Revue d'Evidence-Based Medicine



Evaluation gérontologique standardisée de la personne âgée hospitalisée en urgence ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 6 Page 69 - 70

Professions de santé


Analyse de
Ellis G, Whitehead MA, Robinson D, et al. Comprehensive geriatric assessment for older adults admitted to hospital: meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2011;343:d6553.


Question clinique
Une évaluation gérontologique standardisée augmente-t-elle, versus soins courants, la probabilité d’un retour au domicile de personnes âgées fragiles hospitalisées en urgence ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses des études évaluant l’évaluation gérontologique standardisée (CGA) montre l’intérêt de cette approche versus soins courants chez des personnes âgées hospitalisées en urgence en termes de maintien ensuite au domicile. Les données sont plus nombreuses et probantes en faveur des unités hospitalières d’approche CGA que celles des équipes hospitalières itinérantes pour la CGA.


 

 

Contexte

Au décours d’une hospitalisation, les personnes âgées perdent souvent leur autonomie pour la vie quotidienne avec institutionnalisation à la clef, et donc altération de la qualité de vie et coûts supplémentaires. Une évaluation gérontologique (Comprehensive Geriatric Assessment – CGA) pourrait prévenir une telle évolution. L’American Geriatrics Society définit la CGA comme une évaluation multidisciplinaire permettant la mise en évidence, la description et, si possible, l’explication des multiples problèmes d’une personne âgée, avec  un bilan de ses ressources et capacités, une évaluation des services nécessaires, et un plan de soins coordonnés en vue de cibler les interventions en fonction des problèmes personnels (1).

Lors d’une hospitalisation, cette approche peut être entreprise dans une unité gériatrique spécialisée (UGS) ou par une équipe spécialisée travaillant dans un service général. Cette approche est connue en Belgique sous le vocable « liaison gériatrie ».

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyses

 

Sources consultées

  • EPOC Register, Cochrane’s Controlled Trials Register (CCTR), Database of Abstracts of Reviews of Effects (DARE), Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL), MEDLINE, EMBASE, CINAHL, AARP Ageline jusqu’en avril 2010
  • recherche manuelle dans les principales revues et rapports de congrès, dans les listes de référence des synthèses identifiées.

 

Etudes sélectionnées

  • RCTs évaluant la CGA versus soins courants, la CGA étant pratiquée soit en unités de soins gériatriques distinctes, avec équipe multidisciplinaire spécialisée (= unités CGA), soit par des équipes mobiles ou itinérantes de consultation gériatrique interdisciplinaire de patients hospitalisés (= équipes CGA)
  • critères d’exclusion : études concernant des soins spécifiques, par exemple une stroke unit ou une unité de réhabilitation orthopédique, évaluant la CGA en dehors de l’hôpital, avec un processus CGA différent des 2 sus-décrits
  • sur 28 843 publications isolées, 22 RCTs ont été sélectionnées.

 

Population étudiée

  • 10 315 personnes âgées ≥ 65 ans, recrutées dans 6 pays, avec hospitalisation urgente, aiguë, non prévue ou non programmée.

 

Mesure des résultats

  • critère primaire : maintien au domicile à 12 mois de suivi, soit la chance que la personne âgée soit dans sa propre maison
  • critère secondaire : décès, institutionnalisation en Maison de Repos et de Soins (MRS), dépendance, décès ou dépendance, décès ou diminution des capacités fonctionnelles, activités de la vie quotidienne (AVQ), état cognitif, ré hospitalisations, durée d’hospitalisation, recours à des soins.

 

Résultats

  • critère primaire, maintien au domicile à 12 mois de suivi : voir tableau ; résultats meilleurs en unité CGA que pour une équipe CGA
  • critères secondaires pour le CGA versus soins courants :
    • moins d’institutionnalisations en MRS : cote (Eng : odds) représente un rapport de risque, le rapport entre la probabilité de survenue d’une maladie ou d’un évènement et la probabilité de non survenue de cette maladie ou de cet évènement. Un rapport de cotes est un rapport entre 2 cotes.">OR 0,78 avec IC à 95% de 0,69 à 0,88
    • moins de décès ou de diminution des capacités fonctionnelles : OR 0,76 avec IC à 95% de 0,64 à 0,90
    • davantage d’amélioration des capacités fonctionnelles : DMS 0,08 avec IC à 95% de 0,01 à 0,15
    • pas de différence significative pour la mortalité, la dépendance, les décès, les AVQ et les ré hospitalisations.

