Revue d'Evidence-Based Medicine
Le nicotinamide (vitamine B3 ou PP) en chimioprévention du cancer cutané ?
Contexte
L’exposition aux rayons ultraviolets (UV) est la principale cause de carcinome basocellulaire, de carcinome spinocellulaire et de kératose actinique (1). L’effet de la crème solaire en prévention du carcinome spinocellulaire et de la kératose actinique a été démontré (2,3) mais l’observance étant faible, il convient de rechercher d’autres moyens préventifs. Le nicotinamide (vitamine B3 ou PP) connu pour son effet protecteur contre les lésions de l’ADN causées par les rayons ultraviolets (4) a été proposé.
Résumé
Population étudiée
- 386 patients âgés de plus de 18 ans (âge moyen de 66,4 ans (DS 11,8 ans)), dont 63% de sexe masculin, ayant présenté, au cours des 5 années précédentes, au moins 2 cancers cutanés autres que des mélanomes et confirmés à l’histologie
- critères d’exclusion : immunodépression, grossesse ou allaitement, insuffisance rénale ou hépatique, ulcère gastrique, infarctus du myocarde récent, hypotension, prédisposition génétique au cancer de la peau, zones étendues et confluentes avec un cancer de la peau, utilisation antérieure de nicotinamide ou de rétinoïdes oraux ou d’un traitement local (tel que le fluorouracile) pour des lésions de kératose actinique au cours des 4 semaines précédentes, antécédent de mélanome invasif ou de cancer métastatique au cours des 5 années précédentes.
Protocole de l’étude
Étude randomisée menée en double aveugle, contrôlée, avec 2 groupes égaux (étude de phase III)
- 500 mg de nicotinamide per os (n = 193) ou placebo (n = 193) 2 fois par jour pendant 12 mois
- stratification en fonction des antécédents (< 6 et ≥ 6 carcinomes basocellulaires ou épidermoïdes), du sexe et du centre de recherche
- suivi : tous les 3 mois pendant 18 mois.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : nombre de nouveaux cancers cutanés autres que des mélanomes et confirmés à l’histologie (comme des carcinomes basocellulaires ou des épidermoïdes à n’importe quel stade) après 12 mois
- critères de jugement secondaires : nombre de nouveaux carcinomes basocellulaires, carcinomes épidermoïdes et lésions de kératose actinique durant les 12 mois de traitement ; nombre de nouveaux cancers cutanés autres que des mélanomes durant les 6 mois suivant le traitement ; nombre d’effets indésirables
- analyse en intention de traiter
- analyse de sensibilitéavec correction pour tenir compte du centre de recherche et des antécédents.
Résultats
- critère de jugement primaire : le nombre moyen de cancers cutanés autres que des mélanomes, par personne, après 12 mois, était plus faible, et ce de manière statistiquement significative, dans le groupe nicotinamide que dans le groupe placebo (1,8 vs 2,4 ; différence relative de 23% avec IC à 95% de 4% à 38% ; p = 0,02). Pas de diminution statistiquement significative du nombre de cancers cutanés autres que des mélanomes, par personne, durant les 6 mois de suivi après le traitement
- critères de jugement secondaires : pas de diminution statistiquement significative du nombre de nouveaux carcinomes basocellulaires et de carcinomes épidermoïdes par personne avec le nicotinamide versus placebo après 12 mois ; 13% en moins de lésions de kératose actinique avec le nicotinamide versus placebo après 12 mois (p = 0,001) ; pas de différence statistiquement significative entre le groupe nicotinamide et le groupe placebo quant aux effets indésirables.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que la prise de nicotinamide (vit B3 ou PP) per os était efficace et sans danger pour réduire le nombre de nouveaux cancers cutanés autres que des mélanomes et le nombre de lésions de kératose actinique chez les patients présentant un risque élevé de cancer cutané.
Financement de l’étude
National Health and Medical Research Council ; Blackmores Pharmaceuticals a fourni le médicament de l’étude.
Conflits d’intérêts des auteurs
Les promoteurs n’ont pas eu d’influence sur la conception de l’étude, sur la collecte des résultats et sur la rédaction de l’article.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Il s’agit ici d’une étude contrôlée randomisée (RCT) menée en double aveugle. La randomisation a été effectuée centralement, et la stratification s’est faite en fonction des antécédents de cancer de la peau, du sexe et du centre de recherche. Le secret d'attribution (concealment of allocation) n’est toutefois pas clairement décrit. Néanmoins, au début de l’étude, les caractéristiques démographiques étaient comparables entre les deux groupes. Pour respecter l’insu, des comprimés enrobés ayant le même aspect ont été administrés tant aux personnes du groupe placebo qu’à celles du groupe nicotinamide. Deux auteurs ont surveillé l’observance du traitement en comptant les comprimés restants lors de chaque visite. L’observance moyenne était de 88 à 89% et ne différait pas d’un groupe à l’autre, mais elle était tout de même un peu plus faible que celle qui avait été prévue lors du calcul de la puissance. Tous les 3 mois, des dermatologues qui n’étaient pas informés de l’attribution, ont recherché la présence de cancers cutanés. Chaque nouveau diagnostic de cancer cutané a été confirmé et classifié par deux anatomopathologistes indépendants. L’évaluation du nombre de lésions de kératose actinique au niveau du visage, du cuir chevelu, des avant-bras et des mains a été effectuée par inspection clinique et palpation ; ce critère de jugement était donc fortement sujet à une variation interobservateur. Le nombre de sorties d’étude n’était pas égal dans les 2 groupes (4 dans le groupe placebo et 10 dans le groupe nicotinamide), ce qui peut avoir affecté l’analyse en intention de traiter (5). Pour chaque comparaison entre le groupe nicotinamide et le groupe placebo, une analyse de sensibilité qui tenait compte du centre de recherche et des antécédents de cancer de la peau a été effectuée.
