Revue d'Evidence-Based Medicine
Certains médicaments sont une option possible pour certains cas d’acathisie compliquant un traitement antipsychotique
Minerva 2024 Volume 23 Numéro 7 Page 157 - 160
Professions de santé
Infirmier, Médecin généraliste, PsychologueContexte
L’acathisie est définie par des plaintes d’impatience et d'agitation, souvent accompagnées de mouvements objectifs excessifs (tels que des mouvements continus des jambes, un balancement d'un pied à l'autre, une marche rapide ou une incapacité à s'asseoir et à rester immobile). Elle est essentiellement causée par des traitements par neuroleptiques antipsychotiques. Sa prévalence varie de 14% à 35% selon les études et elle est associée à un risque accru de suicide et de non suivi du traitement médicamenteux. Des traitements de l’acathisie sont décrits mais il n’y a aucune revue systématique évaluant leur efficacité. Un groupe français a publié la première revue avec méta-analyse en réseau sur le sujet (1).
Résumé
Méthodologie
Revue systématique de la littérature (sans restriction linguistique).
Sources consultées
- date limite : 18 juin 2023
- MEDLINE
- Web of Science
- Google Scholar
- recherche d’autres études issues des références dans les articles sélectionnés et de consultation d’experts.
Etudes sélectionnées
- critères d’inclusion : essais contrôlés randomisés
- comparant un médicament d'appoint pour l'acathisie à un placebo ou à un traitement d'appoint chez des patients traités par des antipsychotiques remplissant les critères de l'acathisie
- avoir des échantillons d'au moins 10 patients
- ne recevoir aucun autre médicament administré au cours de l’étude
- utilisant un score d’acathisie validé
- critère d’exclusion :
- essais avec des données manquantes pour le critère de jugement principal (score d'acathisie aux points finaux)
- au total, 15 RCTs en double aveugle ont été incluses, dont 10 en deux groupes parallèles, 3 essais croisés (crossover trials) et 3 comprenant plusieurs bras d’études (1 étude regroupant ces 2 dernières méthodologies) ; dans 80% des études, le groupe comparaison prend un placébo tandis que dans 20% des études il prend un traitement actif.
Population étudiée
- 492 patients traités par antipsychotiques répondant aux critères de l'acathisie, dont 324 (65,1%) inclus dans les groupes actifs et 168 (34,1%) dans les groupes placébo.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : réduction du score moyen d'acathisie au dernier point de mesure avec une échelle évaluant l'acathisie globale, subjective et/ou objective
- 5 scores ont été utilisés : la Barnes Akathisia Rating Scale, l’Akathisia Rating Scale, Slaimpson Angus Scale, et 2 autres scores basés sur les critères du DSM-5 pour l’acathisie
- critères de jugement secondaires :
- tolérance, définie comme le nombre total d'effets indésirables et le nombre total d'effets indésirables graves signalés à la fin de l'essai
- acceptabilité, définie comme le nombre d'abandons après randomisation pour des problèmes de tolérance (si les raisons de l'abandon n'étaient pas disponibles, le nombre total d'abandons a été inclus)
- estimation des différences moyennes standardisées (DMS) et leurs écarts-types respectifs pour les résultats continus
- la surface sous la courbe de classement cumulatif (SUCRA) a été utilisée pour le classement.
