Analyse
Évaluation de l'efficacité de l'hospitalisation à domicile pour éviter l'admission chez les personnes adultes (âgées) ?
Contexte
Actuellement, les patients nécessitant des soins aigus sont généralement pris en charge à l’hôpital. Cette prise en charge comporte de nombreux risques : effets indésirables (1). La prise en charge à domicile de situation clinique nécessitant potentiellement une hospitalisation pourrait offrir de multiples avantages : diminuer le nombre de jours où les patients sont pris en charge par les structures hospitalières, réduire le risque d’effets indésirables associés à une durée prolongée à l’hôpital, diminuer la perte d’indépendance liée aux hospitalisations prolongées, bénéficier d’une réhabilitation dans son environnement habituel, le domicile. Il pourrait donc être intéressant de transférer une partie de la charge de travail normalement réservée à l’intra-hospitalier vers une prise en charge hospitalière à domicile. Nous avons déjà analysé dans Minerva une synthèse méthodique de bonne qualité méthodologique dont les résultats suggéraient que l’hospitalisation à domicile pouvait être une alternative intéressante à l’hospitalisation classique pour les patients chroniques se présentant aux urgences. Moins de nouvelles hospitalisations et moins d’admissions dans des établissements de soins de longue durée étaient les bénéfices observés. Cependant, il restait beaucoup d’incertitudes quant à l’ampleur de l’effet et l’importante hétérogénéité clinique des études incluses empêchait de tirer des conclusions équilibrées (2,3). Une mise à jour d’une synthèse méthodique de la Cochrane nous permet de revenir sur cette thématique d’actualité (4).
Résumé
Méthodologie
Quatrième mise à jour d’une revue de la littérature systématique d’essais contrôlés randomisés recrutant des participants âgés de 18 ans et plus datant de 2016.
Sources consultées
- références publiées depuis le 2 mars 2016 (date de la dernière mise à jour) jusqu’au 24 février 2022 dans les bases de données suivantes :
- registre central des essais contrôlés Cochrane (CENTRAL ; 2022, numéro 2)
- MEDLINE (Ovid) (MEDALL)
- Embase (Ovid)
- CINAHL (Cumulative Index to Nursing and Allied Health Literature) (EBSCOhost)
- consultations des études en cours et non publiées à partir de ClinicalTrials.gov et WHO ICTRP
- prise de contacts avec les prestataires et des chercheurs impliqués dans le domaine.
Etudes sélectionnées
- critères d'inclusion
- évaluations de programmes d'hôpital à domicile destinés à éviter l'admission à l'hôpital
- inclusion de personnes nécessitant une admission à l'hôpital pour un épisode aigu de soins
- critères d'exclusion
- personnes ayant des besoins de soins à long terme, sauf si elles nécessitent une admission à l'hôpital pour un épisode aigu de soins
- évaluations de programmes d'hôpital à domicile pour les soins obstétriques
- évaluations de programmes d'hôpital à domicile pour les soins pédiatriques
- évaluations de programmes d'hôpital à domicile pour les soins en santé mentale
- au total, 20 essais contrôlés randomisés ont été inclus.
Population étudiée
- patients recrutés en salles d'urgence, services de soins primaires ou unités d'évaluation aiguë
- critères : participants âgés de 18 ans et plus ; les essais incluaient des patients principalement âgés, et les conditions médicales aiguës variées mentionnées ci-dessus font partie des critères pour lesquels l'hôpital à domicile a été évalué comme une alternative aux soins hospitaliers
- sexe et âge : majoritairement des personnes âgées (âge moyen varie par étude)
- au total, inclusion de 3100 patients âgés, principalement de plus de 65 ans ; quatre essais ont recruté des participants atteints de maladie pulmonaire obstructive chronique; deux essais ont recruté des participants en convalescence après un AVC; sept essais ont recruté des participants avec une condition médicale aiguë qui étaient principalement âgés ; et les essais restants ont recruté des participants avec un mélange de conditions.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires :
- mortalité
- admission à l’hôpital
- critères de jugement secondaires :
- vivre en établissement au moment du suivi
- état de santé autodéclaré : qualité de vie liée au soins, statut fonctionnel, santé mentale
- satisfaction des soins par rapport au patient lui-même, aux soignants et aux professionnels de santé
- durée du séjour à l’hôpital et durée de l’hospitalisation à domicile
- coûts
- résultats cliniques
- évaluation de l’hétérogénéité par le test I2
- utilisation d’un modèle à effet fixe lorsque cela est possible
- attribution des poids des articles originaux sur le résultat final en fonction de la variance inverse lorsque cela était possible.
