Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité et sécurité d’une revalidation à domicile via application smartphone avec supervision en post-chirurgie de prothèse totale de genou ?



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 3 Page 60 - 63

Professions de santé

Ergothérapeute, Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste

Analyse de
Zhao R, Cheng L, Zheng Q, et al. A smartphone application-based remote rehabilitation system for post-total knee arthroplasty rehabilitation: a randomized controlled trial. J Arthroplasty 2024;39:575-581.e8. DOI: 10.1016/j.arth.2023.08.019


Question clinique
Chez les patients ayant subi une chirurgie de prothèse totale de genou qui gèrent de façon autonome leur programme de revalidation à domicile, une aide par une application sur smartphone peut-elle améliorer l’efficacité de la revalidation en termes d’amplitude de mouvement, de fonctionnalité et de sécurité dans les 12 semaines en post-op par rapport à la rééducation à domicile avec supervision ambulatoire ?


Conclusion
Pour les patients ayant subi une chirurgie de prothèse totale du genou (PTG), comparé à une revalidation à domicile en autonomie avec 3 visites de contrôle, cet essai clinique randomisé pour lequel la méthodologie n’est pas clairement compréhensible montre que la télérevalidation à domicile via application smartphone et supervision bimensuelle peut légèrement améliorer certains scores d’amplitude de mouvement, de fonctionnalité et de qualité de vie à moyen terme. Ce résultat de faible ampleur est à considérer en regard des résultats d’autres études qui concluaient à une non-infériorité de la télérevalidation par rapport à une revalidation en physiothérapie conventionnelle en externe. La télérevalidation en post-PTG peut être considérée comme une alternative aux conditions d’une bonne compréhension et d’une bonne adhésion du patient à l’outil.


Contexte

Les protocoles de sortie rapide d’hospitalisation après une prothèse totale de genou (PTG) sont maintenant devenus la norme en termes de sécurité (réduction des complications) et d’efficience (diminution de la douleur, amélioration fonctionnelle pour un coût diminué) (1). Ces protocoles incluent notamment la mobilisation du patient le jour même de l’opération, un protocole de réduction de perte sanguine, et surtout un programme adapté de revalidation guidé par un thérapeute (externe ou interne) ou en (semi) autonomie par le patient lui-même à domicile (1). S’il est bien admis que la physiothérapie améliore la fonctionnalité et diminue la douleur, aucun programme précis (en clinique spécialisée vs à domicile, incluant ou non du balancement, un pédalage ou même de l’hydrothérapie) ne semble supérieur aux autres (2). Une analyse précédente de Minerva n’avait par exemple pas montré la supériorité d’un programme de rééducation ambulatoire dirigée par un physiothérapeute dans un centre de rééducation par rapport à une prise en charge basée sur l'exercice à domicile après un examen unique par le physiothérapeute chez les patients à risque de mauvais résultats après une PTG (3,4). Pour soutenir les patients qui gèrent eux-mêmes leur rééducation et doivent assimiler beaucoup d’informations en peu de temps, une aide par application (sur smartphone ou tablette) a déjà été testée (5). Ces applications d’aide à la revalidation en distanciel (exercices à la maison avec assistance par appel téléphonique ou chat) permettent de diminuer la charge des déplacements en service de physiothérapie ou d’une hospitalisation uniquement dédiée à la revalidation (6). La valeur ajoutée de ces programmes en termes d’efficacité et de sécurité est cependant encore peu connue. 

 

 

Résumé 

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : patients entre 40 et 80 ans ayant subi un remplacement prothétique unilatéral de genou, capables d’utiliser un smartphone
  • critères d’exclusion : patients avec un BMI > 35 ; un antécédent récent (< 3 mois) de chirurgie de hanche ou de genou ; patient nécessitant une chirurgie de révision ; présence d’une ankylose du genou avant l’opération ; présence d’une maladie inflammatoire, d’une maladie sévère de la colonne ou d’une maladie neurologique
  • au total, inclusion de 100 patients ; chacun des deux groupes incluait un total de 50 patients ; âge moyen de 67 ans, BMI moyen de 27, 76% de femmes dans le groupe intervention versus 82% dans le groupe contrôle ; pas de différences significatives entre les 2 groupes en termes de ROM, WOMAC, KSS, SF-36, 5xSST ou SLST ; dans le groupe intervention, les participants utilisaient leur application en moyenne 98 minutes/semaine.

