Analyse
La méditation de pleine conscience numérique peut-elle améliorer le stress en entreprise ?
Contexte
En 2024, Minerva a examiné une synthèse méthodique avec méta-analyse qui traitait des applications de pleine conscience. Elle avait montré une réduction, dans une certaine mesure, des symptômes d’anxiété et des symptômes dépressifs, par comparaison avec les contrôles actifs et les contrôles passifs (1,2). La pertinence clinique de l’intervention pouvait cependant être mise en doute. Cette fois, dans un contexte de stress accru sur les lieux de travail (3-5) et de leurs importantes conséquences sur la santé (6,7), Minerva propose une analyse (8) qui traite des effets potentiels de la méditation de pleine conscience numérique sur le stress au travail.
Résumé
Population étudiée
- méthode de recrutement sur base de volontariat : affiches, info-stands lors d’évènements du personnel, emails internes
- critères d’inclusion :
- ≥ 18 ans
- salarié UCSF Health Sytem (centre médical universitaire, San Francisco, USA)
- stress léger → modéré (Perceived Stress Scale ≥ 15/40)
- accès régulier à un appareil connecté
- compréhension courante de l’anglais
- critère d’exclusion principal : pratique régulière de méditation assise ≥ 3 fois/sem. dans les 3 mois précédents
- au final, 1458 personnes ont été recrutées ; âge moyen de 35,54 ans (ET 10,30) ; sexe : 1178 femmes (80,8%), 261 hommes (17,9%) et 19 autres, non genrés (1,3%) ; race : 51,8% de blancs, 27,4% d’asiatiques, 3,4% de noirs/AA, 0,9% d’hawaïens/PI, 0,1% Amérindiens ou Autochtones de l’Alaska, 5,4% multiraciaux et 10,9% d’autres/non déclarés ; les professions les plus courantes étaient : 28% du personnel de recherche, 22% du personnel médical, 19% administratif et le reste de divers ; niveau de stress initial (PSS) : moyenne 21,4 ± 4,9 (modéré) ; 89% déclaraient méditer « jamais/moins d’une fois par mois ».
Protocole d’étude
Essai clinique randomisé (RCT)
-
- intervention (n = 728)
- nature : Application mobile Headspace (pleine conscience guidée)
- contenu imposé :
- cours Basics (30 sessions) → fondamentaux de la méditation
- puis cours Letting Go of Stress (30 sessions) → gestion des émotions/stress
- accès libre aux autres modules possible
- dose / durée : 10 minutes de méditation guidée chaque jour, pendant 8 semaines
- support et suivi :
- code d’abonnement 1 an fourni
- relances (téléphone, email, SMS) si < 1 session dans les 2 premières semaines
- adhésion enregistrée automatiquement (minutes/jour)
- comparateur (n = 730)
- type : liste d’attente / soins habituels
- instructions :
- continuer activités normales
- ne pas débuter de pratique de méditation pendant les 8 semaines.
- intervention (n = 728)
Critères de jugement
- le critère de jugement primaire était le stress perçu :
- mesuré par la Perceived Stress Scale-10 (Échelle de stress perçu, 10 items)
- les mesures ont été réalisées au départ (baseline), à 8 semaines et à 4 mois
- les critères de jugement secondaires comprenaient :
- la Effort-Reward Imbalance Scale (Échelle déséquilibre effort-récompense), mesures à baseline, 8 semaines et 4 mois
- le Bergen Burnout Inventory, mesuré à baseline et 8 semaines
- l’Utrecht Work Engagement Scale 9 (UWES-9) (Engagement au travail), incluant le score total et les sous-scores vigueur, dévouement et absorption, mesuré à baseline, 8 semaines et 4 mois, avec une fiabilité d’environ 0,89
- la Mindfulness Attention Awareness Scale (MAAS-15) (Pleine conscience dispositionnelle, 15 items), auto-questionnaire avec scores de 1 à 6 (plus le score est élevé, plus la pleine conscience est importante), mesurée à baseline, 8 semaines et 4 mois
- le Patient Health Questionnaire-8 (PHQ-8) pour les symptômes dépressifs, mesuré à baseline et 8 semaines
- le Generalized Anxiety Disorder-7 (GAD-7) pour les symptômes anxieux, mesuré à baseline et 8 semaines
- calendrier résumé : T0 (baseline) : tous les questionnaires ; T1 (8 semaines) : Perceived Stress Scale et l’ensemble des critères secondaires ; T2 (4 mois) : Perceived Stress Scale, Échelle Déséquilibre Effort-Récompense, Utrecht Work Engagement Scale et Mindfulness Attention Awareness Scale
- analyse en intention de traiter au moyen de modèles mixtes linéaires ajustés sur la valeur de base, avec estimation des tailles d’effet (Cohen d) et intervalles de confiance à 95%.
