Revue d'Evidence-Based Medicine
Efficacité de la thérapie cognitivo-comportementale assistée par ordinateur en ajout aux soins habituels pour la dépression chez l’adulte ?
Minerva 2022 Volume 21 Numéro 7 Page 167 - 170
Professions de santé
Médecin généraliste, Psychologue
Contexte
Fréquente et potentiellement très invalidante, la dépression exprime des visages et des degrés de sévérité très variés. Le paradoxe de sa prise en charge est qu’elle exige la mobilisation active d’un patient qui se sent désespéré et sans ressource intérieure (1). A côté des traitements médicamenteux efficaces dans les formes modérées à sévères (2), la psychothérapie (3,4) et en particulier la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) (5,6), qui aide le patient à sortir de ses idées négatives, ont été largement étudiées. La TCC a démontré une efficacité certaine mais non exclusive (7,8). Tenir compte des préférences du patients améliore les chances de réussite (9,10). En effet les résistances et obstacles à la psychothérapie sont nombreux, à la fois d’ordre pratique et émotionnel (11). Pour améliorer l’efficience et l’accessibilité de la TCC, un programme de TCC assistée par ordinateur a été développé. Ce programme montre une efficacité équivalente (12,13), d’autant plus s’il comprend un soutien humain (14), mais peu d’études l’avaient jusqu’à présent évalué dans un contexte de soins primaires (15) et en incluant des patients socialement défavorisés.
Résumé
Population étudiée
- les patients adultes ont été recrutés via une pratique de médecine générale à l’Université de Louisville (Kentucky) et devaient présenter un score de dépression selon l’échelle Patient Health Questionnaire-9 (PHQ-9) (16,17) supérieur ou égal à 10/27 (seuil de dépression modérée à sévère)
- étaient exclus les patients avec un score PHQ-9 < 10, un risque suicidaire élevé, une maladie sévère qui empêcherait la TCC assistée, une démence ou une autre maladie cérébrale, ou un diagnostic de psychose ou de trouble bipolaire (Mini International Diagnostic Interview) ; le critère d’exclusion capacité de lecture insuffisante a été appliqué durant les 6 premiers mois de recrutement puis enlevé ; des indicateurs de niveau socio-économique des patients inclus ont été enregistrés (niveau de revenu, origine ethnique, niveau d’éducation).
Protocole d’étude
- l’intervention consistait à une Thérapie Cognitivo-Comportementale assistée par ordinateur (9 sessions du programme Good Day Ahead) couplée à un soutien par un psychologue à distance (12 sessions par téléphone, en moyenne 20 minutes par session), le programme s’étalant sur 12 semaines et comprenant également les soins habituels (« add-on treatment »)
- les patients inclus dans le bras comparateur n’ont bénéficié que des soins habituels, hors contrôle de l’étude, mais dont les interventions (médicamenteuses et/ou psychothérapeutiques) ont été enregistrées.
Critères de jugement
- critère de jugement primaire : efficacité évaluée via le PHQ-9
- critères de jugement secondaires : idées négatives évaluée par l’Automatic Thoughts Questionnaire, le General Anxiety Disorder-7 et la qualité de vie évaluée par la Satisfaction With Life Scale ; tous ces critères ont été évalué à quatre étapes (avant intervention, après les 12 semaines d’intervention, à 3 mois et à 6 mois de follow-up après intervention)
- l’essai clinique randomisé a été analysé en intention de traiter et rapporté selon les critères CONSORT (18).
Résultats
- l’échantillon finalement recruté (175 participants) était majoritairement féminin (147 femmes, 84,5%) ; le taux de sortie était de 22,1% dans le groupe intervention (21 patients) pour 30% dans le groupe comparateur (24 patients)
- les résultats ont montré que la TCC assistée par ordinateur associée aux soins habituels menait à une amélioration significative dans les scores PHQ-9
- à la fin de l’intervention (différence moyenne de -2,5 avec IC à 95% de -4,5 à -0,8),
- à 3 mois de follow-up (différence moyenne de -2,3 avec IC 95% de -4,5 à -0,8)
- à 6 mois de follow-up (différence moyenne de -3,2 avec IC à 95% de -4,5 à -0,8)
- les taux de réponse au traitement (score PHQ9 réduit de 50% préàpost) étaient de 58,4% avec IC à 95% de 46,4 à 70,4% pour le bras TCC assistée versus 33,1% avec IC à 95% de 20,7 à 45,5% ; soit un taux de rémission de 27,3% (avec IC à 95% de 16,4% à 38,2%) pour la TCC add-on versus un taux de rémission de 12,0% (avec IC à 95% de 3,3% à 20,7%) pour les soins habituels
- les résultats pour les 3 autres critères de jugement secondaire vont tous dans le sens d’une supériorité statistiquement significative de l’intervention, à l’exception du test GAD-7 à 6 mois de follow-up (p = 0,23)
- des effets indésirables ont été observés et aucun sérieux en lien avec l’intervention n’a été rapporté.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent à la supériorité de l’intervention par TCC assistée par ordinateur en traitement add-on aux soins habituels, versus soins habituels, sur les symptômes de dépression chez les patients dans un contexte de soins primaires. Étant donné que la population étudiée comprenait des personnes à faible revenu et sans accès à Internet, population généralement sous-représentées ou non incluses dans les enquêtes antérieures sur la TCC, les résultats suggèrent également que cette forme de traitement peut être acceptable et utile dans divers contextes de soins primaires. Des études supplémentaires avec des échantillons plus importants sont nécessaires pour aborder les procédures de mise en œuvre qui pourraient améliorer l'efficacité de la TCC et pour examiner les facteurs potentiels associés aux résultats du traitement.