 

Protocole d’étude

Essai clinique randomisé réalisé en Chine, en aveugle uniquement pour les évaluateurs (7)

  • intervention : programme de télérevalidation à domicile avec l’application expliquée et testée avant l’intervention, guidant les exercices et enregistrant les temps de session et les performances des participants via des senseurs physiques reliés à l’app, permettant l’envoi de photos de la cicatrice, avec analyse, adaptation du programme, retour en distanciel par le chirurgien toutes les 2 semaines et possibilité de visite à la clinique à 2, 6 et 12 semaines en post-op 
  • comparateur : programme de revalidation à domicile en semi-autonomie : programme écrit remis à la sortie d’hôpital et visites à la clinique à 2, 6 et 12 semaines en post-op.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : amplitude de mouvement à 12 semaines de post-op exprimée en degré
  • critères de jugement secondaires : différentes échelles de fonctionnalité, de sécurité, de satisfaction et de coût :  Western Ontario and McMaster Universities Osteoarthritis Index, Knee Society Score, Medical Outcomes Study 36-Item Short-Form Health Survey (SF-36), Five Times Sit-to-Stand Test (5xSST), Single-Leg Stance Test (SLST), satisfaction, coûts de la revalidation, taux de complication et taux de réadmission dans les 90 jours.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire : à 12 semaines en post-op, les patients du groupe télérevalidation ont surpassé de façon statistiquement significative les patients du groupe contrôle en termes d’amplitude de mouvement (124 ± 8,7 versus 119 ± 5,5 ; p = 0,01)
  • critères de jugement secondaires :
    • SF36 (qualité de vie liée à la santé, dimension = fonctionnement physique) (61,5 ± 20,3 versus 45,5 ± 18,1 ; p = 0,00)
    • SF36 (qualité de vie liée à la santé, dimension = la limitation des rôles en raison de problèmes physiques) (49,3 ± 41,5 versus 27,7 ± 28,9 ; p = 0,012) 
    • SLST (13,0 ± 9,1 versus 9,1 ± 5,9 ; p = 0,026)
    • 5 x SST (17,7 ± 4,3 versus 19,4 ± 3,5 ; p = 0,043)
    • aucune différence significative n’a été montrée entre les groupes dans les scores Western Ontario and McMaster Universities Osteoarthritis Index, Knee Society Score, coûts de la revalidation, taux de réadmission dans les 90 jours ou incidence d’effets secondaires. 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le programme de revalidation à domicile assisté à distance par une application par smartphone fonctionne mieux que le programme de revalidation à domicile avec visites à la clinique en termes d’amplitude de mouvement, de SLST et de 5xSST sur le court terme.   

 

Financement de l’étude

Non précisé. 

 

Conflit d’intérêt des auteurs

Aucun déclaré.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Vu la nature des interventions, seul l’insu de l’évaluateur était possible, ce qui a été réalisé. Le choix des échelles utilisées est corrélé avec la littérature dans l’évaluation de la douleur et de la fonction en post PTG (8,9) ainsi que dans une évaluation plus globale de la qualité de vie (10). Le timing de l’évaluation (12 semaines post-op pour la dernière évaluation) était relativement court. Par rapport au choix des interventions, on peut être étonné du fait que le mot « physiotherapy » n’apparaisse nulle part dans l’article. En effet les participants à l’étude étaient uniquement guidés par leur chirurgien qui expliquait les exercices à réaliser (pour tous les participants) et assurait le suivi bimensuel via l’application pour les participants du groupe intervention. Aucun rôle n’a été donné aux physiothérapeutes (ou kinésithérapeutes) dont la formation est spécifiquement orientée dans l’accompagnement à la revalidation, et donc pas (ou peu) de comparaison possible avec d’autres recherches dans le même domaine. 
Pour le calcul de la puissance de l’étude, les auteurs signalent que 84 patients devaient être inclus pour montrer une non-infériorité. Dans la conclusion en fin d’article, ce terme revient également. Cependant, toute la méthodologie tend à montrer une supériorité du groupe intervention sur le groupe contrôle et aucune borne de non-infériorité n’a été prédéfinie !

 

Évaluation des résultats

La randomisation des participants a généré deux groupes tout à fait équivalents dans les critères physiques (âge, BMI, ratio de sexe, comorbidités, état fonctionnel avant intervention) mais pas du tout dans le critère niveau d’éducation (avec un ratio de deux fois plus de diplômés de l’enseignement supérieur dans le groupe intervention), ce qui pose question si l’on considère que le résultat est au moins en partie corrélé à la compréhension et à l’adhésion aux exercices prescrits. Pour les 5 critères de jugement où les scores étaient statistiquement meilleurs dans le groupe intervention, on note systématiquement des écart-types plus larges, ce qui signifie une variabilité de réponse plus importante que dans le groupe contrôle. Les auteurs mentionnent qu’une différence d’amplitude de 3,4° est cliniquement pertinente selon d’autres études. Cependant, ils ne présentent pas les résultats observés selon cette analyse. Nous pouvons pressentir que cette différence n’est pas atteinte. On pourrait donc résumer les résultats de l’étude en disant que l’aide à la revalidation via l’application smartphone peut légèrement améliorer une partie des scores d’évaluation. 
Une méta analyse récente (11) a comparé la télérevalidation à domicile avec les programmes plus conventionnels de revalidation en physiothérapie (séances en externe nécessitant un déplacement, donc intervention contrôle différente de celle de l’étude considérée ici), montrant des résultats comparables entre les deux interventions en termes de mobilité, douleur, fonctionnalité et qualité de vie. Même si les interventions n’étaient pas à 100 % comparables à l’étude analysée ici, cette méta-analyse rassurait sur la non-infériorité de la télérevalidation en termes d’efficacité, permettant une économie de coût et insistant sur l’importance de l’adhésion aux exercices pour obtenir les meilleurs résultats. 