Résultats
- les résultats du critère de jugement primaire montrent une réduction clinique nette du stress perçu à 8 semaines et persistante à 4 mois (voir tableau 1) :
Tableau 1. Résultats des évaluations à l’Échelle de Stress Perçu (PSS).
|
Temps |
Δ MED – WL (moyenne) |
IC 95% |
p |
Taille d’effet (Cohen d) |
|
8 sem. |
-4,70 points PSS |
-5,17 ; -4,23 |
< 0,001 |
0,85 |
|
4 mois |
-3,59 points PSS |
-4,08 ; -3,10 |
< 0,001 |
0,71 |
MED = groupe méditation numérique, WL = liste d’attente
- les critères de jugement secondaires montrent (voir tableau 2) :
- une diminution significative de la tension au travail et du burn-out
- une amélioration de l’engagement professionnel et de la pleine conscience
- une réduction de façon modérée des symptômes dépressifs et anxieux.
Tableau 2. Résultats des critères de jugement secondaires.
|
Mesure |
Temps |
Δ MED – WL (moy.) |
avec IC à 95% |
Valeur de p |
d de Cohen |
|
Ratio Effort/Récompense |
8 sem. |
-0,12 |
de -0,16 à -0,08 |
< 0,001 |
0,34 |
|
4 mois |
-0,13 |
de -0,17 à -0,09 |
< 0,001 |
0,37 |
|
|
Sur-engagement |
8 sem. |
-1,17 |
de -1,47 à -0,87 |
< 0,001 |
0,44 |
|
Burn-out total (BBI) |
8 sem. |
-0,30 |
de -0,38 à -0,20 |
< 0,001 |
0,39 |
|
Engagement au travail (UWES total) |
8 sem. |
0,32 |
de 0,26 à 0,38 |
< 0,001 |
0,31 |
|
4 mois |
0,23 |
de 0,15 à 0,31 |
< 0,001 |
0,35 |
|
|
Pleine conscience (MAAS) |
8 sem. |
0,43 |
de 0,35 à 0,51 |
< 0,001 |
0,63 |
|
4 mois |
0,45 |
de 0,38 à 0,53 |
< 0,001 |
0,71 |
|
|
PHQ-8 (dépression) |
8 sem. |
-2,28 |
de -2,70 à -1,84 |
< 0,001 |
0,58 |
|
GAD-7 (anxiété) |
8 sem. |
-2,70 |
de -3,19 à -2,22 |
< 0,001 |
0,63 |
Conclusion des auteurs
Les résultats suggèrent qu'un programme bref et numérique de pleine conscience constitue une méthode facilement accessible et évolutive pour réduire la perception du stress. Les travaux futurs devraient viser à clarifier les mécanismes par lesquels ces interventions contribuent à l'amélioration du bien-être au travail.
Financement de l’étude
University of California San Francisco Healthy Campus Network, Headspace, Inc. et the National Center for Complementary and Integrative Health.
Conflit d’intérêts des auteurs
Plusieurs auteurs déclarent être conseillers scientifiques rémunérés pour Oura (capteur de sommeil) et Meru Health (entreprise de télésanté mentale) ou être conseillers scientifiques pour NeuroGeneces ou avoir reçu des subventions de la part de Headspace, Inc. durant l’étude, ainsi que des honoraires personnels de cette même société en dehors du cadre de l’étude.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Le protocole a été correctement enregistré sur ClinicalTrials.gov et le rapport a été rédigé conformément aux recommandations CONSORT (Consolidated Standards of Reporting Trials).