Discussion
Evaluation de la méthodologie
Cet essai clinique randomisé en double aveugle présente une bonne méthodologie et suit les règles CONSORT (19). Les critères d’inclusion et d’exclusion des patients sont pertinents, une comparaison pratique et des critères de jugement validés par des outils documentés.
L’outil d’aide informatique est documenté et testé par ailleurs. Le détailler est aussi important que l’intervention en elle-même pour que les soignants comprennent ce qui est proposé aux patients. Le logiciel Cognitive Therapy: A Multimedia Learning Program (20) ne tente pas de se substituer aux caractéristiques essentielles de la thérapie administrée par un clinicien, telles que le rapport, l'empathie ou le jugement clinique. Les programmeurs se sont éloignés de l'idée d'utiliser le ‘langage naturel’ ou l'intelligence artificielle pour faire en sorte que les ordinateurs simulent des thérapeutes humains. Au lieu de cela, le programme informatique est conçu pour initier le patient aux méthodes de traitement cognitivo-comportementales, offrir une psychoéducation, renforcer l'utilité des exercices d'auto-assistance et aider à libérer le clinicien pour les interventions qui nécessitent la sensibilité et l'expertise d'un thérapeute humain. Le programme est divisé en six modules (Introduction, Principes de base, Changer les pensées automatiques, Passer à l'action, Changer les schémas et Continuer votre progression) qui couvrent les concepts de base et les procédures de la forme de thérapie cognitive de Beck. Les modules contiennent des introductions et des conseils d'un narrateur qui est un clinicien expérimenté, des vidéos de personnes (représentées par des acteurs et actrices professionnels) qui utilisent des compétences en thérapie cognitive pour faire face à la dépression ou à l'anxiété, des exercices d'apprentissage interactifs et des questions de révision pour évaluer les progrès dans la compréhension du contenu du programme. L’intention était donc de fournir un programme informatique qui puisse être utilisé facilement par des personnes sans expérience informatique préalable et celles présentant des symptômes importants de dépression ou d'anxiété. Cet essai clinique randomisé comporte quelques limites de validité interne. Tout d’abord l’exclusion au début du recrutement des participants insuffisamment lettrés alors que l’un des objectifs de l’essai était de tester la faisabilité de la TCC assistée dans une population socialement défavorisée. Ce biais de recrutement a néanmoins été corrigé dans un second temps. Ensuite la principale limite était la taille de l’échantillon, inférieure à l’objectif visé au départ (n = 240) et surtout ne permettant pas de multiplier les bras d’étude. Les résultats de l’essai ne permettent en effet pas de savoir ce qui du programme informatique, du soutien par le psychologue ou des deux a été réellement efficace. Les autres limites de validité interne sont la surreprésentation des femmes dans l’échantillon et l’absence de données sur les soins habituels – nous devons à tout le moins supposer qu’ils étaient équivalents dans les deux bras de l’étude.
Interprétation des résultats
In fine, pour le clinicien, la question du retour sur investissement de ce genre d’intervention par assistance informatique reste ouverte, sachant que le soutien psychologique a été une composante importante de l’intervention, que les chercheurs ont dû fournir un laptop et un accès internet à certains participants et que le taux d’achèvement des sessions informatiques a eu tendance à diminuer à la fin des 12 semaines. D’autres études ne plaident en tout cas pas pour une supériorité de l’assistance informatique par rapport à la TCC conventionnelle (21,22). Notons enfin que les valeurs de différence moyenne comprises entre 2,3 et 3,2 pour le critère de jugement primaire (score PHQ-9 entre 0 et 27) atteignent tout juste les 10% souvent admis pour parler d’une différence cliniquement significative.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Le GPC Dépression de Domus rappelle que la TCC reste la thérapie ayant le mieux démontré son efficacité dans la dépression modérée à sévère. Par contre, ce GPC signale que les preuves d’efficacité de la TCC disponible sur internet manquent. NICE (23) cite les outils disponibles sur internet en rappelant qu’ils exigent un niveau de motivation suffisant pour être efficace (retour sur le paradoxe énoncé en début d’article). Une recommandations KCE (24) de 2014 sur l’efficacité de la psychothérapie sur la dépression majeure de l’adulte n’a inclus aucune étude à propos de la TCC assistée par ordinateur. Idem pour une revue systématique Cochrane à propos de l’efficacité des TCC (25).
Conclusion de Minerva
Cet essai randomisé montre que chez les patients avec une dépression modérée à sévère recrutés dans un contexte de soins primaires, la thérapie cognitivo-comportementale assistée par ordinateur ajoutée aux soins habituels est plus efficace que les soins habituels seuls, avec un effet global qui reste modeste. La méthodologie de la recherche ne convainc cependant pas de la plus-value clinique du programme d’assistance par internet par rapport à une TCC conventionnelle.
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Auteurs
Feron J-M.
Centre Académique de Médecine Générale, UCL
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
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