Analyse


Patients en fibrillation auriculaire en maison de repos : anticoagulants oraux directs ou warfarine ?


15 09 2021

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Alcusky M, Tjia J, McManus DD, et al. Comparative safety and effectiveness of direct-acting oral anticoagulants versus warfarin: a national cohort study of nursing home residents. J Gen Intern Med 2020;35:2329-37. DOI: 10.1007/s11606-020-05777-3


Conclusion
Cette étude de cohorte rétrospective de bonne qualité méthodologique, mais associée aux limites de ce type d’étude, montre que parmi les résidents des maisons de soins aux États-Unis, les AOD étaient chacun associés à une mortalité plus faible par rapport à la warfarine. Un dosage inadéquat de l'AOD à la condition clinique du patient était courant et associé à un risque plus élevé d’effets indésirables et de mortalité.



 

La place des anticoagulants oraux directs (AOD) dans la fibrillation auriculaire (FA) a déjà été abordée à plusieurs reprises dans Minerva (1-4). Les études RE-LY (5,6) et ROCKET-AF (7,8) ne montrent pas de plus-value du dabigatran par rapport à la warfarine (AVK) en termes de décès. Quant à l’étude ARISTOTLE (9), celle-ci montre « une incidence moindre de décès, à la limite de la pertinence clinique » de l’apixaban versus warfarine. Cependant, toutes ces études excluent les patients résidant en institution de soins (MRS). La généralisation d’études existantes à ces patients résidant en MRS est difficile en raison de la présence de comorbidités, de la polymédication, ainsi que des limitations fonctionnelles et cognitives. Alcusky et al. veulent explorer l’efficacité et la sécurité des AOD versus warfarine pour cette population à risque via une étude de cohorte rétrospective (10).

 

Cette étude inclut des résidents en maison de repos et de soins et compare l’apixaban, le rivaroxaban et le dabigatran versus warfarine. Les patients inclus avaient > 65 ans, étaient de nouveaux utilisateurs d’AOD/warfarine et disposaient d’une couverture assurance-maladie > 6 mois. Ils présentaient une FA, un flutter ou un trouble du rythme. Les critères d’exclusion étaient : patients avec une autre indication pour l'initiation d'un anticoagulant telle qu’un diagnostic de thromboembolie veineuse (TEV), de maladie valvulaire ou d'arthroplastie totale de la hanche/du genou au cours des 6 mois de référence ainsi que les patients atteints de cancer ou dans le coma. La période étudiée a couvert 2011 à 2016.

Une analyse en sous-groupes a été menée afin d’évaluer la concordance des dosages utilisés par rapport aux dosages recommandés par les guidelines. L’hétérogénéité n’est pas mentionnée.

Les critères de jugement primaires sont la survenue d’accident ischémique (AVC ou AIT), d’hémorragie intra- ou extracrânienne, ainsi qu’un critère composite reprenant le bénéfice clinique global (AVC, AIT, hémorragie, événements thrombo-emboliques, infarctus myocardique et décès de toutes causes). Chaque élément du critère composite était ensuite évalué séparément comme critère secondaire. La raison la plus fréquente de censure était la fin de l'étude dans la cohorte apixaban et l'arrêt du traitement dans les cohortes dabigatran et rivaroxaban. Les auteurs ont veillé à utiliser des méthodes statistiques adéquates.

Au total, 21346 patients ont été inclus dans l’étude. L’âge moyen des patients était de 84 ans, leur score de risque CHAD2DS2-VASC (score médian : 5) et le ATRIA (score médian 3) étaient homogènes, l’initiation du traitement anticoagulant était récente. Le taux de survenue d’accidents ischémiques est similaire dans les groupes traités par dabigatran, rivaroxaban, et warfarine.