Résultats
- critère de jugement primaire :
- comparaison versus placebo par méta-analyse en réseau :
- mirtazapine (15 mg/j pendant ≥ 5 jours) : DMS de -1,20 avec IC à 95% de -1,83 à -0,58
- bipéridène (6 mg/j pendant ≥ 14 jours) : DMS de -1,01 avec IC à 95% de -1,69 à -0,34
- vitamine B6 (600-1200 mg/j pendant ≥ 5 jours) : DMS de -0,92 avec IC à 95% de -1,57 à -0,26
- trazodone (50 mg/j pendant ≥ 5 jours) : DMS de -0,84 avec IC à 95% de -1,54 à -0,14
- miansérine (15 mg/j pendant ≥ 5 jours) : DMS de -0,81 avec IC à 95% de -1,44 à -0,19
- propranolol (20 mg/j pendant ≥ 6 jours) : DMS de -0,78 avec IC à 95% de -1,35 à -0,22
- la cyproheptadine, le clonazépam, le zolmitriptan et le valproate n'ont pas produit d'effets significatifs
- comparaisons directes de l'efficacité des 10 traitements inclus et du placebo : aucune différence significative d'efficacité entre le propranolol et le zolmitriptan, la cyproheptadine et le propranolol, la mirtazapine et le propranolol, ou la vitamine B6 et la miansérine ; seul le bipéridène a démontré une plus grande efficacité que le valproate (DMS de -0,99 avec IC à 95% de -1,93 à -0,04)
- les 5 molécules les mieux classées pour traiter l’AIA, par ordre de probabilité décroissante, sont la mirtazapine, le bipéridène, la vitamine B6, la cyproheptadine et la trazodone ; la mirtazapine avait une probabilité de 33,4% d'être la molécule la mieux classée, tandis que le propranolol avait une probabilité de 16,4% d'être classée septième
- comparaison versus placebo par méta-analyse en réseau :
- critères de jugement secondaires : les effets indésirables significatifs rapportés par rapport au groupe placebo comprenaient la somnolence et les étourdissements pour la trazodone et la mirtazapine, l'hypersalivation et la dépression pour le valproate, la bouche sèche et la sédation pour le bipéridène et le valproate, l'hypotension pour le propranolol et la sédation transitoire pour la miansérine.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que la mirtazapine, le bipéridène et la vitamine B6 sont associés à la plus grande efficacité pour l'acathisie, la vitamine B6 ayant le meilleur profil d'efficacité et de tolérance. La trazodone, la miansérine et le propranolol sont apparus comme des alternatives efficaces avec des profils d'efficacité et de tolérance légèrement moins favorables. Ces résultats devraient aider les prescripteurs à sélectionner un médicament approprié pour traiter l'acathisie.
Financement de l’étude
Aucune source rapportée.
Conflit d’intérêts des auteurs
Aucun rapporté.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Les auteurs ont suivi les recommandations PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-analyses) pour les revues systématiques avec un protocole enregistré dans PROSPERO. Deux auteurs ont réalisé indépendamment la sélection biographique avec la participation d’un troisième en l’absence de consensus. Il en est de même pour l’extraction des données des études sélectionnées.
Le risque de biais a été évalué en utilisant les outils du Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions. Huit essais ont été jugés comme présentant un faible risque de biais, deux un risque moyen et cinq un risque élevé. Ceci est une des limites de l'étude, notamment pour l'analyse de sous-groupes pour un faible risque de biais, qui doit être interprétée avec prudence en raison de l'inclusion de seulement 8 études, ce qui entraîne une faible puissance statistique.
Pour la méta-analyse en réseau, une étude a été exclue du réseau principal en raison de l'absence de comparaison liant le diazépam ou la diphenhydramine à d'autres traitements dans le réseau ou au placebo, laissant 14 essais dans le réseau principal.
L'hétérogénéité statistique du modèle a été évaluée avec les tests I² et τ² : il y avait une hétérogénéité faible à modérée (I² = 34,6% avec IC à 95% de 0,0% à 71,1%).
Évaluation des résultats
Les résultats donnés par les auteurs, viennent d’une méta-analyse en réseau de 15 études randomisées avec un total de 462 patients, c-à-d d’une évaluation indirecte à l’aide d’artifices mathématiques pour obtenir des comparaisons entre médicaments, ce qui ne représente pas un niveau de preuve très élevé. En tenant compte du rapport bénéfice – risque, l’évaluation du risque étant rapportée dans le supplément en ligne de l’article, les auteurs recommandent comme meilleure option au traitement de l’acathisie la vitamine B6. Son rôle reposerait notamment comme correcteur du déséquilibre dopaminergique et piégeur de radicaux libres.
