Analyse


Appendicite aiguë non compliquée traitée par antibiothérapie : quelles sont les caractéristiques des patients associées au recours ultérieur à l’appendicectomie ?


21 11 2022

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Writing Group for the CODA Collaborative, Monsell SE, Voldal EC, Davidson GH, et al. Patient factors associated with appendectomy within 30 days of initiating antibiotic treatment for appendicitis. JAMA Surg 2022;157:e216900. DOI: 10.1001/jamasurg.2021.6900


Question clinique
Quelles sont les caractéristiques des patients présentant une appendicite non compliquée associées au recours à l’appendicectomie dans les 30 jours après l’initiation d’un traitement par antibiotiques ?


Conclusion
Cette étude de cohorte rétrospective correctement menée, révèle que la présence d'un appendicolithe est associée à un risque presque deux fois plus élevé de subir une appendicectomie dans les 30 jours suivant l'administration d'antibiotiques. Les caractéristiques cliniques souvent utilisées pour décrire la gravité de l'appendicite ne sont pas associées de manière significative aux risques d'appendicectomie dans les 30 jours. Cependant la durée du suivi, les critères d’exclusion, l’incertitude concernant le motif d’appendicectomie, permettent d’affirmer qu’il s’agit de données exploratoires nécessitant des études complémentaires afin de déterminer plus précisément les caractéristiques cliniques menant à l’appendicectomie.



 

Contexte

Depuis une dizaine d’années, le recours à la chirurgie comme traitement de premier choix de l’appendicite aiguë non compliquée est remis en question et débattu par plusieurs études et méta-analyses. Ce sujet est traité dans quatre analyses de Minerva, publiées à partir de 2010 (1-8). En 2017, une analyse de Minerva portait sur une méta-analyse de 5 RCTs comparant les 2 approches. La conclusion de Minerva était que cette méta-analyse confirmait un intérêt (croissant avec le temps) d’une antibiothérapie versus appendicectomie initiale en cas d’appendicite aiguë non compliquée. Cet intérêt était surtout important en termes de réduction des complications et non pour la durée d’hospitalisation. L’incidence des complications de l’appendicite n’était pas plus importante lors d’une récidive post-antibiothérapie initiale que lors d’une appendicectomie initiale (3,4). En 2020, une analyse de Minerva portant sur une RCT, en protocole ouvert, multicentrique publiée initialement par le même groupe d’auteurs confirmait l’intérêt d’une antibiothérapie versus appendicectomie initiale en cas d’appendicite aiguë non compliquée avec notamment une diminution statistiquement significative des complications chirurgicales. Minerva concluait sur un besoin de recherche approfondies afin de mieux identifier les patients les plus indiqués pour une antibiothérapie (7,8).

 

Résumé

Population étudiée

  • patients adultes (âge moyen de 38,3 ans (ET 13,4 ans) ; 63% d’hommes), avec un diagnostic clinique d’appendicite non compliquée confirmé par imagerie, recrutés dans les services d’urgence de 25 centres médicaux aux Etats Unis
  • critères d’exclusion : les patients présentant un abcès ou un phlegmon sévère.

Protocole de l’étude

  • étude de cohorte rétrospective suivie de septembre 2020 à juillet 2021 (9), utilisant les données de l'essai clinique randomisé CODA (Comparison of Outcomes of Antibiotic Drugs and Appendectomy), étude clinique randomisée, de non-infériorité, sans insu, qui a recruté les participants entre le 3 mai 2016 et le 5 février 2020 (10)
  • la raison de l'appendicectomie a été classée à l'aide des informations du participant recueillies via des enquêtes programmées et de l'examen du dossier de santé du participant fourni par le site ; les raisons ont été regroupées en 3 catégories générales : clinique aiguë (c.-à-d., développement d'une péritonite diffuse ou aggravation de la douleur), clinique non aiguë (p. ex., inquiétude du clinicien concernant un mucocèle appendiculaire) et non clinique (p. ex., inquiétude du participant concernant la récidive)
  • identification des caractéristiques des patients associées à une appendicectomie dans les 30 jours après la mise sous antibiotique.

Mesure des résultats

  • les caractéristiques des patients ayant subi une appendicectomie pour une raison clinique aiguë dans les 30 jours suivant l’instauration des antibiotiques ont été classées en trois catégories :
    • physiologiques, y compris les données démographiques (âge, sexe, indice de masse corporelle (BMI), durée des symptômes, score moyen de la douleur au cours des 7 jours précédents, nombre de globules blancs, fièvre, nausées, vomissements ou anorexie)
    • radiologiques, y compris le diamètre de l'appendice, la présence d’un abcès, d’une perforation ou d’une accumulation de graisse ; la présence ou l'absence d'un appendicolithe
    • la race et l'origine ethnique ont été déterminées par l'auto-évaluation des participants, complétée par le dossier médical électronique en cas de données manquantes, au moment de l'inscription
  • analyse statistique par régression logistique conditionnelle.

