Analyse
Prise en charge de la fragilité cognitive : une méta-analyse en réseau d’études randomisées
17 04 2024
Professions de santé
Diététicien, Ergothérapeute, Infirmier, Kinésithérapeute, Logopède, Médecin généraliste, PsychologueContexte
Le terme fragilité cognitive désigne un ensemble clinique hétérogène combinant fragilité physique et déclin cognitif sans démence (1). Deux analyses de Minerva ont étudié l’effet de diverses interventions non pharmacologiques sur la personne âgée fragile (2,3) ou plus spécifiquement l’effet de l’exercice physique sur la mobilité et le fonctionnement des personnes âgées fragiles au domicile (4,5). Ces 2 études ont conclu à l’intérêt de l’exercice physique afin de réduire la fragilité (2,3) ou améliorer la mobilité (4,5). Une autre analyse de Minerva a également permis de montrer une réduction de la fragilité et de la dépression chez la personne âgée pratiquant des exercices contre bande de résistance (6,7). Ces résultats sont quand même à considérer avec prudence étant donné une certaine hétérogénéité des études et l’inclusion de populations non occidentales. Ces conclusions peuvent-elles être élargies à la fragilité cognitive ? C’est la question que pose l’étude analysée ici (8).
Résumé
Méthodologie
Revue systématique avec méta-analyse en réseau.
Sources consultées
- Pubmed, Embase, CINAHL, PsycINFO, Web of science, Cochrane library, CENTRAL, CNKI, Wanfang, VIP, Google scholar
- mot-clés « cognitive frailty »
- pas de restriction dans le temps ou l’espace pour les études sélectionnées
- pas de restriction de langue.
Etudes sélectionnées
- critères d’inclusion :
- critères d’exclusion : ils ne sont pas clairement mentionnés
- critères de jugement acceptés : fonction cognitive mesuré selon le Subjective Cognitive Decline (SCD), le Mini-Mental Status Examination (MMSE) ou le Montreal Cognitive Assessement (MoCA) et l’état de fragilité selon le Fried frailty phenotype, le Frailty Index (FI), l’échelle FRAIL ou l’Edmonton Frailty Scale (EFS)
- au total, 10 RCTs ont été incluses comparants 10 interventions différentes :
- soins standards : soins médicaux et éducation à la santé de base
- exercice aérobie : exercice contre résistance
- exercice combinant aérobie et contre résistance
- exercices à multi-composant : interventions regroupant au moins 3 exercices physiques différents (ex : exercice aérobie, contre résistance et proprioception)
- pleine conscience : interventions regroupant exercices visant à augmenter sa conscience vis-à-vis de ses sensations psychiques, psychologiques et physiques
- double tâche : intervention regroupant des exercices mentaux et physiques
- nutrition : intervention visant à éviter ou traiter la malnutrition
- intervention multidomaines : intervention incluant plusieurs domaines (nutrition, exercice physiques et mentaux)
- e-santé : soins de santé fournis ou améliorés via une technologie informatique mobile.
Population étudiée
- 1110 patient(e)s au-delà de 60 ans : 7 études sur une population dans la communauté et 3 sur une population hospitalisée
5 études ont été conduites en Chine, 1 à Taiwan, 2 à Hong Kong, 1 à Seoul (Corée du Sud) et 1 à Toyota (Japon).
Mesure des résultats
- critère de jugement réseau 1 : fonction cognitive mesurée selon le Subjective Cognitive Decline (SCD), le Mini-Mental Status Examination (MMSE) ou le Montreal Cognitive Assessement (MoCA)
- critère de jugement réseau 2 : l’état de fragilité selon le Fried frailty phenotype, le Frailty Index (FI), l’échelle FRAIL ou l’Edmonton Frailty Scale (EFS)
- méta-analyse avec différences moyennes standardisées (DMS) (9)
- classement des différentes interventions selon leur probabilité d’efficacité pour chaque critère de jugement en fonction de la surface sous la courbe de classement cumulatif (Surface Under the Cumulative Ranking, SUCRA) (10).
Résultats
- fonction cognitive : la synthèse regroupait 9 RCTs et comparait 8 interventions différentes (soins habituels, exercices aérobies, exercices à plusieurs composants, pleine conscience, double tâche, nutrition, intervention multidomaines et e-santé) ; dans ce réseau, l’intervention nutritionnelle semble être l’intervention la plus efficace pour améliorer la fonction cognitive (SUCRA = 99,9% ; DMS de 3,02 avec IC à 95% de 2,53 à 3,51) ; les exercices à composants multiples montrent un SUCRA = 85,8% ; le I2 a été calculé à 92,8%
- état de fragilité : la synthèse regroupait 8 RCTs et comparait 9 interventions différentes (exercices habituels, exercices aérobies, exercices de résistance, exercices combinés d'aérobie et de résistance, exercices à plusieurs composants, e-santé, double tâche, multidomaines et soutien nutritionnel) ; dans ce réseau, les résultats suggèrent que les exercices à composantes multiples ont la probabilité la plus importante de réduire la fragilité (SUCRA = 96,4% ; DMS de -5,1 avec IC à 95% de -5,96 à -4,23 ; I2 = 96%).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que pratiquer de manière collective des exercices à composantes multiples semble être le plus bénéfique chez les patients souffrant de fragilité cognitive en termes de fonctions cognitives et d’état de fragilité. De plus, l’intervention nutritionnelle semble la plus efficace chez les patients hospitalisés souffrant de fragilité cognitive. Les exercices aérobies et la double tâche sont également efficaces en termes de fragilité cognitive. Néanmoins, vu le nombre restreint d’études sur le sujet, d’autres RCTs sont nécessaires pour vérifier ces observations.
