Revue d'Evidence-Based Medicine



Les résultats des synthèses méthodiques sont-ils tous applicables au niveau de la première ligne ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 2 Page 29 - 30

Professions de santé


Le but ultime des études cliniques et, par extension, des synthèses méthodiques, est de montrer qu’il est justifié d’utiliser dans la pratique clinique une intervention déterminée ou un instrument diagnostique donné chez un patient particulier. C’est surtout la validité externe qu’il importe d’évaluer. Les résultats trouvés peuvent-ils être extrapolés à mon patient qui, de par son âge, son sexe, ses comorbidités et ses autres caractéristiques, ne correspond pas nécessairement en tous points à la population étudiée ? L’environnement dans lequel les études ont été menées et la possibilité d’extrapoler les résultats à d’autres environnements forment une partie distincte de cette validité externe. Ce point a trop peu retenu l’attention jusqu’à ce jour.

A cet égard, il est important de faire une distinction entre la première et la deuxième et qui plus est avec la troisième ligne. Ce qui vaut pour la première ligne ne vaut peut-être pas pour la deuxième ligne, et vice versa, essentiellement parce que la population de patients varie d’un environnement à l’autre, de même que la prévalence et la gravité des affections. Il est donc important, lors de la publication des résultats de la recherche, de mentionner explicitement dans quel environnement l’étude initiale a été conduite et de dire si les conclusions peuvent être généralisées à d’autres environnements. Outre la population qui a ses caractéristiques propres en fonction de l’environnement, les interventions, les comparateurs et les critères de jugement (= PICO, pour Patient-Intervention-Comparison-Outcome) peuvent également être différents d’un environnement à l’autre (1). Ainsi, certaines interventions, telles que les opérations chirurgicales et les examens invasifs, requièrent le plus souvent un environnement spécialisé spécifique. Les caractéristiques de la première ligne peuvent être différentes d’un pays à l’autre selon l’organisation des soins de santé et l’accessibilité à la deuxième/troisième ligne. La prévalence de certaines affections peut aussi varier d’un pays à l’autre. Il est donc difficile de tirer des conclusions uniformes d’une synthèse méthodique et de la méta-analyse associée alors qu’elles sont conçues pour un vaste public international. Toutefois, nous attendons à tout le moins que des informations soient données sur les conditions et les caractéristiques essentielles relatives au contexte.

Les résultats des synthèses méthodiques sont le plus souvent intégrés dans des recommandations. On sait aussi qu’en raison du manque d’information concernant l’applicabilité au niveau de la première ligne, la recommandation est le plus souvent mal appliquée (2). Une étude publiée en 2015 (2) a montré que, parmi 163 synthèses méthodiques de la Cochrane Collaboration choisies au hasard entre 2008 et 2013 et qui n’excluaient pas explicitement les études de première ligne, seulement 30 (18%) indiquaient dans la section méthodologie qu’elles avaient retenu des études de première ligne. Parmi ces 30 études, 19 (63%) indiquaient que les résultats trouvés étaient applicables au niveau de la première ligne. Les autres (N = 133) ne donnaient, dans la section méthodologie, aucun détail concernant l’environnement. Seulement 6 de ces 133 études (4,5%) parlaient de l’applicabilité au niveau de la première ligne, et 12 (9%) indiquaient que les résultats étaient applicables en milieu spécialisé uniquement.

On doit donc se débrouiller avec ce que l’on reçoit. Les synthèses méthodiques sont dans l’impossibilité de donner des informations sur l’environnement et le contexte si ces éléments n’apparaissent pas dans les études cliniques randomisées originales, contrairement aux exigences de la déclaration CONSORT (3), qui est la directive pour la publication des résultats de recherche. En outre, dans certains domaines de la première ligne, le nombre d’études, s’il y en a, est relativement limité de sorte qu’une extrapolation des résultats est requise. Dans une synthèse méthodique avec méta-analyse(s), les cliniciens peuvent déjà, en fonction de l’environnement visé, émettre un jugement de valeur sur les différentes études cliniques randomisées. Ce jugement de valeur devrait alors donner du poids aux études incluses dans la méta-analyse en fonction de l’environnement pour lequel on désire avoir les résultats les plus probants, ce qui fait que les résultats des méta-analyses pourraient être diversifiés en fonction du contexte/milieu (4).

Tout ceci devrait nous stimuler à effectuer davantage d’études au niveau de la première ligne, en privilégiant une approche pragmatique (5). Quant à la rédaction de Minerva, elle privilégie la sélection d’études et de synthèses méthodiques pertinentes pour la première ligne et applicables à ce niveau.

 

Références

  1. Fahey T. Applying the results of clinical trials to patients to general practice: perceived problems, strengths, assumptions, and challenges for the future. Br J Gen Pract 1998;48:1173-8.
  2. Missiou A, Tatsioni A. Systematic reviews do not comment on applicability for primary care. J Clin Epidemiol 2015;68:1152-60.
  3. Schulz KF, Altman DG, Moher D; CONSORT Group. CONSORT 2010 statement: updated guidelines for reporting parallel group randomised trials. BMJ 2010;340:c332.
  4. Kriston L, Meister R. Incorporating uncertainty regarding applicability of evidence from meta-analyses into clinical decision making. J Clin Epidemiol 2014;67:325-34.
  5. Michiels B. Quelle est la grande particularité des essais cliniques pragmatiques ? MinervaF 2014;13(10):129.

 


Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
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