L’étude est un essai clinique randomisé contrôlé, design pertinent pour évaluer l’efficacité d’une intervention. La séquence d’allocation aléatoire a été générée par ordinateur via Qualtrics et n’a été révélée qu’au moment de l’affectation, assurant ainsi une dissimulation adéquate. Les deux groupes étaient comparables. Bien qu’aucun calcul formel de taille d’échantillon ne soit rapporté, le nombre élevé de sujets (n = 1458) confère une puissance statistique confortable.
L’intervention est décrite de façon reproductible : application Headspace, dix minutes quotidiennes, modules Basics puis Letting Go of Stress durant huit semaines, avec enregistrement objectif de l’adhésion et relances systématiques en cas de pratique insuffisante. Le comparateur est une simple liste d’attente sans activité placebo ; cette absence de contrôle actif peut amplifier l’effet observé par un biais d’attention ou d’attente.
Aucun aveugle n’était possible pour les participants ni pour l’équipe de recherche, ce qui expose à un biais de performance et de mesure, d’autant que tous les critères - stress perçu (PSS), tension au travail (ERI), burn-out (BBI), engagement (UWES), pleine conscience (MAAS), symptômes dépressifs (PHQ-8) et anxieux (GAD-7) - sont auto-rapportés. Les instruments utilisés sont valides et très fiables (0,81 à 0,89). L’analyse a été conduite en intention de traiter au moyen de modèles mixtes linéaires ajustés sur la valeur de base, avec estimation des tailles d’effet (Cohen d) et intervalles de confiance à 95%, ce qui renforce la robustesse statistique.
L’attrition globale reste modérée (16%), mais plus élevée dans le bras intervention (20%) que dans le bras contrôle (13%), ce qui peut introduire un biais s’il est lié à l’efficacité ou à la tolérance. Les auteurs n’ont pas mesuré ni ajusté les autres pratiques de gestion du stress (activité physique, yoga, cohérence cardiaque, etc.) susceptibles de confondre les résultats.
Enfin, l’étude est financée par UCSF Healthy Campus Network, Headspace Inc. et le NCCIH ; deux auteurs principaux déclarent des relations financières avec des entreprises du secteur bien-être, ce qui impose de garder un œil critique sur l’interprétation finale. Il est cependant mentionné que les financeurs n’ont assuré aucun rôle dans la conception, la conduite, l’analyse, l’interprétation, la rédaction ou la décision de publication de l’essai.
Évaluation des résultats
L’étude montre une amélioration substantielle du stress perçu chez les participants exposés à la méditation numérique, avec une réduction marquée à huit semaines maintenue à quatre mois, et des bénéfices convergents plus modestes sur la tension au travail (déséquilibre effort–récompense, sur-engagement), le burn-out (soulagement partiel), l’engagement professionnel (légère progression), la pleine conscience dispositionnelle (augmentation cohérente avec l’intervention) ainsi que des diminutions des symptômes dépressifs et anxieux sans atteindre les seuils de réponse thérapeutique en psychothérapie; l’effet sur le stress dépasse la différence minimale cliniquement importante et s’accompagne d’un gradient dose–réponse (≥ 5 minutes/jour plus efficace que < 5 minutes/jour). Les limites majeures tiennent au comparateur passif (liste d’attente) qui ne permet pas d’isoler l’effet spécifique de la pleine conscience des facteurs non spécifiques (attention/attentes), aux critères tous auto-rapportés sans aveuglement (biais de mesure), à l’absence de recueil/contrôle des co-interventions (activité physique, soutien social, autres stratégies antistress)
Deux biais supplémentaires limitent la validité externe : un biais techno-logistique, car l’intervention suppose la maîtrise d’un smartphone, une connexion fiable et une littératie numérique élevée - conditions très probables chez des salariés universitaires mais pas chez des ouvriers, aides-soignants ou travailleurs âgés. L’autre biais est un biais socio-culturel et organisationnel, le campus UCSF étant déjà favorable aux approches “mindfulness” (9) et offrant des marges d’autonomie (temps de pause, lieux calmes) qui facilitent la pratique, contrairement à des milieux plus contraints (chantier, chaîne de production, PME).
