Analyse


La poudre de canneberge pour prévenir les infections urinaires récurrentes ?


23 10 2025

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Stonehouse W, Benassi-Evans B, Bednarz J, Vincent AD. Whole cranberry fruit powder supplement reduces the incidence of culture-confirmed urinary tract infections in females with a history of recurrent urinary tract infection: a 6-month multicenter, randomized, double-blind, placebo-controlled trial. Am J Clin Nutr 2025;121:932-41. DOI: 10.1016/j.ajcnut.2025.01.022


Question clinique
Dans quelle mesure une préparation standardisée de canneberge à gros fruits (Vaccinium macrocarpon Aiton) prévient-elle les infections urinaires, par comparaison avec un placebo, chez des femmes qui présentent des infections urinaires récidivantes ?


Conclusion
Cette étude randomisée, menée en double aveugle, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que l’utilisation prophylactique d’une préparation standardisée de canneberge (dose quotidienne équivalente à 36 mg de proanthocyanidines) pendant 6 mois réduit de moitié le nombre d’infections urinaires à culture positive, par rapport au placebo, chez des patientes âgées de 18 à 65 ans qui ont eu au moins 3 infections urinaires au cours de la dernière année et au moins 2 infections urinaires au cours des six derniers mois. Pour éviter qu’une femme ne développe une infection urinaire, six femmes ont dû être traitées pendant six mois.


Contexte

La résistance microbienne résultant de l’utilisation répétée d’antibiotiques pour lutter contre les infections urinaires récurrentes soulève la question de la nécessité de traitements alternatifs efficaces. Une analyse d’une synthèse méthodique Cochrane de 2023 dans Minerva a montré que les préparations à base de canneberge pouvaient réduire le risque d’infections urinaires symptomatiques avec ou sans culture urinaire positive chez les femmes souffrant d’infections urinaires à répétition ainsi que chez les enfants et chez les adultes qui sont plus sensibles aux infections urinaires suite à une intervention médicale (1). Cependant, la force des preuves restait modérée en raison d’une importante hétérogénéité statistique, de différences dans la conception des études, dans les préparations de canneberge utilisées et dans les groupes témoins, d’un nombre parfois limité de patients inclus et d’un risque de biais souvent élevé ou indéterminé dans plusieurs domaines (2). Par conséquent, il n’existe pas de preuves claires de l’efficacité des préparations à base de canneberge dans la prévention des infections urinaires récurrentes. Il était donc utile de mener une nouvelle étude randomisée contrôlée (randomized controlled trial, RCT) (3).

 

 

Résumé

 

Population de l’étude 

  • recrutement de femmes ayant des antécédents d’infections urinaires récurrentes à partir des bases de données hospitalières ; dépliants dans les centres commerciaux, les laveries automatiques, les hôpitaux, les pharmacies, les cabinets de médecins généralistes, les cliniques d’urologie et d’autres lieux publics ; annonces à la radio ; articles de journaux et publicités ; médias sociaux ; centres de recrutement
  • critères d’inclusion : femmes âgées de 18 à 65 ans avec un BMI compris entre 17,5 et 35 kg/m², ayant eu ≥ 3 infections urinaires au cours de la dernière année ou ≥ 2 au cours des six derniers mois
  • critères d’exclusion : > 5 infections urinaires au cours des six derniers mois, cultures d’urine positives (> 104 UFC/ml) dans les 7 jours précédant le début de l’étude, utilisation d’antibiotiques (y compris une prophylaxie antibiotique) ou de substances antibactériennes dans les 28 jours précédant le début de l’étude ; utilisation actuelle de préparations contenant du Vaccinium (Vaccinium corymbosum (myrtille arbustive, myrtille américaine ou grande myrtille), canneberge, Vaccinium myrtillus (myrtille commune ou myrtille sauvage), airelle rouge) dans les 28 jours précédant le début de l’étude ; sondage urinaire intermittent ou une sonde urinaire à demeure ; anomalies anatomiques des voies urinaires ; antécédents ou présence de troubles urologiques ou rénaux ; grossesse ou allaitement sans contraception efficace ; antécédents ou présence de troubles cardiaques, hépatiques, gastro-intestinaux et métaboliques graves ou de diabète ; immunodépression ; prise de warfarine ; antécédents ou abus connu de drogues ou d’alcool ; séjour à l’hôpital ou hospitalisation prévue ; suspicion d’allergie au produit de l’étude
  • finalement, inclusion de 150 femmes ayant en moyenne 34,6 ans (ET 14,4 ans) ; 18% étaient ménopausées ; le BMI moyen était de 24,3 (ET 4,4) kg/m² ; 80% étaient sexuellement actives, et 68% ont déclaré ne pas avoir eu de nouveau partenaire au cours de l’année précédente ; les femmes avaient présenté en moyenne 2,2 (ET 0,8) infections urinaires au cours des six derniers mois et 3,3 (ET 1,0) au cours de l’année écoulée.

