Revue d'Evidence-Based Medicine
Influence du régime alimentaire et du moment de la prise des suppléments de fer sur l’absorption du fer
Minerva 2024 Volume 23 Numéro 8 Page 195 - 198
Professions de santé
Diététicien, Infirmier, Médecin généraliste, PharmacienContexte
L’absorption du fer à partir des suppléments n’est pas prévisible. Une discussion de deux études randomisées contrôlées menées en ouvert a montré que, chez les femmes présentant une carence en fer modérée, une dose de supplément de fer un jour sur deux est mieux absorbée que deux doses par jour (1,2). Certaines substances présentes dans les aliments, telles que l’acide phytique (en particulier dans les produits céréaliers contenant des grains entiers) et les antioxydants (dans le thé et le café) (3,4), ont un effet négatif sur l’absorption du fer, tandis que d’autres, comme l’acide ascorbique, favorisent l’absorption du fer. On ne sait toutefois pas dans quelle mesure ces résultats peuvent s’étendre aux suppléments de fer contenant des quantités plus élevées de fer. Le moment de la journée auquel il est préférable de prendre les suppléments de fer pour obtenir une absorption optimale n’a pas non plus été étudié. Une récente étude comparative randomisée a examiné l’influence des aliments et du moment de la prise des suppléments de fer sur l’absorption du fer (5).
Résumé
Population étudiée
- recrutement de 122 femmes provenant de différentes universités de Zurich
- critères d’inclusion : femmes ayant entre 18 et 45 ans, absence d’anémie (hémoglobine (Hb) > 12 g/dl), présentant une carence en fer (taux sérique de ferritine ≤ 30 μg/l), absence d’inflammation systémique (taux sérique de protéine C réactive (CRP) < 5 mg/l), BMI entre 18,5 et 26,5 kg/m2 et poids < 70 kg
- critères d’exclusion : maladie chronique grave, grossesse ou allaitement, tabagisme, prise de vitamines et de minéraux au cours des deux semaines avant le début de l’étude et pendant l’étude, transfusion sanguine, don de sang ou perte de sang importante au cours des quatre derniers mois
finalement, inclusion de 35 femmes, âge médian de 28 ans (interquartile (IQR) 24-33 ans), poids moyen de 56,7 kg (ET 8,2 kg) ; BMI médian de 20,3 kg/m² (interquartile 19,1-23,2 kg/m²) ; Hb médiane de 12,9 g/dl (interquartile 12,5-13,9 g/dl) ; taux médian de ferritine de 19,4 μg/l (interquartile 12,6-25,8 μg/l) et CRP médiane de 0,54 mg/l (interquartile 0,23-1,60 mg/l).
Protocole de l’étude
Étude croisée randomisée, contrôlée, menée en ouvert
- les participantes ont pris, les jours 1, 3 et 5 (première période de l’étude) et les jours 22, 24 et 26 (deuxième période de l’étude), un comprimé de 100 mg de fumarate de fer (Fe), avec 200 ml d’eau
- les investigateurs ont prévu six moments différents pour la prise du comprimé :
- le matin à jeun, avec uniquement de l’eau (référence)
- le matin à jeun, avec 80 mg de vitamine C
- le matin à jeun, avec 500 mg de vitamine C
- le matin à jeun, avec du café
- le matin à jeun, avec un petit-déjeuner composé de café, de pain gris, de beurre, de miel, yaourt et de jus d’orange (soit environ 90 mg de vitamine C)
- dans le courant de l’après-midi après un jeûne de 4 heures, avec de l’eau
- chaque participante a été assignée à un ordre particulier de ces moments sur la base d’une liste générée par un ordinateur
- la référence a été donnée à chaque fois le premier jour d’une période d’étude (c’est-à-dire soit le jour 1, soit le jour 22) ; la prise de l’après-midi a ensuite été donnée le dernier jour de l’autre période d’étude (c’est-à-dire soit le jour 5, soit le jour 26)
- pour chaque période d’étude, 3 mg de fumarate de 57Fe, de 54Fe ou de 58Fe ont été ajoutés au supplément de fer administré, ce qui a permis de relier l’absorption de fer lors des prises de sang à jeun des jours 22 et 43 à un apport déterminé
- après chaque prise, les patientes devaient rester à jeun pendant trois heures ; elles étaient autorisées à boire 500 ml d’eau entre 1 heure et 3 heures après la prise.
