Revue d'Evidence-Based Medicine
Enurésie nocturne de l’enfant : mesures hygiéno-diététiques en première intention ?
Contexte
Pour le traitement de l’énurésie de l’enfant, les experts recommandent des mesures hygiéno-diététiques avant de recourir au système d’alarme ou à la desmopressine (1). Les mesures hygiéno-diététiques (uriner à intervalles réguliers, adopter une bonne position pour uriner, boire selon des habitudes saines, traiter la constipation) visent à prévenir l’hyperactivité du muscle detrusor. À ce jour, l’efficacité des mesures hygiéno-diététiques n’a été montrée que chez les enfants souffrant d’incontinence urinaire diurne (2).
Résumé
Population étudiée
- 40 enfants : âge médian de 6 ans (ET de 6 à 8 ans), 29 garçons et 11 filles, souffrant d’énurésie nocturne pendant au moins 8 nuits sur 14 ; recrutés dans 2 policliniques pédiatriques d’avril 2012 à avril 2014
- critères d’exclusion : incontinence urinaire diurne, traitement antérieur pour incontinence urinaire diurne, traitement antérieur au moyen du système d’alarme, traitement antérieur de deuxième intention pour énurésie, malformation urologique.
Protocole d’étude
- étude contrôlée randomisée menée en ouvert, incluant 2 groupes
- groupe A (n = 20) : mesures hygiéno-diététiques durant 1 mois, suivies par un traitement au moyen d’un système d’alarme pendant 8 semaines
- groupe B (n = 20) : traitement au moyen d’un système d’alarme pendant 8 semaines
- les mesures hygiéno-diététiques consistaient en des explications correctes sur l’incidence et la pathogenèse de l’énurésie nocturne, la recommandation d’aller uriner régulièrement durant la journée, de boire moins le soir, d’uriner en position assise, de faire suffisamment d’exercices physiques et d’arrêter les traitements de l’énurésie qui n’étaient pas efficaces
- avant la randomisation, un pédiatre a effectué, chez tous les participants, un examen clinique pour dépister une affection sous-jacente ou une constipation ; la constipation a été traitée ; une débitmétrie mictionnelle a été réalisée, et le résidu post-mictionnel a été déterminé ; et il a été demandé de tenir un journal des mictions (enregistrement du nombre de nuits sèches et de nuits mouillées et des symptômes des voies urinaires basses pendant la journée) pendant 14 jours et de mesurer pendant 48 heures les volumes des mictions et la production d’urine nocturne (en pesant les couches).
Mesure des résultats
- la différence quant au nombre de nuits mouillées entre le début de l’étude et les 14 derniers jours avant la fin de l’application des mesures hygiéno-diététiques dans le groupe A
- la différence quant au nombre de nuits mouillées entre le début de l’étude et les 14 derniers jours avant la fin du traitement au moyen d’un système d’alarme dans le groupe A et dans le groupe B.
Résultats
- avec l’application des mesures hygiéno-diététiques, le nombre de nuits mouillées est passé de 11,95 (ET 2,5) à 10,5 (ET 4,8) (p = 0,089) dans le groupe A
- avec le traitement au moyen d’un système d’alarme, le nombre de nuits mouillées est passé de 11,95 (ET 2,5) à 5,6 (ET 5,36) (p < 0,001) dans le groupe A et de 12,55 (ET 2,3) à 4,85 (ET 5,38) (p = 0,001) dans le groupe B (p = 0,74 pour la différence entre A et B).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que la recommandation de prescrire en première intention des mesures hygiéno-diététiques à tous les enfants souffrant d’énurésie nocturne ne se justifie plus. Ils recommandent d’instaurer au plus tôt un traitement par un système d’alarme ou la desmopressine.
Financement de l’étude
Le premier auteur a été financé par la Aleris Foundation et par la Gillbergska Foundation.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aucun conflit d’intérêt n’est déclaré.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette étude menée en ouvert présente un certain nombre de faiblesses importantes sur le plan méthodologique. Ainsi, nous ne disposons pas d’information sur la manière dont la randomisation a été effectuée. Elle s’est probablement déroulée correctement car il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant aux caractéristiques de base (âge, sexe, fréquence des mictions pendant la journée, volume mictionnel moyen et maximal en journée, volume mictionnel maximal, volume de l’énurésie, production urinaire nocturne au cours des nuits mouillées). Cependant, on ne sait pas si les symptômes urinaires diurnes (tels que l’impériosité mictionnelle) avaient été répartis équitablement entre les deux groupes.