 

Protocole d’étude 

Étude randomisée, multicentrique, menée en double aveugle, contrôlée contre placebo, à deux groupes parallèles :

  • groupe intervention (n = 75) : prise quotidienne d’une gélule de 500 mg de poudre de canneberge (à la concentration standard de proanthocyanidines > 7,2% suivant la Pharmacopée européenne) avec le repas principal ou immédiatement après, pendant 6 mois
  • groupe placebo (n = 75) : prise quotidienne d’une gélule de placebo de même forme, de même taille, de même couleur et de même odeur, avec le repas principal ou immédiatement après, pendant 6 mois 
  • des échantillons d’urine à mi-jet ont été recueillis lors de consultations planifiées au début de l’étude, après 3 mois et après 6 mois, ainsi que lors de consultations non planifiées lorsque les participantes présentaient des symptômes d’infection urinaire (dysurie, pollakiurie, impériosité urinaire, fièvre, douleur sus-pubienne, hématurie macroscopique) ; les échantillons d’urine ont été analysés et mis en culture ; les chercheurs ont déterminé la présence d’une infection urinaire en cas de culture d’urine positive (> 105 UFC/ml) chez les personnes qui se sont présentées à une consultation non planifiée, ainsi qu’en cas de culture d’urine positive (> 105 UFC/ml) ou mixte chez les personnes qui se sont présentées à une consultation planifiée et qui avaient des symptômes urinaires associés à des résultats d’analyse d’urine anormaux 
  • après 1, 2, 4 et 5 mois, l’observance, les effets indésirables et la prise de médicaments concomitants ont été évalués via un questionnaire en ligne ; vingt-huit jours après la dernière consultation, les effets indésirables et la prise de médicaments concomitants ont également été évalués ; l’observance a également été vérifiée à partir des dossiers des médicaments à l’étude rapportés lors des consultations à 3 et 6 mois.

 

Mesure des résultats 

  • principal critère de jugement : incidence des infections urinaires avec culture positive (> 105 UFC/ml) dans le groupe intervention et dans le groupe témoin, en intention de traiter et exprimée en risque relatif (RR) avec intervalle de confiance à 95% (IC à 95%)
  • critères de jugement secondaires : 
    • incidence des symptômes « pollakiurie » et « impériosité urinaire », avec confirmation par une culture d’urine positive
    • incidence d’un ou de plusieurs symptômes urinaires, avec confirmation par une culture d’urine positive
    • incidence d’une suspicion symptomatique d’infection urinaire
    • délai jusqu’à l’infection urinaire suivante
    • nombre moyen d’infections urinaires par femme/participante.

 

Résultats 

  • résultats du principal critère de jugement : on a observé environ deux fois moins d’infections urinaires avec culture positive dans le groupe intervention que dans le groupe témoin : RR de 0,48 avec IC à 95% de 0,26 à 0,87 ; p = 0,01
  • résultats des critères de jugement secondaires (intervention par rapport au contrôle) :
    • diminution de 81% de l’incidence des infections urinaires avec symptômes « pollakiurie » et « impériosité urinaire » RR de 0,29 avec IC à 95% de 0,13 à 0,63 ; p < 0,01
    • diminution de 58% de l’incidence d’un ou de plusieurs symptômes urinaires, avec confirmation par une culture d’urine positive : RR de 0,42 avec IC à 95% de 0,23 à 0,78 ; p = 0,01 ; pas de différence en termes d’incidence de la dysurie avec confirmation par une culture d’urine positive
    • pas de différence en termes d’incidence de la suspicion symptomatique d’infection urinaire
    • allongement du délai jusqu’à l’infection urinaire suivante : HR de 0,36 avec IC à 95% de 0,18 à 0,74 ; p = 0,01
      moins d’infections urinaires par participante : ratio des taux d’incidence (incidence rate ratio, IRR) de 0,41 avec IC à 95% de 0,21 à 0,79 ; p = 0,01
    • pas de différence en termes d’effets indésirables et d’effets indésirables graves.