Financement de l’étude
Cette étude a été financée par le Guidance Center of the Guangzhou Community Education Service.
Conflit d’intérêts des auteurs
Les auteurs n’ont pas déclaré de conflits d’intérêts.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Cette méta-analyse en réseau possède plusieurs points forts méthodologiques. Tout d’abord, les auteurs ont suivi les guidelines PRISMA (11). Deux auteurs ont sélectionné de façon indépendante les études dans plusieurs bases de données et tout désaccord était réglé par discussion ou intervention d’un troisième chercheur. Le risque de biais de chaque étude a été évalué en utilisant le Cochrane Collaboration risk of bias tool (12) et les points d’attention portés par les chercheurs pour évaluer chaque biais sont bien précisés. L’inclusion d’études pré-post-intervention présente un problème, comme mentionné dans Minerva (13), qui est l’annihilation de l’avantage de la randomisation, vu la disparition du comparateur ; pour un travail de synthèse basé sur des comparaisons, voilà une décision qui pose question.
Cette étude présente d’autres points faibles : un article Minerva a couvert les conditions nécessaires pour la validité d’une méta-analyse en réseau à savoir, homogénéité, similarité et cohérence (14). Il semblerait que ces conditions ne soient pas requises dans cette étude vue l’importante hétérogénéité entre les études aussi bien au niveau des interventions que des méthodes de mesure de résultats. Les auteurs ont cependant réalisé des analyses de sous-groupes : par exemple, ils ont réalisé une analyse différenciant les sites d'étude en ambulatoire et hôpitaux : l'hétérogénéité a alors diminué de manière significative, avec 0% et 64,7% pour l’ambulatoire et les hôpitaux, respectivement. Dans le sous-groupe hospitalier, l'hétérogénéité a également diminué jusqu'à 0% après la suppression d’une étude en raison d’un risque élevé de biais résultant de l'absence de dissimulation de l'allocation. Cependant, les résultats sont toujours restés stables.
Les limites du SUCRA ont déjà été discutées dans Minerva (10) en particulier lorsque le nombre de comparaisons directes est limité et que le niveau de preuves des comparaisons directes est faible à très faible comme c’est le cas dans cette étude (dans le groupe 1, uniquement l’exercice aérobie et l’intervention à composantes multiples possédaient une comparaison directe et indirecte). Enfin, relevons que si les auteurs affirment ne pas avoir appliqué un critère de restriction lié aux langues, les études incluses proviennent toutes de la région asiatique.
Évaluation des résultats de l’étude
Vu les critères d’inclusion larges (> 60 ans sans limite supérieure, population générale et hospitalisée), l’extrapolation des résultats devrait être facile ; néanmoins, cette extrapolation à la population belge doit être nuancée. En effet, comme mentionné ci-dessus, il s’agit uniquement d’études asiatiques et en particulier chinoises. De plus, la taille restreinte des études (max 415 patients) ainsi que leur faible niveau de preuve et les hauts taux d’hétérogénéité doivent également nous pousser à la prudence quant à l’extrapolation des résultats. Pour finir, on peut également déplorer le temps de suivi moyen somme toute assez court : 5,4 mois pour la fragilité et 5,6 mois pour la fonction cognitive.
Que disent les guides pour la pratique clinique ?
Nous n’avons pas trouvé de guide spécifique à la fragilité cognitive. Une mise à jour des guides de pratique américains sur la déficience cognitive légère (MCI) datant de 2018 recommande l’exercice physique et l’entrainement cognitif dans la prise en charge des patients présentant une MCI (15). De la même manière, les guide de pratique de l’OMS (16) portant sur la réduction du risque de MCI et de démence soulignent l’importance de l’activité physique, d’un régime équilibré de type méditerranéen et de l’entrainement cognitif comme interventions pouvant diminuer la progression du MCI, bien que le niveau de preuve soit faible à très faible. Les recommandations de la Conférence internationale sur la recherche sur la sarcopénie et la fragilité (ICFSR) (17) privilégient une activité physique multicomposants mettant un accent sur les exercices contre résistance. Elles recommandent également un enrichissement calorique ou protéique si une dénutrition est présente.
Conclusion de Minerva
Cette revue méthodique avec méta-analyse en réseau étudiant l’efficacité d’interventions non pharmacologiques dans la prise en charge de la fragilité cognitive (entité clinique hétérogène combinant fragilité physique et déclin cognitif sans démence) montre que pratiquer de manière collective des exercices à composantes multiples semble être le plus bénéfique en termes de fonctions cognitives et d’état de fragilité et qu’une intervention nutritionnelle semble la plus efficace chez les patients hospitalisés. Les exercices aérobies et la double tâche sont également efficaces en termes de fragilité cognitive. Aucun élément ne montre un risque majoré en termes de sécurité. Cette étude présente plusieurs limitations appelant à la prudence quant à l’extrapolation de ses résultats (hétérogénéité importante entre les études, faible niveau de preuves de celle-ci et caractéristiques de la population étudiée).
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Auteurs
Dequiedt C.
médecin généraliste hospitalier, Service de gériatrie, CHBA
COI :
Glossaire
Code
R41
P20
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