 

Versus warfarine, on observe chez les patients traités par apixaban un taux plus élevé d’AVC/AIT à la limite de la signification statistique (HR de 1,86 avec un IC à 95% de 1,00 à 3,45, le nombre d’événements étant toutefois faible) mais moins d’hémorragies : HR de 0,66 (avec un IC à 95% de 0,49 à 0,88). Le taux de mortalité est favorable à l’apixaban : HR de 0,79 avec un IC à 95% de 0,71 à 0,88. L’analyse en sous-groupe explorant l’influence du dosage de l’apixaban sur la survenue d’hémorragies ou d’événements thrombotiques penche aussi en faveur de l’apixaban, excepté lorsque le patient a reçu un dosage standard mais qu’il y avait une indication de réduction de dose.

Chez les patients traités par le dabigatran, pas de différence statistiquement significative en termes de survenue d’AVC/AIT : HR de 0,92 (avec un IC à 95% de 0,51 à 1,65), le nombre d’événements étant toutefois faible, mais HR en faveur du dabigatran pour la mortalité à 0,68 (avec un IC à 95% de 0,59 à 0,79).

Dans le groupe traité par le rivaroxaban, la différence d’efficacité n’est pas non plus statistiquement significative : HR de 1,09 (avec un IC à 95% de 0,73 à 1,63), mais la balance penche en faveur de l’AOD si l’on considère la mortalité : HR à 0,79 (avec un IC à 95% de 0,72 à 0,87).

 

De manière globale, les auteurs de cette étude suggèrent que :

  • L’utilisation d’apixaban, rivaroxaban et dabigatran versus warfarine est associée à un taux plus bas de mortalité globale. L’association traitement-survenue d’un événement est plus ou moins marquée en fonction de l’AOD.
  • Malgré les nombreux facteurs de risque cardiovasculaires chez les patients en MRS, l’incidence d’événements thromboemboliques observés est semblable aux études-contrôle (3-5), mais l’utilisation d’AOD est associée à un taux de mortalité (toutes causes confondues) plus faible par rapport à la warfarine.
  • L’incidence d’AIT/AVC et d’hémorragies varie selon l’AOD utilisé, mais aussi en fonction de l’adéquation du dosage utilisé à la condition clinique du patient. Les sur- et sous-dosages des AOD sont plus fréquents chez les patients en maison de repos (ce qui était déjà connu (5)) et associés à un risque élevé d’effets indésirables. Bien qu’une partie seulement de ces dosages incorrects soit potentiellement inappropriée, il semble qu’ils surviennent plus souvent à l’issue d’une décision médicale partagée entre cliniciens, prestataires de soins et patient, ce qui est par ailleurs recommandé dans les guidelines cliniques. Selon les auteurs, les résultats de cette étude pourraient entrer en ligne de compte lors du processus d’élaboration de telles décisions, démontrant ainsi que l’efficacité, la sécurité et l’adaptation posologique peuvent s’aligner sur les caractéristiques propres du patient et l’objectif des soins.

 

On se rappellera qu’il s’agit d’une étude observationnelle de cohorte, rétrospective, et qu’il faut donc interpréter ces résultats avec prudence. En effet, si les patients traités par AOD semblent présenter un taux de mortalité plus faible, les erreurs de dosage sont fréquentes (entre 33 et 55% selon l’AOD considéré, (déjà documentée à 43% en moyenne selon le KCE (11)), les interactions médicamenteuses restent présentes et la durée d’action des AOD les rend moins sûrs en cas d’observance thérapeutique moindre, a fortiori chez les patients en MRS, fréquemment polymédiqués.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

La Société européenne de cardiologie (ESC) (12) recommande les AOD (apixaban, dabigatran, édoxaban ou rivaroxaban) plutôt que les AVK lorsqu'une anticoagulation orale est indiquée (ESC Classe I, Niveau A).