 

Conclusion des auteurs

Cette étude menée auprès de femmes en bonne santé souffrant d’infections urinaires récurrentes démontre que la poudre de canneberge entière est sans danger et qu’elle réduit l’incidence des infections urinaires à culture positive ainsi que d’autres conséquences liées aux infections urinaires.

 

Financement de l’étude

Swisse Wellness Pty Ltd a agi en tant que promoteur de l’étude ; Givaudan Flavors Corp était le fournisseur du matériel pour l’étude.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun conflit d’intérêt mentionné.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cette étude randomisée contrôlée menée en double aveugle présente un certain nombre de points forts sur le plan méthodologique. Les participantes ont été recrutées de manière large. Pour s’assurer que les femmes incluses étaient atteintes d’infections urinaires et non d’autres affections urologiques, les chercheurs ont demandé des données supplémentaires : un rapport médical d’un professionnel de la santé détaillant les dates des infections, les médicaments prescrits et au moins un rapport de laboratoire d’une culture d’urine positive au cours des 12 derniers mois. En l’absence de ce document, l’un des chercheurs décidait d’inclure ou non la participante. Les nombreux critères d’exclusion étaient également souvent pertinents. Ainsi, les cultures d’urine positives (> 104 UFC/ml) dans les 7 jours précédant l’entrée dans l’étude ont été exclues afin de garantir que les patientes ne débutaient pas l’étude en étant infectées. Il n’a toutefois pas été possible d’atteindre l’objectif de 300 participantes. Après la période d’inclusion, l’échantillon final de 150 participantes avait une puissance de 80% pour détecter une différence de 19% pour le principal critère de jugement entre les deux groupes (avec un alpha bilatéral de 0,05), en supposant un taux d’incidence de 30% et un taux d’abandons de 10%. Une incidence de 34,7% dans le groupe placebo et un taux d’abandons de 9% restent dans ces limites indiquées. Les chercheurs ont effectué une randomisation en bloc et une stratification selon le centre et la tranche d’âge (18-45 ans ; > 45 ans), deux facteurs qui pourraient certainement influencer le résultat du traitement.
L’intervention utilisée était une préparation standardisée de canneberge, et plus de 95% des participantes du groupe intervention et plus de 88% des participantes du groupe placebo ont pris > 80% des gélules prescrites pendant toute la période d’étude. Le principal critère de jugement a été mesuré de manière rigoureuse. Chez les patientes qui se sont présentées à une consultation programmée et ont fourni un échantillon d’urine, un panel de chercheurs en aveugle a décidé de la relation causale entre une culture positive et les symptômes. En cas de doute, le résultat était néanmoins considéré comme positif. En revanche, les auteurs indiquent que des infections urinaires pourraient avoir été ignorées. On sait que les infections urinaires à culture positive peuvent être asymptomatiques. Le calcul du principal critère de jugement a été effectué selon l’intention de traiter, tandis que pour les critères de jugement secondaires, une analyse par protocole a été utilisée, limitée aux participantes qui respectaient parfaitement le traitement (> 80% des participantes). Les participantes qui n’ont pas pu être suivies ou qui ont abandonné l’intervention et qui n’ont jamais eu d’infection urinaire à culture positive au cours de l’étude ont été considérées comme négatives. Les chercheurs ont effectué une analyse de sensibilité et ont constaté que les résultats ne différaient pas lorsque ces personnes étaient incluses comme infections urinaires à culture positive ou qu’elles étaient exclues de l’analyse.

