Analyse


Quelles interventions permettent d’éviter le placement en maison de repos et de soins des personnes âgées vivant à domicile ?


24 05 2025

Professions de santé

Ergothérapeute, Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Gaugler JE, Zmora R, Peterson CA, et al. What interventions keep older people out of nursing homes? A systematic review and meta‐analysis. J Am Geriatr Soc 2023;71:3609-21. DOI: 10.1111/jgs.18522


Question clinique
Quelle est l’efficacité des interventions médicamenteuses et non médicamenteuses pour retarder le placement en maison de repos et de soins (MRS) des personnes âgées vivant à domicile ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que les interventions à plusieurs composantes, la stimulation cognitive (toutes deux avec des données probantes de qualité élevée) et les soins gériatriques spécialisés (avec des données probantes de faible qualité) sont efficaces pour prévenir le placement des personnes âgées en MRS. L’importante hétérogénéité clinique des études incluses et les données limitées sur les interventions spécifiques et les groupes témoins compliquent l’extrapolation des résultats.


Contexte

Dans la société actuelle, le vieillissement de la population ne fait que s’accentuer, et les personnes âgées souhaitent de préférence continuer à vivre chez elles (1,2). Minerva a publié en 2012 une analyse traitant d’une synthèse méthodique avec méta-analyse portant sur l’effet d’une évaluation gériatrique complète (Comprehensive Geriatric Assessment, CGA). Elle montrait que les patients âgés fragiles admis en urgence avaient plus de chances de rester en vie et de retourner vivre chez eux si une évaluation gériatrique complète était effectuée (3,4). Une récente synthèse méthodique a examiné l’effet d’un large éventail d’interventions visant à qualitativement maintenir chez elles les personnes âgées (5). Cette synthèse méthodique est particulièrement pertinente, car elle pourrait contribuer à réduire la charge de travail dans les MRS, à garantir la qualité des soins et à mieux respecter les souhaits des personnes âgées de rester à domicile. (6-10). 

 

 

Résumé

 

Méthodologie

 

Synthèse méthodique et méta-analyse. 

 

Sources consultées

  • Medline, Embase, PsycInfo, CINAHL, Cochrane Library ; jusque mars 2022
  • listes de références des études et des synthèses méthodiques/méta-analyses sélectionnées 
  • aucune restriction quant à l’année ou au statut de la publication (donc également les rapports et les résumés de congrès).

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études contrôlées randomisées menées auprès de personnes âgées (inclusion de personnes ayant au moins 65 ans ou âge moyen d’au moins 65 ans) admises pour une courte durée ou une longue durée dans une MRS (ou un établissement similaire) comme critère de jugement principal ou secondaire et sans durée minimale pour le suivi 
  • finalement, inclusion de 283 études, dont 97 (34,3%) menées aux États-Unis, avec différents types d’interventions : interventions à domicile (N = 45), interventions à plusieurs composantes (N = 43), prise en charge gériatrique spécialisée en milieu hospitalier (évaluation gériatrique globale et plan de soins pluridisciplinaires) (N = 38), gestion des cas (N = 20), revalidation après un AVC (N = 20), soutien, éducation et acquisition de compétences des aidants proches (N = 16), prise en charge en ambulatoire ou dans la communauté (N = 29), médicaments (N = 12), exercices (N = 12), planification de la sortie de l’hôpital (N = 7), évaluation gériatrique globale (N = 16), hôpital de jour (N = 7), systèmes d’alarme (N = 2), stimulation cognitive (N = 3), formation du personnel en cas de démence (N = 1), dépistage en ambulatoire (N = 1), exercices de déglutition à intensité élevée et adaptation nutritionnelle en cas de problèmes de déglutition (N = 1), achats orientés vers le consommateur pour des dispositifs d’aide personnelle (N = 1), outil sur le Web destiné aux prestataires de soins pour la prise en charge de la démence (N = 1), suppléments protéinés (N = 1), intégration des services sociaux et de santé (N = 1) ; 258 études (91,2%) comparaient avec la prise en charge habituelle ; la durée du suivi variait de < 12 mois (30,1%) à > 36 mois (5,7%). 

 

Population étudiée

  • 203 735 personnes âgées habitant à domicile (23 à 36 726 par étude) ayant en moyenne 77,7 ans (écart-type (ET) 4,73 ans), dont 60% de femmes ; certaines études ont inclus des populations spécifiques, comme des personnes victimes d’AVC ou des personnes atteintes de démence ; 15% de la population incluse avaient déjà été admis dans une MRS.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement : différence entre le groupe intervention et le groupe témoin quant au pourcentage de participants admis en MRS (ou dans un établissement similaire)
  • méta-analyse suivant le modèle à effets aléatoires si au moins trois études examinant un type d’intervention étaient disponibles
  • résultats sommés exprimés sous forme d’odds ratio (OR) et d’intervalle de confiance (IC) à 95%
  • analyses de sensibilité en éliminant tour à tour les différentes études des résultats sommés.