 

Tableau. Comparaison entre le CGA, en Unités ou en Equipes, versus soins courants pour le critère maintien au domicile à (6 et) 12 mois en Odds Ratio avec IC à 95% et NST.

 

 

Maintien au domicile

Nombre d’études (N) / Nombre de sujets (n)

OR (IC à 95%)

NST

A 6 mois

CGA vs soins courants

N=14 / n=5117

1,25

(1,11 à 1,42)

17

Unités CGA vs soins courants

N=11 / n=4 624

1,31

(1,15 à 1,49)

13

Equipes CGA vs soins courants

N=3 / n=493

0,84

(0,57 à 1,24)

 

A 12 mois

CGA vs soins courants

N=18 / n=7 062

1,16

(1,05 à 1,28)

33

Unités CGA vs soins courants

N=14 / n=6 290

1,22

(1,10 à 1,35)

20

Equipes CGA vs soins courants

N=4 / n=772

0,75

(0,55 à 1,01)

 

 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’évaluation gérontologique standardisée augmente la probabilité du maintien en vie et au domicile du patient après une hospitalisation urgente. Ceci semble particulièrement vrai pour les études concernant des unités destinées à cette évaluation gérontologique standardisée, avec une réduction potentielle des coûts versus soins médicaux généraux.

 

Financement de l’étude

Pas de financement publique, commercial ni du secteur non marchand.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique est de qualité correcte. La recherche dans la littérature et l’extraction des données ont été réalisées par 3 auteurs, indépendamment l’un de l’autre. Les définitions pour les critères d’inclusion et d’exclusion sont précises. Les analyses en sous-groupes sont prévues a priori, par exemple pour les unités CGA ou équipes CGA, distinction faite en fonction de caractéristiques différentes au point de vue personnel et prise en charge. La qualité et l’étendue de la méta-analyse sont limitées par la disponibilité et la qualité faibles des données dans les études originales. Pour la majorité des critères, les études concernant les équipes CGA sont moins nombreuses que celles concernant les unités CGA. Au vu de ce déséquilibre les résultats globaux (unités CGA + équipes CGA) doivent être interprétés avec prudence. Les données se limitent à la mortalité, le maintien au domicile ou la dépendance.

Toutes les études pertinentes ont été évaluées quant aux risques de biais. Elles sont toutes randomisées selon une méthodologie précise mais des éléments essentiels tels que le secret d’attribution ne sont pas toujours mentionnés. La mesure de l’effet est rarement faite en insu. Un risque de biais d’attribution et de détection sont donc possibles. Certaines études mentionnent également le risque d’un biais de migration pour les résultats concernant les critères cognitifs ou fonctionnels. Des méta-analyses ont été réalisées avec ou sans inclusion de ces derniers critères. En présence d’hétérogénéité statistique (test I² > 30%), les analyses ont été faites en modèle d’effets aléatoires et fixes, avec comparaisons. En cas de variable sur des échelles numériques, c’est une différence moyenne pondérée qui a été calculée.

 

Interprétation des résultats

Nous pouvons, en première analyse, conclure que davantage de personnes âgées fragiles sont maintenues au domicile après une hospitalisation urgente si elles bénéficient lors de celle-ci d’une évaluation gérontologique standardisée (CGA) plutôt que de soins courants. Il nous faut cependant tenir compte du fait que ce résultat positif est à attribuer principalement aux résultats observés en unité CGA. Le nombre d’études incluses concernant les équipes CGA sont plus de trois fois moins nombreuses que celles concernant les unités CGA. Il est donc difficile de certifier que les différences de résultats sont significatives entre unités CGA et équipes CGA. Dans une telle unité qui bénéficie généralement d’un aménagement adapté, travaille une équipe avec des liens de collaboration fixés, des compétences complémentaires rôdées et un apprentissage continuel d’une CGA. Ce sont les facteurs principaux d’une plus-value possible des unités versus équipes qui travaillent en collaboration moins étroite, dans différents départements hospitaliers.