Dans ses Folia de 2020 (13), le CBIP rappelle que les données issues d’études observationnelles doivent être interprétées avec prudence et considère que les AVK restent un bon premier choix lors de l’initiation d’un traitement anticoagulant de longue durée chez un patient souffrant de fibrillation auriculaire, mais récemment la revue Prescrire a avancé l’apixaban comme alternative acceptable en l'absence d'atteinte valvulaire sévère, d'insuffisance rénale sévère, et d'affection ou de traitement qui augmente les risques hémorragiques (14). Les études suffisamment robustes manquent pour avancer un AOD par rapport à un autre.

 

Conclusion

Cette étude de cohorte rétrospective de bonne qualité méthodologique, mais associée aux limites de ce type d’étude, montre que parmi les résidents des maisons de soins aux États-Unis, les AOD étaient chacun associés à une mortalité plus faible par rapport à la warfarine. Un dosage inadéquat de l'AOD à la condition clinique du patient était courant et associé à un risque plus élevé d’effets indésirables et de mortalité.

 

 

Références 

  1. Chevalier P. De la mortalité dans les RCTs et les synthèses concernant les NACOs en cas de FA et de TEV. Minerva bref 15/11/2016.
  2. Chai-Adisaksopha C, Hillis C, Isayama T, et al. Mortality outcomes in patients receiving direct oral anticoagulants : a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. J Thromb Haemost 2015;13:2012-20. DOI: 10.1111/jth.13139
  3. Chevalier P. Apixaban, dabigatran et rivaroxaban en cas de fibrillation auriculaire : méta-analyse favorable ? MinervaF 2012;11(7):84-5.
  4. Miller CS, Grandi SM, Shimony A, et al. Meta-analysis of efficacy and safety of new oral anticoagulants (dabigatran, rivaroxaban, apixaban) versus warfarin in patients with atrial fibrillation. Am J Cardiol 2012;110:453-60. DOI: 10.1016/j.amjcard.2012.03.049
  5. Chevalier P. Dabigatran versus warfarine en cas de fibrillation auriculaire. MinervaF 2010;9(6):74-5.
  6. Connolly SJ, Ezekowitz MD, S. Yusuf, et al; RE-LY Steering Committee and Investigators. Dabigatran versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2009;361:1139-51. DOI: 10.1056/NEJMoa0905561
  7. Chevalier P. FA et nouvel anticoagulant oral : le rivaroxaban utile ? MinervaF 2011;10(9):106-7.
  8. Patel MR, Mahaffey KW, Garg J, et al; ROCKET AF Investigators. Rivaroxaban versus warfarin in nonvalvular atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;365:883-91. DOI: 10.1056/NEJMoa1009638
  9. Steinberg BA, Shrader P, Thomas L, et al. Off-label dosing of non-vitamin K antagonist oral anticoagulants and adverse outcomes. J Am Coll Cardiol 2016;68:2597‑604. DOI: 10.1016/j.jacc.2016.09.966.
  10. Alcusky M, Tjia J, McManus DD, et al. Comparative safety and effectiveness of direct-acting oral anticoagulants versus warfarin: a national cohort study of nursing home residents. J Gen Intern Med 2020;35:2329-37. DOI: 10.1007/s11606-020-05777-3
  11. Van Brabandt H, San Miguel L, Fairon N, et al. Anticoagulants in non-valvular atrial fibrillation. Health Technology Assessment (HTA) Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE). 2016. KCE Reports 279. D/2016/10.273/101. Disponible sur: https://kce.fgov.be/sites/default/files/atoms/files/KCE_279_Novel_Anticoagulants_Report_0.pdf
  12. Hindricks G, Potpara T, Dagres N, et al. 2020 ESC Guidelines for the diagnosis and management of atrial fibrillation developed in collaboration with the European Association of Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J 2021;42:373-498. DOI: 10.1093/eurheartj/ehaa612
  13. CBIP. Comparaisons entre les antagonistes de la vitamine K et les AOD, et entre les différents AOD. Folia Pharmaceutica 2020;47(01):4-6.
  14. Prescrire Rédaction. Anticoagulant oral dans la fibrillation auriculaire. Prescrire 2019;425:194-205.



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