Les études originales - 9 israéliennes, 3 étatsuniennes, 1 danoise, 1 française, 1 turque - ont été publiées entre 1978 et 2020 (six avant 2000 et deux seulement depuis 2010). La revue n’analyse pas le type de neuroleptiques à la base de l’acathisie. Or cet effet secondaire varie fortement entre les différents antipsychotiques et selon les doses prescrites (2). Les effets secondaires sont moins fréquents (3) avec les neuroleptiques dits de deuxième génération ou atypiques autorisés à partir des années 1990 tandis que ceux de première génération sont apparus au cours des années 1950.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Les guides de pratique clinique des Sociétés de Psychiatrie américaine et japonaise abordent le problème de l’acathisie dans la prise en charge de la schizophrénie. La première (4) suggère les options suivantes pour les patients atteints d'acathisie associée à un traitement antipsychotique : réduire la dose du médicament antipsychotique, passer à un autre médicament antipsychotique, ajouter un médicament benzodiazépine ou ajouter un agent bêta-bloquant. La seconde (5) recommande des doses réduites de l'antipsychotique administré par voie orale après discussion suffisante avec le patient lorsque les symptômes de l'acathisie sont légers et un passage aux antipsychotiques de 2ème génération est recommandé lorsque des antipsychotiques de 1ère génération à titre élevé ou à forte dose sont prescrits. De plus, l’utilisation de ces derniers à dose moyenne ou faible est souhaitable lorsque le passage aux antipsychotiques de 2ème génération n’est pas possible. Pour cette société, l'utilisation concomitante de médicaments anticholinergiques, de bêtabloquants (propranolol), de clonazépam, de miansérine, de mirtazapine, de trazodone, de cyproheptadine et de vitamine B6 n'est pas souhaitable. Des auteurs japonais (6) ont publié une autre revue systématique avec méta-analyse en réseau sur l’efficacité et l’acceptabilité des stratégies de traitement pour l'acathisie induite par les antipsychotiques, en ayant inclus les essais avec des adultes atteints de schizophrénie ou d'autres troubles psychiatriques traités par antipsychotiques (19 essais avec 661 participants randomisés). Ils concluent que les antagonistes 5-HT2A (miansérine, mirtazapine, trazodone), les bêtabloquants et, avec une moindre certitude, les benzodiazépines et la vitamine B6 pourraient améliorer l'acathisie mais, selon les auteurs, ces conclusions sont à considérer comme extrêmement préliminaires et des essais supplémentaires sont nécessaires.
Conclusion de Minerva
Cette revue systématique avec méta-analyse en réseau a révélé que la mirtazapine (15 mg/j pendant ≥ 5 jours), le bipéridène (12 mg/j pendant ≥ 14 jours) et la vitamine B6 (600 mg/j pendant ≥ 5 jours) étaient associés à la plus grande efficacité pour le traitement médicamenteux de l’acathisie secondaire à l’utilisation des neuroleptiques antipsychotiques. Pour le traitement de l'acathisie, la vitamine B6 a le meilleur profil d'efficacité et de tolérance. Le nombre de RCTs disponibles restant faible et la taille des échantillons limitée, la prudence est de mise. La trazodone (100 mg/j pendant ≥ 5 jours), la miansérine (15 mg/j pendant ≥ 5 jours) et le propranolol (50 mg/j pendant ≥ 8 jours) peuvent être des alternatives efficaces avec des profils d'efficacité et de tolérance moins favorables.
- Gerolymos C, Barazer R, Yon DK, et al. Drug Efficacy in the treatment of antipsychotic-induced akathisia: a systematic review and network meta-analysis. JAMA Netw Open 2024;7:e241527. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2024.1527
- Wu H, Siafis S, Wang D, et al. Antipsychotic-induced akathisia in adults with acute schizophrenia: a systematic review and dose-response meta-analysis. Eur Neuropsychopharmacol. Eur Neuropsychopharmacol 2023l:72:40-9. DOI: 10.1016/j.euroneuro.2023.03.015
- Huhn M, Nikolakopoulou A, Schneider-Thoma J, et al. Comparative efficacy and tolerability of 32 oral antipsychotics for the acute treatment of adults with multi-episode schizophrenia: a systematic review and network meta-analysis. Lancet 2019;394:939‑51. DOI: 10.1016/S0140-6736(19)31135-3
- Keepers GA, Fochtmann LJ, Anzia JM, et al. The American Psychiatric Association practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia. Focus (Am Psychiatr Publ) 2020;18:493‑7. DOI: 10.1176/appi.focus.18402
- Japanese Society of Neuropsychopharmacology. Japanese Society of Neuropsychopharmacology: « Guideline for Pharmacological Therapy of Schizophrenia ». Neuropsychopharmacol Rep 2021;41:266‑324. DOI: 10.1002/npr2.12193
- Furukawa Y, Imai K, Takahashi Y, et al. Comparative efficacy and acceptability of treatment strategies for antipsychotic-induced akathisia: a systematic review and network meta-analysis. Schizophr Bull 2024;sbae098. DOI: 10.1093/schbul/sbae098
Auteurs
Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; LabMeF, Université Libre de Bruxelles
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Mots-clés
acathisie, antipsychotique, bipéridène, cyproheptadine, gallopamil, miansérine, mirtazapine, placebo, propranolol, trazodone, vitamine B6Code
G25, T88
A85, N08
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