associé à la majoration d’1 mmol de LDL-C n’a pas été « plus amplifié chez les 70-100 ans ». En effet, le HR est à environ 1,28 pour toutes les tranches d’âge > 50 ans (Figure 1 de l’article). Notons que le risque absolu chez les 80-100 ans a été modéré : < 1% par an (i.e. 0,85%/an). Après 80 ans, en prévention primaire, une personne a donc 99,15% de chance de ne pas faire d’infarctus dans l’année. Bien évidemment, en termes absolus, il y a eu plus d’outcomes chez les plus âgés. Cela dit, autant chez les 80-100 ans avec LDL-C bas (2,0-2,5 mmol ; 80-100 mg/dl) que chez les 70-79 ans avec LDL-C très haut (> 5,0 mmol ; > 200 mg/dl).

Benoit Boland, gériatre 25/06/2021 18:21

(suite) Les auteurs de cette étude de cohorte (sans statine) supposent un bénéfice en termes de réduction de l’outcome (RRR d’infarctus) en imaginant que ces personnes ont pris une statine au long cours qui a diminué de 30% le risque d’infarctus (RRR 30%). Or, cet effet n’a pas été étudié au grand âge (≥ 80 ans). Deux études randomisées comparant statine et placebo en prévention (primaire) d’un premier infarctus ou AVC ont inclus des personnes ≥ 70 ans. La réduction de cet événement a été non-significative dans JUPITER et significative dans HOPE-3, avec pour cette dernière un NNT à 400 personnes par an (RAR 0,25% par an). A l’échelle de la population, une statine en prévention primaire après 80 ans n’est donc pas cost-effective. A l’échelle individuelle, cette approche n’est à envisager que si la personne est en bonne santé (espérance de vie > 5 ans) et désireuse de minimiser son faible risque absolu de présenter un infarctus. Toute prévention reste une question de niveau de priorité accordé à un risque perçu.