 

Résultats

  • par comparaison avec le groupe témoin, une diminution du nombre d’admissions en MRS avec les interventions à plusieurs composantes a été observée (OR de 0,82 avec IC à 95% de 0,67 à 0,99 ; N = 40 ; I² = 62% ; données probantes de qualité élevée), avec les soins gériatriques spécialisés (OR de 0,77 avec IC à 95% de 0,60 à 0,99 ; N = 36 ; I² = 79% ; données probantes de faible qualité) et avec la stimulation cognitive (OR de 0,60 avec IC à 95% de 0,38 à 0,96 ; N = 3; I² = 5,5% ; données probantes de qualité élevée)
  • pas de résultats statistiquement significatifs avec les interventions à domicile, la gestion des cas, la revalidation après un AVC, le soutien, l’éducation et l’acquisition de compétences des aidants proches, la prise en charge en ambulatoire ou dans la communauté, les médicaments, les exercices, la planification de la sortie, l’évaluation gériatrique globale, l’hôpital de jour.   

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les personnes âgées souhaitent continuer à vivre chez elles même lorsqu’elles nécessitent une aide complexe. Diffuser et mettre en œuvre efficacement les principes de soins gériatriques lors de chaque contact de soins pourrait conduire à un résultat très apprécié et privilégié par les personnes âgées, à savoir le fait de vieillir tout en restant chez soi.

 

Financement de l’étude

Pas de subventions.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse a été décrite selon les directives PRISMA. Deux chercheurs indépendants ont effectué une recherche systématique dans la littérature pertinente dans cinq bases de données. En cas de divergence concernant la sélection, un consensus a été trouvé avec l’ensemble des chercheurs, assistés de deux experts supplémentaires. L’extraction des données a été réalisée de la même manière et a encore été vérifiée séparément par le premier auteur. En outre, le premier auteur a classé les différentes interventions sur la base de leur description dans les études originales. La classification finale des interventions a été validée par deux autres auteurs.
Les critères d’inclusion étaient très larges, ce qui a donné lieu à un ensemble d’études présentant une hétérogénéité clinique très importante. Outre l’hétérogénéité clinique, il y avait également une importante hétérogénéité statistique pour un grand nombre de résultats sommés. Une analyse de méta-régression n’a révélé aucune association significative entre les résultats sommés et des facteurs tels que les soins hospitaliers ou ambulatoires, la taille de l’échantillon, l’admission antérieure dans une MRS, la durée de l’intervention et du suivi, l’âge moyen et le pourcentage de femmes. Les chercheurs ont également effectué une analyse de sensibilité qui a montré que les résultats sommés restaient pour l’essentiel inchangés après l’omission d’une seule étude à la fois. Ce n’est qu’après l’omission d’une seule étude que les résultats des interventions à plusieurs composantes et des soins gériatriques spécialisés n’étaient plus statistiquement significatifs.
Pour évaluer le risque de biais de chaque étude, les auteurs ont choisi les directives de l’Agence pour la recherche et la qualité des soins de santé (Agency for Healthcare Research and Quality, AHRQ). Contrairement à l’outil « Risque de biais » de la Collaboration Cochrane, on ne tient compte que de la réalisation en aveugle de l’évaluation de l’effet pour déterminer le risque de biais de détection. Le choix de l’outil de l’AHRQ se justifie certainement car il s’agissait principalement d’interventions non médicamenteuses qu’il n’était pas possible de mener en double aveugle. Deux tiers des études incluses présentaient un faible risque de biais, et les autres, un risque de biais modéré. Les études présentant un risque élevé de biais ont été exclues. Toutefois, l’article et les suppléments ne contiennent pas d’aperçus détaillés des différentes sources de biais pour chaque étude.
Le niveau de preuves a été évalué à l’aide de la méthodologie GRADE (Grading of Recommendations, Assessment, Development, and Evaluations), qui prend en compte le risque de biais, l’incohérence (hétérogénéité), le caractère indirect et l’imprécision. Comme plus de la moitié des études incluses présentaient un risque modéré de biais et une importante hétérogénéité statistique (I² = 79%), un faible niveau de preuve a été attribué à l’effet des soins gériatriques spécialisés. 

 