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Aucune recommandation n’est signalée dans Ebpracticenet ou le KCE. Il est très difficile d’établir ce qu’est un programme de soins standard de physiothérapie et de kinésithérapie après une PTG (3). La HAS a édité en 2008 une recommandation à propos de la revalidation en post-PTG (12), conseillant de tenir compte des critères psycho-sociaux, environnementaux, cliniques et fonctionnels dans le choix du lieu (hôpital versus domicile), mais cette recommandation se base essentiellement sur des avis d’experts (13) et un bon sens clinique. On peut raisonnablement conclure que le remboursement accordé en Belgique pour 30 séances de kinésithérapie (renouvelable 1 x) en post-chirurgie orthopédique se base également uniquement sur l’avis d’experts et sur des accords entre corporations. 

 

 

Conclusion de Minerva

Pour les patients ayant subi une chirurgie de prothèse totale du genou (PTG), comparé à une revalidation à domicile en autonomie avec 3 visites de contrôle, cet essai clinique randomisé pour lequel la méthodologie n’est pas clairement compréhensible montre que la télérevalidation à domicile via application smartphone et supervision bimensuelle peut légèrement améliorer certains scores d’amplitude de mouvement, de fonctionnalité et de qualité de vie à moyen terme. Ce résultat de faible ampleur est à considérer en regard des résultats d’autres études qui concluaient à une non-infériorité de la télérevalidation par rapport à une revalidation en physiothérapie conventionnelle en externe. La télérevalidation en post-PTG peut être considérée comme une alternative aux conditions d’une bonne compréhension et d’une bonne adhésion du patient à l’outil. 

 

 


Références 

  1. Sattler L, Hing W, Vertullo C. Changes to rehabilitation after total knee replacement. Aust J Gen Pract 2020;49:587e91. DOI: 10.31128/AJGP-03-20-5297
  2. Artz N, Elvers KT, Lowe CM, et al. Effectiveness of physiotherapy exercise following total knee replacement: systematic review and meta-analysis. BMC Musculoskelet Disord 2015;16:15. DOI: 10.1186/s12891-015-0469-6
  3. Sculier J-P. Un programme de kinésithérapie de rééducation ambulatoire dans un centre spécialisé n’améliore pas les résultats à long terme dans les suites d’une prothèse totale de genou chez des patients à risque d’évolution insatisfaisante. MinervaF 2021 Vol 20(5):59-62
  4. Hamilton DF, Beard DJ, Barker KL, et al. Targeting rehabilitation to improve outcomes after total knee arthroplasty in patients at risk of poor outcomes: randomised controlled trial. BMJ 2020;m3576. DOI: 10.1136/bmj.m3576
  5. Timmers T, Janssen L, van der Weegen W, et al. The effect of an app for day-to-day postoperative care education on patients with total knee replacement: randomized controlled trial. JMIR  Mhealth Uhealth 2019;7:e15323. DOI: 10.2196/15323
  6. Xu T, Yang D, Liu K, et al. Efficacy and safety of a self-developed home-based enhanced knee flexion exercise program compared with standard supervised physiotherapy to improve mobility and quality of life after total knee arthroplasty: a randomized control study. J Orthop Surg Res 2021;16:382. DOI: 10.1186/s13018-021-02516-0
  7. Zhao R, Cheng L, Zheng Q, et al. A smartphone application-based remote rehabilitation system for post-total knee arthroplasty rehabilitation: a randomized controlled trial. J Arthroplasty 2024;39:575-581.e8. DOI: 10.1016/j.arth.2023.08.019
  8. McConnell S, Kolopack P, Davis AM. The Western Ontario and McMaster Universities Osteoarthritis Index (WOMAC): a review of its utility and measurement properties. Arthritis Rheum 2001;45:453-61. DOI: 10.1002/1529-0131(200110)45:5<453::aid-art365>3.0.co;2-w
  9. Liow RY, Walker K, Wajid MA, et al. The reliability of the American Knee Society Score. Acta Orthop Scand 2000;71:603-8. DOI: 10.1080/000164700317362244
  10. Lins L, Martins Carvalho F. SF-36 total score as a single measure of health-related quality of life: scoping review. SAGE Open Med 2016;4:2050312116671725. DOI: 10.1177/2050312116671725
  11. Zhang H, Wang J, Jiang Z, et al. Home-based tele-rehabilitation versus hospital-based outpatient rehabilitation for pain and function after initial total knee arthroplasty: a systematic review and meta-analysis. Medicine (Baltimore) 2023;102:e36764. DOI: 10.1097/MD.0000000000036764
  12. Haute Autorité de Santé. Critères de suivi en rééducation et d'orientation en ambulatoire ou en soins de suite ou de réadaptation après arthroplastie totale du genou. HAS, 2008.
  13. Rédaction Prescrire. Rééducation et arthroplastie totale du genou. Encore un guide HAS inutile. Rev Prescrire 2009;29:950.


Auteurs

Feron J-M.
Centre Académique de Médecine Générale, UCL
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

Code


M17, Z96
A89, L90


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