Analyse
Compétences pour la promotion de la collaboration entre médecins de première et de deuxième ligne : une revue intégrative
27 07 2021
Professions de santé
Diététicien, Ergothérapeute, Infirmier, Kinésithérapeute, Logopède, Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue, Sage-femme
Il faut remonter à 2010 pour trouver dans Minerva un commentaire sur la collaboration entre médecins généralistes et spécialistes (1). Nous appelions à davantage de dialogue entre partenaires censés coopérer. Nous indiquions aussi qu’il était préférable que ce soit en collaboration avec le patient. En 2017 a été discutée une autre étude, qui portait sur le pharmacien clinicien en tant que partenaire de soins (2). Cette étude confirmait la possibilité d’améliorer la qualité de l’utilisation des médicaments dans les hôpitaux grâce à une meilleure collaboration entre l’hôpital et la première ligne. Cette collaboration peut en effet conduire à un comportement de prescription plus adéquat, à un transfert de soins plus sûr et, dans une certaine mesure, à un bénéfice pharmaco-économique pour la société. La communication interprofessionnelle, l’échange sécurisé d’informations pertinentes entre différentes organisations et différents partenaires du secteur de la santé restent des conditions importantes pour fournir des soins de haute qualité et sur mesure. Malgré l’attention croissante accordée à la formation des compétences interprofessionnelles, organiser et suivre de manière optimale la collaboration entre la première et la deuxième ligne reste un défi. Il s’agit toutefois d’un domaine de recherche important, car nombreux patients sont atteints de plusieurs maladies chroniques simultanément, ce qui entraîne de nombreuses interactions entre la première et la deuxième ligne. En outre, les problèmes de communication et de transfert d’informations conduisent souvent à des erreurs médicales (3). Pour assurer des soins continus et de haute qualité centrés sur le patient, ces systèmes de santé doivent être considérés dans leur contexte, plutôt que pour une prise en charge fragmentée selon les « cloisonnements entre les professions » (4). Pour pouvoir traiter avec succès les patients atteints de maladies chroniques, les professionnels de santé de première ligne devraient avoir facilement accès aux connaissances spécialisées en soins de santé de deuxième ligne. D’autre part, les soins de santé de deuxième ligne sont de plus en plus confrontés à une augmentation des hospitalisations de patients atteints de plusieurs maladies simultanément. Pour prendre de bonnes décisions dans le domaine du diagnostic et du traitement, les professionnels de santé de la deuxième ligne doivent disposer d’informations sur le patient qui leur sont communiquées par la première ligne.
Une récente synthèse méthodique intégrative (5) a tenté de répondre à la question de savoir quelles compétences spécifiques étaient nécessaires aux médecins généralistes et aux médecins spécialistes de la deuxième ligne pour maintenir et favoriser leur collaboration. « Intégratif » signifie que les auteurs ont recherché tant des études quantitatives que des études qualitatives, ainsi que d’autres documents publiés pour retrouver un maximum d’informations pertinentes sur cette question. La réalisation de l’étude de la littérature est décrite en détail et avec transparence. Les auteurs ont effectué une recherche dans quatre bases de données (MEDLINE, CINAHL, Psychinfo en ERIC) de 1960 à 2019, en plus d’une recherche manuelle dans Journal of Interprofessional Care de 1992 à 2019. Les chercheurs ont inclus des articles examinant la collaboration interprofessionnelle entre les médecins de la première ligne et ceux de la deuxième ligne, décrivant les compétences (connaissances, aptitudes, valeurs et attitudes) associées à cette collaboration. Pour évaluer dans quelle mesure un article décrivait les compétences de collaboration, les auteurs de la revue ont formulé pour eux-mêmes un certain nombre de questions (« Est-ce quelque chose qu’un médecin devrait savoir, ou qu’il devrait faire ? » et - si ce n’est pas aussi clairement formulé - « Peut-on raisonnablement s’attendre à ce qu’un médecin ait une influence sur cette condition pour la collaboration, sur ce facilitateur de la collaboration ou sur cet obstacle à la collaboration ? »)
L’étude de la littérature a été effectuée par une équipe de recherche pluridisciplinaire (médecins généralistes, spécialistes (en formation), experts pédagogiques). Deux chercheurs ont évalué de manière indépendante la qualité méthodologique des articles à partir de six questions évaluant la composition de l’échantillon, la collecte et l’analyse des données, la validité externe, les aspects éthiques et la transparence (6).