Ces deux biais peuvent à la fois augmenter l’adhésion et amplifier l’effet mesuré, rendant la transposition à d’autres secteurs incertaine.
En outre, les participants à cette étude ont été suivis et encouragés à utiliser l'application, ce qui sera peut-être moins le cas dans la pratique et pourrait donc conduire à des résultats moins favorables. Pour confirmer la robustesse et la transférabilité de l’effet, il serait nécessaire de reproduire l’étude dans des secteurs professionnels moins « cadres », socio-économiquement plus variés, et auprès d’employeurs aux contraintes organisationnelles différentes.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Les lignes directrices de l’OMS sur la santé mentale au travail recommandent, parmi les interventions individuelles, l’usage de méthodes telles que la mindfulness ou les approches cognitivo-comportementales pour la prise en charge des personnes en détresse émotionnelle au travail (10).
Conclusion de Minerva
Cette RCT montre qu’un programme bref de méditation de pleine conscience délivré numériquement est une méthode efficace, accessible et évolutive pour réduire le stress perçu et améliorer divers aspects du bien-être chez les employés d’un centre médical universitaire. Cet essai randomisé présente une rigueur méthodologique élevée (allocation dissimulée, analyse en intention de traiter, instruments validés), mais sa population - majoritairement féminine, hautement qualifiée, familière des outils numériques et issue d’un environnement universitaire favorable à la pleine conscience - limite la généralisabilité des résultats.
- Stas P. Quelle est l’utilité des applications pour la pleine conscience en cas de symptômes de dépression et d’anxiété ? Minerva Analyse 25/08/2025.
- Linardon J, Messer M, Goldberg SB, Fuller-Tyszkiwicz M. The efficacy of mindfulness apps on symptoms of depression and anxiety : an updated meta-analysis of randomized controlled trials. Clin Psychol Rev 2024;107:102370. DOI: 10.1016/j.cpr.2023.102370
- Rigó M, Dragano N, Wahrendorf M, et al. Work stress on rise? Comparative analysis of trends in work stressors using the European working conditions survey. Int Arch Occup Environ Health 2021;94:459-474. DOI: 10.1007/s00420-020-01593-8
- Schneider E, Milczarek M, Rial González E, eds. OSH in figures: stress at work - facts and figures. Office for Official Publications of the European Communities, 2009. European Agency for Safety and Health at Work (EU-OSHA). ISBN: 978-92-9191-224-7.
- Lepaya. Reinventing work: une enquête sur le stress des salariés en Europe. (Lepaya 2023. Accessed 7/08/2025 from: https://www.lepaya.com/fr/resources/reinventing-work/)
- World Health Organization; International Labour Organization. WHO/ILO joint estimates of the work related burden of disease and injury, 2000-2016. Global monitoring report. WHO and ILO, 2021. Available from: https://www.who.int/teams/environment-climate-change-and-health/monitoring/who-ilo-joint-estimates
- Pega F, Nafradi B, Momen N, et al. Global, regional, and national burdens of ischemic heart disease and stroke attributable to exposure to long working hours for 194 countries, 2000-2016: a systematic analysis from the WHO/ILO Joint Estimates of the Work Related Burden of Disease and Injury. Environ Int 2021;154:106595. DOI: 10.1016/j.envint.2021.106595
- Radin RM, Vacarro J, Fromer E, et al. Digital meditation to target employee stress: a randomized clinical trial. JAMA Netw Open 2025;8:e2454435 DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2024.54435
- Spiritual Care Services. Mindfulness at UCSF. Spiritual Care Services. University of California San Francisco, published 2024. Accessed 7/08/2025. Available from: https://spiritualcare.ucsf.edu/mindfulness
- World Health Organization. Guidelines on mental health at work. WHO, 2022. Accessed 7/08/2025. Available from: https://www.who.int/publications/i/item/9789240053052
Auteurs
Tock R.
MSc Infirmières
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Code
R45, Z56, Z73
P29, Z05
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