Revue d'Evidence-Based Medicine
Un programme de kinésithérapie de rééducation ambulatoire dans un centre spécialisé n’améliore pas les résultats à long terme dans les suites d’une prothèse totale de genou chez des patients à risque d’évolution insatisfaisante
Minerva 2021 Volume 20 Numéro 5 Page 59 - 62
Professions de santé
Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Contexte
L’arthroplastie par prothèse totale de genou (PTG) est une intervention courante en cas d’arthrose notable. Cependant les résultats du point de vue des patients ne s’avèrent pas satisfaisants dans environ 20% des cas. La prise en charge postopératoire en termes de rééducation par physiothérapie pour améliorer les résultats n’est pas uniforme dans les pays anglo-saxons. Des pays comme les États-Unis et l'Australie utilisent une rééducation postopératoire prolongée des patients hospitalisés, bien que l'efficacité de celle-ci pour améliorer les résultats par rapport à la physiothérapie ambulatoire ait été remise en question. Au Royaume-Uni, la réadaptation des patients hospitalisés est de courte durée, le patient sortant généralement 3 à 5 jours après une arthroplastie. Plusieurs méta-analyses (1-3) suggèrent qu'une physiothérapie postopératoire uniforme pour tous les patients après une arthroplastie totale du genou par rapport à l'absence de traitement offre un bénéfice à court terme mais n'est pas efficace pour améliorer les résultats des patients à un an. La plupart de ces études ne sont cependant pas d’excellente qualité. Pour clarifier ces données, une étude randomisée a été conduite en vue de déterminer si un programme de six semaines de physiothérapie ambulatoire dans un centre de rééducation offre des résultats supérieurs à une prise en charge basée sur des exercices à domicile, lorsqu'il est ciblé, au début de la phase postopératoire, sur des patients jugés à risque de mauvaise récupération après une PTG.
Résumé
Population étudiée
- les patients ont été sélectionnés lors de l'examen clinique de routine six semaines après une PTG dans 13 centres chirurgicaux britanniques
- critères d’inclusion : avoir subi une première PTG pour arthrose et être à risque d'un mauvais résultat (défini comme un score du genou d'Oxford ≤ 26 points à six semaines postopératoire), permettant de mettre en évidence les patients souffrant le plus de douleurs et de dysfonctionnements spécifiques au genou pour des activités simples, telles que se lever d'une chaise ou se mobiliser sur une courte distance
- critères d’exclusion : patients non disposés ou incapables de se conformer aux protocoles de rééducation, avec arthroplastie uniquement pour le soulagement de la douleur (c'est-à-dire ceux qui ne s'attendaient pas à se mobiliser après l'opération), ayant nécessité des procédures de révision complexes, ne pouvant pas ou n'étant pas disposés à se rendre en ambulatoire dans un service de rééducation locale, ou ayant déjà reçu une physiothérapie ambulatoire structurée six semaines après la chirurgie
- sur un total de 4264 patients, 334 ont été randomisés ; l'âge moyen global de la cohorte randomisée était de 67,5 ans (ET 9,46), 61,4% (n = 205) étaient des femmes et l'indice de masse corporelle moyen global était de 31,34 (ET 5,67).
Protocole de l’étude
Il s’agit d’une étude randomisée et contrôlée
- entre un traitement postopératoire de six semaines dans un programme dans un centre de rééducation en ambulatoire conduite par un physiothérapeute ou une prise en charge ordinaire avec des exercices de kinésithérapie à domicile :
- le programme (18 séances) était basé pour obtenir un résultat fonctionnel basé sur les meilleures preuves d’efficacité connues, avec un protocole axé sur des objectifs en quatre catégories : amplitude de mouvement, renforcement, proprioception et démarche de marche, et avec deux autres séances hebdomadaires de rééducation personnalisée à domicile
- la prise en charge (18 séances) basée sur l'exercice à domicile, revue une fois par le physiothérapeute, comprenait une intervention de niveau de soins minimum qui reflète la pratique postopératoire à travers le Royaume-Uni, avec des exercices à domicile autodirigés, se concentrant sur la flexion sans charge du genou pour favoriser l'amplitude des mouvements et l'utilisation du poids du membre pour renforcer le quadriceps
- sur les 334 participants randomisés, 163 ont été affectés à la rééducation ambulatoire dirigée par un physiothérapeute dans le centre de rééducation et 171 à une rééducation basée sur l'exercice à domicile ; l'observance du traitement a été respectivement de 85,3% et de 97,7%
- les données sur les résultats ont été recueillies par un questionnaire postal (avec rappel en cas de non-réponse), à la randomisation et puis à 14, 26 et 52 semaines après la chirurgie ; les équipes de physiothérapie ont recueilli des données supplémentaires sur les performances physiques aux semaines 8 et 14, avant et après les six semaines d'intervention de traitement.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : score du genou d'Oxford rapporté par le patient
- critères de jugement secondaires : sévérité globale de la douleur au genou évaluée par une échelle visuelle analogique, satisfaction du patient à l'égard du genou opéré sur une échelle de Likert à 4 points (très satisfait, satisfait, incertain ou insatisfait), test de mise en route chronométré (temps nécessaire pour se lever d'une chaise, marcher trois mètres, faire demi-tour, retourner à la chaise et s'asseoir)
- l’analyse s’est faite en intention de traiter.