Résultats

  • 21% des sujets ont finalement bénéficié d’une appendicectomie
  • les caractéristiques des patients ayant présenté une augmentation statistiquement significative du risque d'appendicectomie à 30 jours, après prise en compte d'autres facteurs physiologiques et radiologiques sont : le sexe féminin (OR de 1,53 avec IC à 95% de 1,01 à 2,31), l’augmentation du diamètre de l'appendice (OR par augmentation de 1 mm de 1,09 avec IC à 95% de 1,00 à 1,18) et la présence d'un appendicolithe (OR de 1,99 avec IC à 95% de 1,28 à 3,10)
  • des caractéristiques sur lesquelles les médecins s’appuient souvent en pratique n’ont pas montré d’augmentation statistiquement significative du risque d’appendicectomie à 30 jours :
    • la fièvre : OR de 1,28 avec IC à 95% de 0,82 à 1,98
    • un BMI compris entre 25 et 35 versus moins de 25 : OR de 1,60 avec IC à 95% de 0,99 à 2,60
    • score moyen de la douleur au cours des 7 jours précédents : OR de 1,03 avec IC à 95% de 0,99 à 1,14.

Conclusion des auteurs

Cette étude de cohorte a révélé que la présence d'un appendicolithe était associée à un risque presque deux fois plus élevé de subir une appendicectomie dans les 30 jours suivant l'instauration des antibiotiques. Les caractéristiques cliniques souvent utilisées pour décrire la gravité de l'appendicite n'étaient pas associées au risque d'appendicectomie dans les 30 jours.

Financement de l’étude

Cette étude a été financée par la subvention n° 1409-240099 du Patient-Centered Outcomes Research Institute qui n’est intervenu à aucun stade de l’étude.

Conflit d’intérêts des auteurs

Un auteur a déclaré avoir été consultant pour Kerecis, Acera et Medline, un deuxième pour le Shriner's Research Fund et qu’il a reçu des honoraires personnels de UpToDate, un troisième a déclaré avoir reçu des honoraires personnels de Tetraphase Pharmaceuticals en dehors du travail soumis, un quatrième a déclaré avoir reçu des honoraires personnels de Stryker ; aucune autre divulgation n'a été signalée.

 

Discussion

Evaluation de la méthodologie

Cette étude de cohorte rétrospective reprenant les données d’un bras d’une RCT et comptant 776 patients est correctement menée, pertinente et répond à des questions importantes d’un point de vue santé publique. En effet, déjà en 2012, l’HAS recommandait des études randomisées pour identifier les sous-groupes de patients pouvant bénéficier d’un traitement par antibiotiques (11). Les participants de cette RCT ont souvent exprimé de multiples raisons de subir une appendicectomie, et il semblait difficile de déterminer si le participant demandait le traitement uniquement en raison de ses symptômes ou s'il était également influencé par les préférences de son chirurgien.

Une fenêtre de 30 jours de suivi plutôt qu'une fenêtre de 90 jours a été choisie ce qui ne permet pas d’exclure une récidive dans un laps de temps si court. Enfin, la perforation, l'abcès et le phlegmon ont été combinés en une seule variable, ce qui a pu occulter le risque individuel associé à une ou plusieurs de ces caractéristiques.

 

Evaluation des résultats

Des associations plus faibles et à peine significatives ont été trouvées avec le sexe féminin (borne inférieure de l’IC à 95% de 1,01) et le diamètre de l'appendice (OR par augmentation de 1 mm de 1,09 mais la borne inférieure de l’IC à 95% est de 1,00). Aucune association n'a été montrée avec l'âge, les comorbidités ou la sévérité clinique de l'appendicite. Il est possible que le fait de ne pas prendre en compte la multicollinéarité et de ne pas effectuer d'analyse factorielle ait affecté le résultat. Dans l’essai randomisé CODA, la raison invoquée pour l'appendicectomie était le plus souvent une raison clinique aiguë (116 participants [77%]), l'aggravation des signes et symptômes de l'appendicite étant la raison la plus fréquemment invoquée pour justifier un traitement chirurgical. Parmi ceux qui ont subi une appendicectomie pour des raisons non cliniques, l'inquiétude ou la crainte d'une récidive et la consultation d'un ami ou d'un membre de la famille étaient les motifs les plus fréquents. Les auteurs reconnaissent eux-mêmes qu’ils n’ont pas été en mesure de discerner quelles appendicectomies étaient la conséquence d'un échec des antibiotiques par rapport à d'autres raisons non mesurées, telles qu’un contrôle insuffisant de la douleur. Les auteurs déclarent plusieurs sources de conflits d’intérêt, mais il ne nous semble pas qu’ils puissent avoir influencé les résultats présentés. Et pour terminer, cette étude ne peut être pertinente que pour les personnes sans critères d'exclusion repris dans l’essai randomisé CODA (abcès et phlegmon sévère) et surtout aux patients ayant bénéficié d'un scanner abdominal pour déterminer le statut de l'appendicite.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

En 2022, en cas d’appendicite aiguë, l’appendicectomie reste universellement recommandée comme traitement de premier choix (12). Le traitement chirurgical se justifie en général si la tomodensitométrie révèle un appendicolithe ou une accumulation liquidienne autour de l’appendice. Cependant, ceux-ci apportent une nuance pour les appendicites non compliquées et confirmées par tomodensitométrie à l’hôpital ; dans ces cas-là, il est possible qu’une antibiothérapie à spectre suffisamment large (par ex. pipéracilline–tazobactam 4 g TID) suffise si les symptômes de l’appendicite sont mineurs (12). Les recommandations internationales précisent que le traitement par antibiotique sans chirurgie est associé à un risque accru de récidive par rapport à la chirurgie et doit être réservé aux patients qui ne veulent ou ne peuvent pas subir de chirurgie (13).