Interprétation des résultats
Cette étude montre que, chez les patients présentant un risque élevé, l’apparition de nouveaux cancers cutanés autres que des mélanomes est inférieure de 23% après la prise de 500 mg de nicotinamide 2 fois par jour pendant un an, versus placebo. Il est important de signaler à ce propos que la différence n’était plus significative lorsque l’on considérait séparément les carcinomes basocellulaires et les carcinomes épidermoïdes. Il n’y avait probablement pas assez de puissance pour cette analyse de sous-groupes. Durant les 12 mois de traitement, moins de lésions de kératose actinique (précancéreuses) ont été observées, et ce de manière statistiquement significative, dans le groupe nicotinamide. Cet effet favorable du nicotinamide avait déjà été montré chez des patients présentant des lésions de kératose actinique. Dans 2 RCTs antérieures, une diminution statistiquement significative des lésions de kératose actinique (critère de jugement primaire), ainsi que des carcinomes basocellulaires et des carcinomes spinocellulaires (critère de jugement secondaire) avait observée, après 4 mois (6).
L’étude analysée ici s’est déroulée en Australie et a été menée chez des patients qui avaient développé en moyenne 8 cancers cutanés aux cours des 5 années précédentes. Ces résultats ne peuvent donc pas être extrapolés aux populations présentant un risque plus faible. Six mois après l’arrêt du traitement, aucune différence statistiquement significative entre les deux groupes quant à la survenue de cancers autres que des mélanomes n’a été observée. Cela laisse supposer que le traitement devrait se prendre à vie. Il faut donc poursuivre la recherche sur l’efficacité et la sécurité à long terme.
Conclusion de Minerva
Cette RCT de bonne qualité méthodologique montre que le nicotinamide (vit B3 ou PP) à raison de 500 mg deux fois par jour pendant un an est efficace et sans danger pour la chimioprévention du cancer de la peau chez des patients présentant un risque élevé de cancer cutané. Il faut cependant poursuivre la recherche quant à l’efficacité et à la sécurité à long terme de cette molécule, ainsi que chez des patients présentant un faible risque de développer un cancer cutané.
Pour la pratique
En prévention des carcinomes basocellulaires et spinocellulaires, le guide de pratique clinique d’EBMPracticeNet préconise entre autres d’éviter l’exposition au soleil, par exemple en utilisant des tentes solaires et en portant des vêtements protecteurs et un chapeau à large bord (7). Cette étude montre que les patients qui ont d’importants antécédents de cancers cutanés ou de lésions de kératose actinique et qui présentent dès lors un risque élevé de développer un cancer cutané, peuvent avoir avantage à prendre chaque jour 2 x 500 mg de nicotinamide. Ce supplément en vitamine B3 (ou PP) peut être obtenu sans ordonnance et est relativement bon marché.
Références
- Armstrong BK, Kricker A. The epidemiology of UV induced skin cancer. J Photochem Photobiol B 2001;63-18.
- Thompson SC, Jolley D, Marks R. Reduction of solar keratoses by regular sunscreen use. N Engl J Med 1993;329:1147-51.
- Green A, Williams G, Neale R, et al. Daily sunscreen application and betacarotene supplementation in prevention of basal-cell and squamous-cell carcinomas of the skin: a randomised controlled trial. Lancet 1999;354:723-9. Erratum in: Lancet 1999;354:1038.
- Park J, Halliday GM, Surjana D, Damian DL. Nicotinamide prevents ultraviolet radiation-induced cellular energy loss. Photochem Photobiol 2010;86:942-8.
- Chevalier P. LOCF ou pas LOCF ? Quand les données manquent… MinervaF 2008;7(8):128.
- Surjana D, Halliday GM, Martin AJ, et al. Oral nicotinamide reduces actinic keratoses in phase II double-blinded randomized controlled trials. J Invest Dermatol 2012;132:1497-500.
- Naevi et cancer de la peau (carcinome basocellulaire et carcinome épidermoïde). Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 4/06/2010. Dernière revue: 20/04/2016.
Auteurs
Hoorens I.
Dermatologie, Universitair Ziekenhuis Gent
COI :
Brochez L.
Dienst Dermatologie, UZ Gent
COI :
Code
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