Résultats
- objectif primaire : en analyse en intention de traiter, pas de différence statistiquement significative avec, à un an, une différence moyenne du SGO ajustée entre les groupes de 1,91 (avec IC à 95% de −0,18 à 3,99) en faveur du groupe dirigé par le physiothérapeute dans un centre de rééducation (p = 0,07) ; le résultat était similaire dans l'analyse per protocole (2,02 avec IC à 95% de -0,15 à 4,18 ; p = 0,07)
- objectifs secondaires :
- amélioration significative du SGO à 14 mais pas à 26 semaines en faveur du programme de rééducation
- sévérité de la douleur au genou : pas de différence significative
- satisfaction globale du patient : pas de différence significative ; cependant, satisfaction accrue concernant le soulagement de la douleur (1,66 avec IC à 95% de 1,10 à 2,52), la capacité à effectuer des tâches fonctionnelles quotidiennes (1,66 avec IC à 95% de 1,09 à 2,51) et la capacité à effectuer des tâches fonctionnelles lourdes (1,57 avec IC à 95% de 1,02 à 2,42) en faveur du groupe dirigé par le physiothérapeute dans un centre de rééducation
- test de mise en route chronométré : pas de différence significative.
Conclusion des auteurs
La rééducation ambulatoire dirigée par un physiothérapeute dans un centre de rééducation ne s’est pas avérée supérieure à une prise en charge basée sur l'exercice à domicile après un examen unique par le physiothérapeute chez les patients à risque de mauvais résultats après une PTG. Aucune différence cliniquement pertinente n'a été observée entre les mesures de résultats primaires ou secondaires.
Financement de l’étude
Cette étude a été financée par une association de professionnels et de volontaires (Arthritis Research UK) et des fonds universitaires (ACCORD : the University of Edinburgh and NHS Lothian).
Conflits d’intérêts des auteurs
Les auteurs ne rapportent aucun conflit d’intérêt.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Dans cette étude appelée TRIO (« Targeted Rehabilitation to Improve Outcome »), les auteurs ont utilisé un score, le Score du Genou d'Oxford (SGO), pour d’une part sélectionner leurs patients à risque et d’autre part évaluer l’effet de la manœuvre thérapeutique. Ce score publié en 2005 (4) se compare favorablement au score de Harris HHS (« Harris hip score »).
La randomisation, centralisée, s’est faite par bloc avec une stratification par centre. Du fait de son design, le traitement n’a pu se faire en aveugle. Il n’y a pas de différence de caractéristiques des patients entre les deux groupes. Huit des 334 patients randomisés ont été perdus de vue.
Les choix des critères de jugement sont basés sur l’évaluation par le patient lui-même. Il y a eu adaptation du protocole en cours d’étude, en raison de données venant de recherche ultérieure, faisant passer le calcul des considérations statistiques pour détecter une différence d’au moins 4 points du SGO au lieu de 3. Il fallait recruter 334 patients pour détecter une telle différence avec une puissance de 90%, chiffre atteint dans l’étude.
L’analyse pour l’objectif primaire s’est faite en intention de traitement. Il y a eu également une analyse « per protocol » sans différence de résultat.
Les effets secondaires n’ont pas été rapportés, l’évaluation se faisant par le patient avec des critères souvent subjectifs (douleur, satisfaction, activité physique). Un biais ne peut être exclu à ce niveau.
Interprétation des résultats
Bien présentée, cette étude randomisée conduite dans un groupe de patients à risque de mauvaise récupération après une PTG confirme, comme le suggéraient les méta-analyses (2,3), qu’une rééducation conduite dans un centre de rééducation ambulatoire n’améliore pas par rapport aux soins courants les résultats à long terme de l’intervention bien qu’une amélioration à court terme soit observée. Cette étude s’est réalisée dans le cadre du système de santé britannique, le NHS, qui limite en pratique courante la prestation de physiothérapie à environ six séances.