Résultats
- critères de jugement primaires :
- mortalité :
- pas de différence dans la mortalité à six mois pour l'hospitalisation à domicile par rapport aux soins hospitaliers : RR de 0,88 avec IC à 95% de 0,68 à 1,13; p = 0,30 ; I2 = 0% ; 1502 participants ; 5 essais ; preuve de certitude modérée
- pas de différence dans la mortalité à trois mois pour l'hospitalisation à domicile par rapport aux soins hospitaliers : RR de 1,17 avec IC à 95% de 0,67 à 2,07; p = 0,58 ; I2 = 10% ; 482 participants ; 3 essais ; preuve de certitude modérée
- admission à l'hôpital : peu ou pas de différence dans le risque d'admission à l'hôpital après la sortie pour l'hospitalisation à domicile par rapport aux soins hospitaliers, avec un suivi variant de trois à douze mois : RR de 1,14 avec IC à 95% de 0,97 à 1,34; p = 0,11 ; I2 = 41% ; 1757 participants ; 8 essais ; preuve de certitude modérée
- mortalité :
- critères de jugement secondaires :
- vivre en maison de soins : les participants assignés au groupe hospitalisation à domicile pour éviter l'admission étaient moins susceptibles de vivre dans une maison de soins au suivi de six mois par rapport aux participants recevant des soins hospitaliers : RR de 0,53 avec IC à 95% de 0,41 à 0,69; p < 0,001 ; I2 = 67% ; 1271 participants ; 4 essais ; preuve de certitude modérée
- état de santé autodéclaré du patient : les évaluations des participants de l'état de santé et de la qualité de vie étaient globalement similaires pour les groupes hospitalisation à domicile et hospitaliers
- satisfaction des patients : les participants assignés au groupe hospitalisation à domicile ont rapporté des niveaux de satisfaction plus élevés en moyenne que les participants du groupe de soins hospitaliers
- durée de séjour à l'hôpital et à domicile : la durée moyenne du séjour initial à l'hôpital variait de 4,1 à 18,5 jours pour les participants assignés au groupe de soins hospitaliers, comparé à 1,2 à 5,1 jours pour ceux assignés au groupe hospitalisation à domicile (11 essais; preuve de certitude faible)
- coût et utilisation des ressources : les coûts étaient généralement plus bas pour l'hospitalisation à domicile que pour les soins hospitaliers, avec une gamme d'estimations pour la réduction moyenne par épisode, utilisant des méthodes de calcul des coûts différentes (preuve de certitude modérée)
- l'effet de l'hospitalisation à domicile sur l'utilisation des services de soins primaires était incertain.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que l'hospitalisation à domicile pour éviter l'admission, avec la possibilité de transfert à l'hôpital, peut fournir une alternative efficace aux soins hospitaliers en tant que patients hospitalisés pour un groupe sélectionné de personnes âgées qui ont été référées pour une admission à l'hôpital. L'intervention ne fait probablement pas de différence sur les résultats de santé des patients (mortalité et admission à l’hôpital), peut améliorer la satisfaction, réduit probablement la probabilité de déménager dans une maison de soins et réduit probablement les coûts.
Financement de l’étude
Pas de mention.
Conflit d’intérêts des auteurs
Trois auteurs n’en mentionnent pas ; trois auteurs font partie du bord éditorial de la Cochrane mais n’étaient pas inclus dans le processus éditorial ; une auteure est auteure d’une étude originale mais elle n’a pas pu réaliser l’évaluation des risques de biais, ni la définition GRADE.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Cette étude est une mise à jour et se base donc sur la précédente revue pour commencer la recherche d’article (2016). Ce qui présuppose que le précédent article était construit correctement. Malheureusement ce précédent article n’a pas été analysé par Minerva, il n’est donc pas possible de juger de sa qualité. Ceci étant dit, les chercheurs ont appliqué les procédures méthodologiques standard attendues par Cochrane et le groupe Efficacité de la pratique et organisation des soins (EPOC). Ils ont utilisé du langage naturel et du langage contrôlés dans les bases de données telles que CENTRAL, MEDLINE, Embase et CINAHL. Les chercheurs ont également cherché des études en cours et non et en contactant des prestataires et des chercheurs impliqués dans le domaine. Il aurait été intéressant pour ce dernier point d’avoir la liste des prestataires et des chercheurs impliqués pour pouvoir détecter d’éventuels conflits d’intérêt. Les chercheurs ont également consulté 2 bases de données de recherche en cours. L’ensemble des démarches effectuées semble démontrer une réelle volonté d’exhaustivités.