Une comparaison directe de la CGA entre les services de soins aigus et ceux pour les soins subaigus n’a pas été possible parce que ces 2 types de service présentaient des critères d’admission non semblables dans les différentes études. Cette étude ne nous permet donc pas de préciser à quel instant il est important d’entamer une CGA lors d’une hospitalisation urgente. Elle n’apporte également qu’une réponse partielle pour définir le type de patient pouvant bénéficier d’une CGA. Une analyse en sous-groupes initialement planifiée a tenté de répondre à cette question pour les critères d’âge et de nécessité d’hospitalisation (chute, délire, incapacité fonctionnelle) mais elle n’apporte pas de données utiles pour la pratique. Il est donc nécessaire d’étendre les recherches concernant les aspects susnommés de la CGA afin d’implanter la CGA, recommandée dans les guides de pratique, de la manière la plus efficiente possible en cas d’hospitalisation urgente. Des analyses coût-efficacité semblent montrer que cette approche CGA peut apporter des économies (2) mais des analyses plus approfondies doivent confirmer cette observation.

 

Autres études

La littérature contient plusieurs analyses de la CGA mais celles-ci sont incomplètes. Une des premières (3) concernait des études d’intervention dans des soins gériatriques spécialisés après AVC ou fracture. Les analyses ont ensuite été faites séparément, par domaine neurologique (4) et orthopédique (5). D’autres recherches ont été réalisées pour certains sous-groupes spécifiques, sélectionnés sur base de la programmation de l’hospitalisation (6), des critères précis du patient (7), du département hospitalier concerné (8). Certaines publications n’apportent pas de données pouvant être analysées (9). Les conclusions de ces études sont globalement en faveur de la CGA pour certains sous-groupes ; en raison de leurs critères d’inclusion, l’avis ne porte que sur un groupe spécifique de patients et ces conclusions sont peut-être prématurées concernant certains aspects de la CGA peut-être efficaces.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyses des études évaluant l’évaluation gérontologique standardisée (CGA) montre l’intérêt de cette approche versus soins courants chez des personnes âgées hospitalisées en urgence en termes de maintien ensuite au domicile. Les données sont plus nombreuses et probantes en faveur des unités hospitalières d’approche CGA que celles des équipes hospitalières itinérantes pour la CGA.

 

Pour la pratique

L’American Geriatrics Society (1) mentionne qu’une évaluation gérontologique standardisée a montré son efficacité en termes d’amélioration de l’état de santé et de la qualité de vie chez des personnes âgées fragilisées et ceci dans différents contextes de soins de santé. Cette évaluation doit comporter, au minimum, l’analyse de la mobilité, de la continence, du status mental, de la nutrition, des médicaments, des ressources personnelles familiales et sociales. Elle doit impliquer toutes les disciplines responsables des soins ainsi que le patient et sa famille. Elle requiert une équipe interdisciplinaire réalisant une évaluation médicale, fonctionnelle et psychosociale et établissant un plan de soins global et une coordination entre tous les intervenants (et la famille) pour sa réalisation.

Cette méta-analyse confirme l’intérêt d’une telle approche en cas d’hospitalisation urgente d’une personne âgée fragile, surtout en Unité spécialisée pour cette approche, en termes de maintien au domicile après l’hospitalisation.

 

 

Références

  1. American Geriatrics Society. Comprehensive Geriatric Assessment Position Statement. Annals of Long-Term Care 2006, volume 14, Issue 3.
  2. NIH News, NINR, May 12, 2004. Available at :www.nih.gov.
  3. Stuck AE, Siu AL, Wieland D, Adams J, Rubenstein LZ. Comprehensive geriatric assessment: a meta-analysis of controlled trials. Lancet 1993;342:1032-6.
  4. Stroke Unit Trialists’ Collaboration. Organised inpatient (stroke unit) care for stroke. Cochrane Database Syst Rev 2007; Issue 4.
  5. Cameron ID, Handoll HHG, Finnegan TP, Madhok R, Langhorne P. Co-ordinated multidisciplinary approaches for inpatient rehabilitation of older patients with proximal femoral fractures. Cochrane Database Syst Rev 2009; Issue 4:
  6. Baztán JJ, Suárez-García FM, López-Arrieta J, et al. Effectiveness of acute geriatric units on functional decline, living at home, and case fatality among older patients admitted to hospital for acute medical disorders: meta-analysis. BMJ 2009;338:b50.
  7. Bachmann S, Finger C, Huss A, et al. Inpatient rehabilitation specifically designed for geriatric patients: systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2010;340:c1718.
  8. Van Craen K, Braes T, Wellens N, et al. The effectiveness of inpatient geriatric evaluation and management units: a systematic review and meta-analysis. J Am Geriatr Soc 2010;58:83-92.
  9. Ellis G, Langhorne P. Comprehensive geriatric assessment for older hospital patients. Br Med Bull 2005;71:45-59.
Evaluation gérontologique standardisée de la personne âgée hospitalisée en urgence ?



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