La population étudiée est un sous-groupe des patients subissant une PTG, celui à risque d'un mauvais résultat défini grâce au SGO. Dans le cas de l’étude britannique, 4264 patients opérés ont été criblés et la plupart (n = 2968, 69,6%) n'étaient pas éligibles vu leur faible risque. Parmi les patients potentiellement éligibles, 572 ont refusé de participer à l'étude car ils préféraient une rééducation locale définie. 390 autres n’ont pu être inclus, essentiellement parce qu’ils participaient à un autre essai de physiothérapie ou qu’il y avait des problèmes de logistique du site comme un manque de personnel de recherche. Le nombre total de patients randomisés s’est donc limité à 334. Nous n’avons pas les résultats de la chirurgie chez les sujets non randomisés.
L’idéal eut été d’avoir un bras contrôle sans kinésithérapie six semaines après une PTG mais ceci n’a pas été jugé éthique pour ce groupe de patients à risque. La conclusion doit donc être que six semaines après l’intervention, un programme de rééducation dans un centre spécialisé n’améliore pas les résultats par rapport aux soins de routine à domicile. Il faut noter que les patients des deux groupes se sont globalement améliorés de la même façon lors de l’auto-évaluation faite à un an.
Cette étude ne plaide pas pour la rééducation ambulatoire dans un centre spécialisé après PTG chez des patients à risque de mauvaise récupération. Nos connaissances actuelles ne permettent pas de définir une approche optimale dans cette situation comme le montre le document de la HAS (5). Il nous faut absolument disposer d’études bien conduites pour pouvoir se baser sur des recommandations basées sur les principes de la médecine factuelle.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Il est très difficile d’établir ce qu’est un programme de soins standard de physiothérapie et de kinésithérapie après une prothèse totale de genou (PTG). En Belgique, le KCE n’a pas fait de recommandation à ce sujet. L’INAMI a lancé une étude pour voir l’intérêt de la rééducation via application mobile après PTG. En France, la HAS (5) conclut dans ses recommandations : « À l’issue de l’étude bibliographique, il ne paraît pas possible de décrire un programme-type de rééducation après la pose d’une PTG. Dans tous les cas, la rééducation après la pose d’une PTG s’adaptera au contexte spécifique du patient et à ses antécédents ». Ceci n’est évidemment pas très instructif …. Minerva avait déjà pointé ce problème dans le cas des programmes d’exercices pour l’arthrose des membres inférieurs (6,7).
Conclusion de Minerva
Cette étude randomisée, présentant quelques limites méthodologiques, ne permet pas de recommander un programme de rééducation ambulatoire dans un centre spécialisé à six semaines d’une prothèse totale de genou chez des patients à risque d’évolution insatisfaisante par rapport à une prise en charge basée sur l'exercice à domicile en termes de score du genou d'Oxford rapporté par le patient, de sévérité globale de la douleur au genou, de satisfaction du patient à l'égard du genou opéré ou d’un test de mise en route chronométré.
- Khan F, Ng L, Gonzalez S, et al. Multidisciplinary rehabilitation programmes following joint replacement at the hip and knee in chronic arthropathy. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD004957.pub3
- Artz N, Elvers KT, Lowe CM, et al. Effectiveness of physiotherapy exercise following total knee replacement: systematic review and meta-analysis. BMC Musculoskelet Disord 2015;16:15. DOI: 10.1186/s12891-015-0469-6
- Minns Lowe CJ, Barker KL, Dewey M, Sackley CM. Effectiveness of physiotherapy exercise after knee arthroplasty for osteoarthritis: systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2007;335:812. DOI: 10.1136/bmj.39311.460093.BE
- Kalairajah Y, Azurza K, Hulme C, et al. Health outcome measures in the evaluation of total hip arthroplasties--a comparison between the Harris hip score and the Oxford hip score. J Arthroplasty 2005;20:1037‑41. DOI: 10.1016/j.arth.2005.04.017
- Critères de suivi en rééducation et d’orientation en ambulatoire ou en SSR. Après arthroplastie totale du genou. Haute Autorité de Santé, 2008. Disponible sur: https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/reeducation_genou_ptg_-_argumentaire.pdf
- Van de Velde S. Programmes d’exercices pour l’arthrose des membres inférieurs. MinervaF 2014;13(4):43-4.
- Uthman OA, van der Windt DA, Jordan JL, et al. Exercise for lower limb osteoarthritis: systematic review incorporating trial sequential analysis and network meta-analysis. BMJ 2013;347:f5555. DOI: 10.1136/bmj.f5555
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