Après une recherche systématique, 44 publications ont été incluses. Il s’agissait principalement d’études qualitatives, parfois combinées à des méthodes quantitatives telles que des enquêtes et des questionnaires. Quelques revues et des articles d’opinion ont également été inclus. Ces derniers ne pouvaient évidemment pas faire l’objet d’une évaluation de méthodologie. La qualité méthodologique des autres publications incluses était moyenne à médiocre. En raison du peu d’articles trouvés, il a été décidé de ne pas prendre la qualité méthodologique comme critère d’exclusion.
Aucune des études incluses ne décrit explicitement les compétences pour la collaboration interprofessionnelle. Par conséquent, les chercheurs ont dû eux-mêmes déduire les compétences à partir de ce que les études décrivaient comme expériences, motivations, barrières et facteurs facilitants ou comme des conditions nécessaires à une bonne coopération entre médecins généralistes et spécialistes. (Par exemple : les médecins généralistes se sentent frustrés lorsqu’un spécialiste adresse directement leurs patients à un autre spécialiste ; pour éviter cela, il peut être important que « le spécialiste discute préalablement avec le médecin généraliste d’une réorientation du patient ». Cette action est ensuite codée.) Après saturation, on est arrivé à une liste de codes qui ont pu être rassemblés en six thèmes sur les compétences en matière de collaboration.
Les six grands thèmes étaient :
- « soins centrés sur le patient : une préoccupation commune » (capacité de travailler ensemble autour des mêmes objectifs axés sur le patient,
- « attitude collaborative et respect » (capacité et volonté de travailler ensemble dans le respect mutuel),
- « rôles et responsabilités » (les différentes tâches, fonctions et responsabilités du médecin généraliste et du spécialiste doivent être claires, connues et appliquées par les deux intervenants),
- « connaissance et compréhension mutuelles » (connaissance du contexte de travail de l’autre et connaissance des possibilités et des limites de l’autre),
- « communication » (savoir quoi communiquer, et quand et comment communiquer, à la fois oralement et par écrit dans les lettres d’orientation des patients, les rapports de consultation et les lettres de sortie, en vue de la continuité des soins prodigués aux patients) et
- « leadership » (courage pour prendre l’initiative de convaincre les différents acteurs de travailler ensemble en équipe et d’aider à développer, mettre en œuvre et coordonner des systèmes de collaboration qui fonctionnent bien).
Des sous-thèmes ont été liés à ces thèmes et peuvent être utilisés comme une sorte de liste de contrôle pour déterminer à quel thème correspondent quels indicateurs comportementaux (connaissances, compétences, attitudes).