En 2017, l'Association Américaine pour la Chirurgie des Traumatismes (AAST) invite, pour les cas appropriés, à une prise de décision partagée entre le chirurgien et le patient en fonction des circonstances, des caractéristiques et préférences uniques (14). Et celle-ci précise que la thérapie non opératoire est une approche raisonnable dans les cas d’appendicite aiguë non compliquée ; cependant, les patients doivent être informés d'une possible récidive.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de cohorte rétrospective correctement menée, révèle que la présence d'un appendicolithe est associée à un risque presque deux fois plus élevé de subir une appendicectomie dans les 30 jours suivant l'administration d'antibiotiques. Les caractéristiques cliniques souvent utilisées pour décrire la gravité de l'appendicite ne sont pas associées de manière significative aux risques d'appendicectomie dans les 30 jours. Cependant la durée du suivi, les critères d’exclusion, l’incertitude concernant le motif d’appendicectomie, permettent d’affirmer qu’il s’agit de données exploratoires nécessitant des études complémentaires afin de déterminer plus précisément les caractéristiques cliniques menant à l’appendicectomie.

 

Références 

  1. Chevalier P. Appendicite aiguë : antibiotiques plutôt que chirurgie ? MinervaF 2010;9(2):18-9.
  2. Hansson J, Körner U, Khorram-Manesh A, et al. Randomized clinical trial of antibiotic therapy versus appendicectomy as primary treatment of acute appendicitis in unselected patients. Br J Surg 2009;96:473-81. DOI: 10.1002/bjs.6482
  3. Chevalier P. Appendicite : antibiothérapie versus appendicectomie. Minerva Analyse 15/06/2017.
  4. Rollins KE, Varadhan KK, Neal KR, Lobo DN. Antibiotics versus appendicectomy for the treatment of uncomplicated acute appendicitis: an updated meta-analysis of randomised controlled trials. World J Surg 2016;40:2305-18. DOI: 10.1007/s00268-016-3561-7
  5. Chevalier P. Appendicite aiguë : antibiothérapie ou chirurgie ? MinervaF 2012;11(8):93-4.
  6. Varadhan KK, Neal KR, Lobo DN. Safety and efficacy of antibiotics compared with appendicectomy for treatment of uncomplicated acute appendicitis: meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2012;344:e2156. DOI: 10.1136/bmj.e2156
  7. Darchambeau L, De Jonghe M. Appendicite aiguë non compliquée traitée par antibiothérapie : bénéfique sur le long terme ? Minerva Analyse 15/02/2020.
  8. Salminen P, Tuominen R, Paajanen H, et al. Five-year follow-up of antibiotic therapy for uncomplicated acute appendicitis in the APPAC randomized clinical trial. JAMA 2018;320:1259-65. DOI: 10.1001/jama.2018.13201
  9. Writing Group for the CODA Collaborative, Monsell SE, Voldal EC, Davidson GH, et al. Patient factors associated with appendectomy within 30 days of initiating antibiotic treatment for appendicitis. JAMA Surg 2022;157:e216900. DOI: 10.1001/jamasurg.2021.6900
  10. The CODA Collaborative. A randomized trial comparing antibiotics with appendectomy for appendicitis. N Engl J Med 2020;383:1907-19. DOI: 10.1056/NEJMoa2014320
  11. Appendicectomie : éléments décisionnels pour une indication pertinente. HAS novembre 2012.
  12. Appendicite aiguë. Ebpracticenet. Duodecim Medical Publications. Mis à jour par le producteur : 30/03/2017. Screené par Ebpracticenet: 2019.
  13. Di Saverio S, Podda M, De Simone B, et al. World Society of Emergency Surgery (WSES). Diagnosis and treatment of acute appendicitis: 2020 update of the WSES Jerusalem guidelines. World J Emerg Surg 2020;15:27. DOI: 10.1186/s13017-020-00306-3
  14. Schuster KM, Holena DN, Salim A, et al. American Association for the Surgery of Trauma emergency general surgery guideline summaries 2018: acute appendicitis, acute cholecystitis, acute diverticulitis, acute pancreatitis, and small bowel obstruction. Trauma Surg Acute Care Open 2019;4:e000281. DOI: 10.1136/tsaco-2018-000281

 


Auteurs

Nonneman A.
pharmacienne, Centre Académique de Médecine Générale UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

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