Évaluation des résultats

Les résultats montrent, avec un niveau de preuve élevé, que les interventions à plusieurs composantes sont efficaces pour prévenir le placement en institution. Sur la base de chiffres absolus, les chercheurs ont calculé que les interventions à plusieurs composantes ont permis de réduire de 5 le nombre d’admissions en MRS pour 1000 personnes âgées. Le résultat favorable des interventions à plusieurs composantes n’est guère surprenant. L’admission en MRS étant influencée par plusieurs facteurs, des stratégies intensives et complexes seront probablement nécessaires pour que les personnes âgées puissent vivre plus longtemps à domicile. Cependant, on ne sait toujours pas clairement quelles composantes spécifiques sont responsables des effets positifs et par quels mécanismes ces résultats sont obtenus ; cette ignorance complique la mise en œuvre de ces interventions dans la pratique. Un résultat favorable des soins gériatriques spécialisés a également été constaté. Ici, il a été possible d’éviter un placement en institution pour 37 personnes âgées sur 1000. La stimulation cognitive a également contribué à retarder le placement en institution des personnes âgées atteintes de démence. Ici, l’effet absolu était encore plus important : 67 personnes âgées sur 1000 ont pu éviter d’être placées en institution. 
Outre l’importante hétérogénéité clinique, deux autres facteurs compliquent l’extrapolation. Premièrement, le manque de clarté du rapport concernant les groupes témoins. Dans 90% des cas, il s’agit des soins habituels, mais on ne sait pas ce que cela signifie exactement. Deuxièmement, de nombreuses études incluses ont examiné une population spécifique, comme des personnes victimes d’AVC ou atteintes de démence. Aucune analyse de sous-groupes avec des populations spécifiques n’a été réalisée. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ? 

Il n’existe pas de guide de pratique spécifique relatif aux interventions visant à prévenir le placement des personnes âgées en MRS. Au Royaume-Uni, le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) souligne l’importance de fournir des soins à domicile centrés sur la personne grâce à des plans de soins clairs, une formation et un soutien appropriés pour le personnel soignant et une coopération entre les prestataires de soins (11). Les services de soins à domicile doivent disposer de suffisamment de temps pour prodiguer des soins de qualité, en tenant compte de la culture et des besoins du bénéficiaire de soins. Les professionnels de la santé et des soins doivent adopter une approche intégrée afin de garantir la sécurité et l’efficacité des soins.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que les interventions à plusieurs composantes, la stimulation cognitive (toutes deux avec des données probantes de qualité élevée) et les soins gériatriques spécialisés (avec des données probantes de faible qualité) sont efficaces pour prévenir le placement des personnes âgées en MRS. L’importante hétérogénéité clinique des études incluses et les données limitées sur les interventions spécifiques et les groupes témoins compliquent l’extrapolation des résultats. 

 


Références 

  1. Binette J. 2021 Home and community preference survey: a national survey of adults age 18-plus. AARP Research 2021. DOI: 10.26419/res.00479.001
  2. Pearson C, Fields C. The John A. Hartford Foundation foresight 50+ omnibus survey. NORC Health Care Strategy, 2021. Accessed July 9, 2021. 
  3. De Weirdt S. Evaluation gérontologique standardisée de la personne âgée hospitalisée en urgence ? MinervaF 2012;11(6):69-70.
  4. Ellis G, Whitehead MA, Robinson D, et al. Comprehensive geriatric assessment for older adults admitted to hospital: meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2011;343:d6553. DOI: 10.1136/bmj.d6553
  5. Gaugler JE, Zmora R, Peterson CA, et al. What interventions keep older people out of nursing homes? A systematic review and meta‐analysis. J Am Geriatr Soc 2023;71:3609-21. DOI: 10.1111/jgs.18522
  6. Olsen C, Pedersen I, Bergland A, et al. Differences in quality of life in home-dwelling persons and nursing home residents with dementia – a cross-sectional study. BMC Geriatr 2016;16:137. DOI: 10.1186/s12877-016-0312-4
  7. Kapoor A, Field T, Handler S, et al. Adverse events in long-term care residents transitioning from hospital back to nursing home. JAMA Intern Med 2019;179:1254-61. DOI: 10.1001/jamainternmed.2019.2005
  8. Levinson DR. Adverse events in skilled nursing facilities: national incidence among Medicare beneficiaries. Office of Inspector General, Dept Health & Human Services, 2014. URL: https://oig.hhs.gov/reports/all/2014/adverse-events-in-skilled-nursing-facilities-national-incidence-among-medicare-beneficiaries/
  9. de Medeiros MM, Carletti TM, Magno MB, et al. Does the institutionalization influence elderly's quality of life? A systematic review and meta-analysis. BMC Geriatr 2020;20:44. DOI: 10.1186/s12877-020-1452-0
  10. Kroemeke A, Gruszczynska E. Well-being and institutional care in older adults: cross-sectional and time effects of provided and received support. PloS One 2016;11:e0161328. DOI: 10.1371/journal.pone.0161328
  11. National Institute of Health and Care Excellence. Home care: delivering personal care and practical support to older people living in their own homes. Published: 17/09/02015 (update 2018). URL: https://www.nice.org.uk/guidance/ng21/resources/home-care-delivering-personal-care-and-practical-support-to-older-people-living-in-their-own-homes-pdf-1837326858181

Cet article a vu le jour lors de la journée des écrivains de Minerva en septembre de l’année passée. Sous la tutelle de membres expérimentés du comité de rédaction, de nouveaux auteurs, médecins et paramédicaux, ont travaillé à l'interprétation d'un article sélectionné par Minerva. Comme toujours ce texte a été révisé par les pairs de la rédaction.

 




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