En ce qui concerne les compétences, toutes les publications importantes indiquent que le contexte de première ou deuxième ligne ne joue pas de rôle en soi (7). La question de recherche porte ici sur une collaboration entre médecins. Peut-on considérer qu’il s’agit d’une collaboration interprofessionnelle ? Dans l’ensemble, cependant, les six thèmes correspondent très clairement aux compétences de base de l’Interprofessional Education Collaborative Expert Panel (IPEC) (8), et la question se pose donc de savoir si une validation de l’IPEC pour la collaboration entre médecins de première et de deuxième ligne était vraiment nécessaire. D’autres publications ont montré que le concept de collaboration interprofessionnelle n’était pas suffisamment compris dans la pratique (9-11). Il serait donc certainement intéressant, en plus de définir les indicateurs comportementaux souhaités, de poursuivre la recherche pour connaître la raison de l’échec de la collaboration interprofessionnelle dans la pratique. S’explique-t-il par un développement « insuffisant » des compétences interprofessionnelles ? Les obstacles au travail avec des équipes interprofessionnelles de soins de santé en première ligne font l’objet de recherches depuis les années 1990 (12), et leur mode de fonctionnement en collaboration avec les soins de deuxième ligne est toujours à l’étude (13,14). Les chercheurs de la présente revue donnent un aperçu des connaissances, des compétences et des attitudes nécessaires pour faciliter et poursuivre la collaboration transmurale. Cela permet en effet de mieux comprendre ce que l’on attend d’une collaboration transmurale. Cependant, il reste à répondre à la question suivante : « Comment réagir lorsqu’on identifie une absence de collaboration transmurale ou une “mauvaise” collaboration transmurale ? »
Que disent les guides de pratique clinique ?
La formation des médecins utilise actuellement les rôles CanMEDS pour définir les compétences nécessaires (15,16). Le rôle de « collaborateur » fait référence notamment à une collaboration efficace entre les différents professionnels de la santé afin de pouvoir offrir des soins sûrs, qualitatifs et axés sur le patient. Cela nécessite la capacité d’établir et de maintenir des relations positives avec les collègues, de négocier des responsabilités qui se chevauchent et se partagent et de s’engager dans une prise de décision partagée. Une attitude respectueuse, la capacité à mettre en œuvre des stratégies pour se comprendre, pour résoudre les difficultés et les conflits sont des compétences qui constituent ce rôle. De plus, il faut être capable d’estimer correctement le moment auquel un patient doit être adressé à un autre prestataire de soins et savoir communiquer correctement à la fois verbalement et par écrit lors du transfert des soins. Le rôle de leader fait référence notamment à la responsabilité de contribuer à l’amélioration de l’organisation des soins à différents niveaux.
Conclusion
Après avoir atteint la saturation dans une analyse thématique, cette synthèse méthodique intégrative d’études principalement qualitatives, souvent de faible qualité méthodologique, dégage six thèmes qui montrent que l’impact des médecins dans la collaboration entre la première et la deuxième ligne ne peut être sous-estimé. Il ne s’agit pas seulement de la façon dont ils se comportent, mais aussi de la façon dont ils peuvent affecter le système de santé. Cette étude ne nous permet toutefois pas d’évaluer si les compétences de base décrites sont réellement appliquées dans la réalité. En revanche, le cadre des compétences peut éventuellement servir pour des cours de formation sur la collaboration interprofessionnelle.
- Heymans I. Collaboration médecins généralistes et spécialistes au profit du patient : perspectives. [Editorial] MinervaF 2010;9(11):125.
- Spinewin A. Le pharmacien clinicien, partenaire d’une meilleure utilisation des médicaments à l’hôpital et en continuité avec la première ligne. [Editorial] MinervaF 2017;16(3):55-6.
- Kripalani S, LeFevre F, Phillips CO, et al. Deficits in communication and information transfer between hospital-based and primary care physicians: implications for patient safety and continuity of care. JAMA 2007;297:831-41. DOI: 10.1001/jama.297.8.831
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- Janssen M, Sagasser MH, Fluit CR, et al. Competencies to promote collaboration between primary and secondary care doctors: an integrative review. BMC Fam Pract 2020;21:179. DOI: 10.1186/s12875-020-01234-6
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- Collège Royal des médecins et chirurgiens du Canada. CanMEDS schéma et référential, 2021. URL: https://www.royalcollege.ca/rcsite/canmeds/canmeds-framework-f
- Tsakitzidis G, P. Van Royen P. Leren interprofessioneel samenwerken in de gezondheidszorg. De Boeck/Van Inn, 2018.
Auteurs
Tsakitzidis G.
kinesitherapeute, Vakgroep Fampop, centrum voor huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
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