 

Évaluation des résultats

Les résultats de cette étude sont basés sur un échantillon représentatif de femmes éligibles à un traitement préventif contre les infections urinaires, c’est-à-dire ayant présenté en moyenne deux infections urinaires au cours des six derniers mois. En chiffres absolus, les résultats se traduisent par un nombre de patientes à traiter (number needed to treat, NNT) = 6 pour le principal critère de jugement. Cela signifie que, pour la prévention d’une infection urinaire à culture positive chez 1 femme, 6 femmes ont dû prendre une gélule de poudre de canneberge par jour pendant six mois. Les résultats positifs de cette étude randomisée en double aveugle sont qualitativement cohérents avec ceux des méta-analyses comparant diverses préparations de canneberge et un placebo (1,4-6). L’inconvénient d’un résultat positif dans une méta-analyse est qu’on ne peut pas faire la distinction entre les préparations efficaces et celles qui ne le sont pas. Pour comparer les études, il est également important de connaître la composition des préparations de canneberge utilisées, en particulier la teneur en proanthocyanidines. Une RCT correctement menée avec une préparation standardisée est donc préférable pour se prononcer sur l’efficacité des préparations à base de canneberge. Il existe actuellement en Belgique un médicament enregistré à base de canneberge, en plus de nombreux compléments alimentaires. Une gélule par jour contient l’équivalent de 36 mg de proanthocyanidines, ce qui est comparable à la concentration utilisée dans l’étude discutée ici.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Ebpracticenet (7) recommande des mesures d’hygiène en cas de cystite récurrente chez la femme (GRADE 1C) : boire beaucoup de liquides, vider complètement la vessie, ne pas retarder la miction en cas de besoin d’uriner, éviter l’utilisation de préservatifs ou de pessaires avec lubrifiants spermicides, vider la vessie après les rapports sexuels. Une prophylaxie antimicrobienne peut être envisagée, et elle dure au moins 6 mois, après quoi une réévaluation a lieu (point de bonne pratique (« good practice point », GPP)). Chez les femmes ménopausées, les œstrogènes administrés par voie vaginale peuvent également être envisagés en traitement prophylactique (GRADE 2A). Les mesures suivantes ne sont pas recommandées comme traitement prophylactique : canneberge (GRADE 1A), méthénamine (GRADE 1B), œstrogènes administrés par voie orale (GRADE 1C), phénazopyridine (GRADE 1C), busserole (GRADE 1C).

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, menée en double aveugle, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre que l’utilisation prophylactique d’une préparation standardisée de canneberge (dose quotidienne équivalente à 36 mg de proanthocyanidines) pendant 6 mois réduit de moitié le nombre d’infections urinaires à culture positive, par rapport au placebo, chez des patientes âgées de 18 à 65 ans qui ont eu au moins 3 infections urinaires au cours de la dernière année et au moins 2 infections urinaires au cours des six derniers mois. Pour éviter qu’une femme ne développe une infection urinaire, six femmes ont dû être traitées pendant six mois.

 

 


Références 

  1. Williams G, Stothart CI, Hahn D, et al. Cranberries for preventing urinary tract infections. Cochrane Database Syst Rev 2023, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD001321.pub7 
  2. Laekeman G. Prévention des infections urinaires à l’aide de préparations à base de canneberge ? Minerva analyse 24/05/2024
  3. Stonehouse W, Benassi-Evans B, Bednarz J, Vincent AD. Whole cranberry fruit powder supplement reduces the incidence of culture-confirmed urinary tract infections in females with a history of recurrent urinary tract infection: a 6-month multicenter, randomized, double-blind, placebo-controlled trial. Am J Clin Nutr 2025;121:932-41. DOI: 10.1016/j.ajcnut.2025.01.022
  4. Babar A, Moore L, Leblanc V, et al. High dose versus low dose standardized cranberry proanthocyanidin extract for the prevention of recurrent urinary tract infection in healthy women: a double blind randomized controlled trial, BMC Urol 2021;21:44. DOI:  10.1186/s12894-021-00811-w
  5. Fu Z, Liska D, Talan D, Chung M. Cranberry reduces the risk of urinary tract infection recurrence in otherwise healthy women: a systematic review and meta-analysis, J. Nutr 2017;147:2282-8. DOI: 10.3945/jn.117.254961
  6. Wang CH, Fang CC, Chen NC, et al. Cranberry-containing products for prevention of urinary tract infections in susceptible populations: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials, Arch Intern Med 2012; 172:988-96. DOI: 10.1001/archinternmed.2012.3004 
  7. La cystite chez la femme. Groupe de travail Développement de Guides de pratique de Première Ligne. Mis à jour: 25/01/2017.


Auteurs

Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Code


N30, N39
U71


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