Trois auteurs de la revue ont lu tous les résumés des enregistrements récupérés par les recherches électroniques pour identifier les publications potentiellement éligibles. Après avoir récupéré les articles en texte intégral pour ces publications, deux auteurs de la revue ont indépendamment évalué leur éligibilité. Les auteurs ont sélectionné les études pour la revue selon les critères d'inclusion prédéfinis et résolu tout désaccord par discussion. L’un des auteurs de la revue était également auteurs d'une des études sélectionnées. Il n'a donc pas été impliqué dans l'évaluation de sa propre étude pour l'inclusion, le risque de biais ou l'extraction des données. L’extraction et la gestion des données ainsi que l’évaluation du risque de biais dans les études incluses ont été réalisées en suivant les recommandations Cochrane. La majorité des études incluses ont été jugées comme ayant un faible risque de biais de sélection, de détection et d'attrition, et un risque incertain pour les biais de rapport sélectif et de performance. Les méta-analyses ont été réalisées pour les essais comparant des interventions similaires, rapportant des résultats comparables avec suffisamment de données et les chercheurs ont utilisé des données individuelles de patients lorsqu'elles étaient disponibles.
Évaluation des résultats
La majorité des participants étaient des personnes âgées, avec un âge moyen souvent supérieur à 65 ans, sauf pour certaines conditions spécifiques comme la fièvre et neutropénie, la pneumonie communautaire, et la maladie neuromusculaire, où l'âge moyen était plus jeune mais jamais inférieur à 45 ans. Il est probable que l’âge relativement élevé des participants impacte les résultats obtenus dans cette revue avec méta-analyse. D’autres recherches sont donc à réaliser avec un public plus jeune pour affiner ces résultats. Les personnes recrutées dans les différentes études sont issues de pays occidentalisés ce qui crée une certaine homogénéité dans l’échantillon. Par contre, la qualification des personnes prenant en charges les patients hospitalisés à domicile n’est que vaguement mentionnée. Pourtant, leurs niveaux de qualifications et leurs expériences professionnelles ainsi que la fréquence de passage des différentes personnes, impactent la mortalité hospitalière (5). On peut légitimement supposer que la mortalité lors des hospitalisations à domicile puisse également être impactées par ces facteurs. Ce qui pourrait induire un gros biais dans l’analyse des résultats présentés ici.
L’utilisation d’un modèle à effet fixe et des poids par variance inverse lorsque cela était possible démontre une belle volonté d’obtenir les résultats les plus pertinents possibles. Malgré cela, les études sélectionnées ont souvent une relative petite taille ce qui peut impacter la force des résultats obtenus (ce qui est d’ailleurs reconnu par les auteurs dans les limites). Les risques relatifs et les intervalles de confiance sont en rapports avec la certitude de preuves attribuée via la méthode GRADE).