Le traitement au moyen d’un système d’alarme a débuté à des moments différents dans les deux groupes. Les auteurs défendent ce choix en affirmant que, pour des raisons éthiques, refuser un traitement, quel qu’il soit, à des enfants souffrant d’énurésie nocturne ne se justifie pas. Le calcul de la puissance a été préalablement effectué, mais le seuil pour une différence cliniquement significative se base uniquement sur un consensus. Enfin, les investigateurs n’ont pas suffisamment contrôlé dans quelle mesure les mesures hygiéno-diététiques prescrites dans le groupe A ont réellement été appliquées. D’après eux, un suivi plus strict par contacts téléphoniques, par exemple, ou lors de visites au centre, pourrait pourtant être considéré en soi comme une intervention.
Interprétation des résultats
Cette étude montre que, chez les enfants énurétiques qui ne souffrent pas d’incontinence urinaire diurne, les mesures hygiéno-diététiques en monothérapie ne réduisent pas le nombre de nuits mouillées et, en traitement adjuvant, n’augmentent pas l’efficacité d’un système d’alarme. Les investigateurs ont cependant aussi inclus des enfants présentant des symptômes d’impériosité mictionnelle. Il est pourtant indiqué d’adresser les enfants atteints d’énurésie polysymptomatique à un centre spécialisé parce que, sur le plan clinique, thérapeutique et pathogénétique, ils diffèrent des enfants atteints d’énurésie simple (3,4).
L’absence d’efficacité des mesures hygiéno-diététiques pourrait également être attribuée à une application insuffisante ou insuffisamment longue des recommandations (voir plus haut). Malgré des résultats statistiquement significatifs en faveur de l’efficacité d’un système d’alarme, on ne sait pas si ce dernier représentait la meilleure approche thérapeutique pour tous les participants. En cas de production urinaire nocturne normale, mais avec faible capacité vésicale, la préférence va au système d’alarme, tandis qu’en cas de production urinaire nocturne accrue avec capacité vésicale normale ou faible, on propose respectivement la desmopressine et l’association de desmopressine au système d’alarme.
Conclusion de Minerva
Cette RCT menée en ouvert montre que les mesures hygiéno-diététiques comme traitement de première intention chez les enfants souffrant d’énurésie nocturne ne réduit pas le nombre de nuits mouillées et n’a pas d’influence sur l’effet d’un système d’alarme. Étant donné les faiblesses méthodologiques de cette étude, de futures études de bonne qualité méthodologique sont nécessaires pour confirmer ou infirmer ces résultats avant de pouvoir adapter le guide de bonne pratique actuel sur ce sujet.
Pour la pratique
Selon le NHG, une bonne discussion avec l’enfant et les parents constitue la base d’une intervention efficace en cas d’énurésie nocturne. Ensuite, on peut instaurer une thérapie cognitivo-comportementale (comme la méthode du calendrier ou la méthode de la motivation), éventuellement suivie par une méthode plus intensive (comme l’entraînement de la vessie et le système d’alarme). Si l’efficacité n’est pas suffisante, un journal des mictions peut être utile pour déterminer le choix du traitement (5). Selon le NHG (5) et le guide de pratique clinique de Duodecim (6), en cas d’échec des traitements non médicamenteux, un médicament comme la desmopressine peut éventuellement être prescrit. Cette étude, qui présente d’importantes faiblesses méthodologiques, remet en question l’utilité des mesures hygiéno-diététiques (consistant en des explications complétées par des conseils sur les habitudes à adopter pour boire et pour uriner) comme traitement pour l’énurésie nocturne et confirme l’utilité d’un système d’alarme.
Références
- Neveus T, Eggert P, Evans J, et al; International Children's Continence Society. Evaluation and treatment of monosymptomatic enuresis: a standardization document from the International Children's Continence Society. J Urol 2010;183:441-7.
- Hoebeke P, Bower W, Combs A, et al. Diagnostic evaluation of children with daytime incontinence. J Urol 2010;183:699-703.
- Neveus T, von Gontard A, Hoebeke P, et al. The standardization of terminology of lower urinary tract function in children and adolescents: report from the Standardisation Committee of the International Children's Continence Society. J Urol 2006;176:314-24.
- Butler RJ, Holland P. The three systems: a conceptual way of understanding nocturnal enuresis. Scand J Urol Nephrol 2000;34:270-7.
- Boomsma LJ, Van Dijk PA, Dijkstra RH, et al. NHG-Standaard Enuresis nocturna (Eerste herziening). Huisarts Wet 2006;49:663-71.
- Enurésie chez l’enfant. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 24.8.2009.
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