Malgré cela, citons l’analyse de Minerva (2,3) : « En Belgique, les acteurs de la première ligne ne sont actuellement pas formés pour proposer ce type de soins intensifs à domicile, et il existe une grande diversité en termes de compétences (mise en place d’une perfusion, disponibilité des analyses biologiques, connaissance des maladies spécifiques, etc.), de continuité et d’organisation des soins (équipes permanentes en maison médicale, médecins généralistes travaillant seuls avec des infirmier/ères à domicile, etc.). Il est donc souvent très difficile en pratique pour un médecin urgentiste d’estimer si l’équipe de soins primaires d’un patient donné a les compétences nécessaires pour mener à bien une hospitalisation à domicile. Généralement, l’urgentiste connaît bien l’organisation de l’hôpital où il travaille et peut donc mieux évaluer l’utilité et la faisabilité d’une hospitalisation. Un système d’hospitalisation à domicile correct et bien étayé en ce qui concerne les soins de santé de première ligne pourrait peut-être inverser la tendance ». Les auteurs de cette méta-analyse décrivent plusieurs exemple d’hospitalisation à domicile : soit un service d’hospitalisation à domicile basé sur une organisation bien réfléchie et une coordination « nouvelle » de soins, dans laquelle les possibilités de suivi, y compris en dehors des heures habituelles de travail, la télémédecine et le monitoring à distance jouent un rôle important ; soit l’obligation de prévoir l’équivalent de 40-50 « lits permettant une hospitalisation à domicile » par 100 000 habitants comme en Angleterre ; soit l’obligation pour certains services d’organiser la possibilité d’hospitalisation à domicile comme en gériatrie en Ecosse.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Comme expliqué dans une autre analyse de Minerva (2,3) « Il n’existe pas de guide de pratique pertinent en matière d’hospitalisation à domicile des patients chroniques en Belgique. Le rapport du KCE n° 250 (6) a étudié les possibilités et est arrivé à la conclusion suivante : « L’hétérogénéité des modèles existants et l’absence de modèle préférentiel tant dans la littérature que chez les acteurs belges renforcent l’idée qu’il est préférable de ne pas déployer l’hospitalisation à domicile à grande échelle à l’heure actuelle, mais de commencer par des projets pilotes permettant de tester et d’évaluer soigneusement différents modèles. » Beaucoup de ces projets pilotes ont été lancés dans le cadre du nouvel arrêté royal de juin 2023. »
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique montre que l'hospitalisation à domicile pour éviter l'admission, avec la possibilité de transfert à l'hôpital, peut fournir une alternative efficace aux soins hospitaliers pour des patients âgés référés pour une admission à l'hôpital et sélectionnés. L'intervention ne fait probablement pas de différence sur les résultats sur la mortalité et les admissions à l’hôpital ; améliore la satisfaction des patient ; réduit probablement la probabilité de déménager dans une maison de soins et réduit probablement les coûts. Cette revue systématique avec méta-analyse est de bonne qualité méthodologique mais est basée sur des études originales avec des échantillons de relatives petites tailles ce qui peut limiter la puissance statistique. Autre point important, le niveau de qualification des personnes s’occupant des patients hospitalisés à domicile n’est que vaguement mentionné ce qui pourrait impacter fortement la qualité de prise en charge des patients à domicile et leurs coûts. L’application de l’hospitalisation à domicile semble, à l’heure actuelle, difficilement applicable en Belgique en dehors de projets pilotes, comme recommandé par le KCE.
- Rafter N, Hickey A, Condell S, et al. Adverse events in healthcare: learning from mistakes. QJM 2015;108:273-7. DOI: 10.1093/qjmed/hcu145
- Morreel S. Un patient atteint d’une maladie somatique chronique se rend aux urgences : opter pour son admission ou pour un traitement à domicile ? Minerva Analyse 22/12/2023.
- Arsenault-Lapierre G, Henein M, Gaid D, et al. Hospital-at-home interventions vs in-hospital stay for patients with chronic disease who present to the emergency department: a systematic review and meta-analysis. JAMA Netw Open 2021;4:e2111568. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2021.11568
- Edgar_K, Iliffe_S, Doll_HA, et al. Admission avoidance hospital at home. Cochrane Database Syst Rev 2024, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD007491.pub3
- Peutere L, Pentti J, Ropponen A, et al. Association of nurse understaffing and limited nursing work experience with in-hospital mortality among patients: a longitudinal register-based study. Int J Nurs Stud 2024;150:104628. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2023.104628
- Farfan-Portet M-I, Denis A, Mergaert L, et al. Hospitalisation à domicile: orientations pour un modèle belge. Synthèse. Health Services Research. Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé. 2014. KCE Reports 250Bs. D/2014/10.273/66. (KCE). URL: https://kce.fgov.be/fr/publications/tous-les-rapports/lhospitalisation-a-domicile-orientations-pour-un-modele-belge
Auteurs
Tock R.
MSc Infirmières
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
Code
Z76
A99
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