Mesure des résultats
- critères d’évaluation principaux : absorption fractionnelle du fer dans les érythrocytes et absorption totale du fer
- critères d’évaluation secondaires : taux sérique de ferritine, Hb, récepteurs solubles de la transferrine, fer sérique, capacité totale de fixation du fer, taux sérique d’hepcidine et marqueurs inflammatoires tels que la CRP et l’alpha glycoprotéine acide (AGP).
Résultats
- 34 des 35 femmes ont terminé l’étude ; 204 valeurs étaient disponibles concernant l’absorption
- principaux critères de jugement :
- par rapport à la référence (le matin à jeun avec uniquement de l’eau), l’absorption fractionnelle du fer était plus élevée lorsque le supplément de fer était pris en même temps que 80 mg ou 500 mg de vitamine C (respectivement médiane de 20,6% (interquartile 12,3-25,5) contre médiane de 26,7% (interquartile 19,1-32,6) et de 30,5% (interquartile 24,9-49,5) ; p < 0,001 pour les deux comparaisons) ; il n’y avait pas de différence en ce qui concerne l’absorption fractionnelle du fer entre la prise simultanée de 80 mg de vitamine C et celle de 500 mg de vitamine C (p = 0,226)
- par rapport à la référence (le matin à jeun avec uniquement de l’eau), l’absorption fractionnelle du fer était plus faible lorsque le supplément de fer était pris en même temps que du café uniquement ou avec un petit-déjeuner (respectivement médiane de 20,6% (interquartile 12,3-25,5) contre médiane de 9,5% (interquartile 6,2-16,3) et médiane de 6,9% (interquartile 4,1-13,0) ; respectivement p = 0,001 et p < 0,001) ; l’absorption fractionnelle du fer était plus faible lorsque le supplément de fer était pris en même temps qu’un petit-déjeuner à la place de café uniquement (p < 0,001)
- par rapport à la référence (le matin à jeun avec uniquement de l’eau), l’absorption fractionnelle du fer était plus faible lorsque le supplément de fer était pris dans le courant de l’après-midi (respectivement médiane de 20,6% (interquartile 12,3-25,5) contre médiane de 12,9% (interquartile 9,9-21,6) ; p = 0,059)
- critères de jugement secondaires :
- l’après-midi (prise de sang les jours 5 et 26), le taux sérique de ferritine (p < 0,001), le taux sérique d’hepcidine (p < 0,001), la capacité totale de fixation du fer (p = 0,049) étaient plus élevées, et le fer sérique (p = 0,001), la CRP (p = 0,043) et la saturation de la transferrine (p < 0,001) étaient plus faibles que le matin (prise de sang le jour 1) ; pas de différences significatives en ce qui concerne l’Hb et les récepteurs solubles de la transferrine.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que pour augmenter l’efficacité des suppléments de fer, il convient de les prendre le matin, en dehors des repas ou du café, et de les accompagner d’aliments ou de boissons riches en vitamine C. Par rapport à la prise de 100 mg de fer le matin avec du café ou un petit-déjeuner, la prise avec le jus d’orange seul multiplie par quatre l’absorption du fer et augmente d’environ 20 mg l’absorption du fer par dose prise.
Financement de l’étude
Laboratory of Human Nutrition, ETH Zurich, Suisse.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aucun.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
La question de recherche se prête parfaitement à la réalisation d’une étude croisée (6). Le fait de devoir moins tenir compte des variations entre les participantes a permis de limiter la population étudiée. Le calcul de la taille de l’échantillon s’est appuyé sur une étude antérieure réalisée chez des femmes en surpoids ou obèses, qui a mis en évidence une différence de 25% dans l’absorption fractionnelle du fer selon qu’elles prenaient ou non de la vitamine C (en quantité deux fois plus importante que la quantité de fer) (7). Pour une puissance de 80% et un niveau de signification de 0,05, le calcul montrait que la participation de 26 personnes était nécessaire. Tenant compte d’un taux d’abandons de 20% et de circonstances imprévues, ce nombre a été porté à 35. Le nombre de sorties d’étude était beaucoup plus faible que prévu. L’étude avait donc probablement suffisamment de puissance pour montrer une différence dans l’absorption du fer lorsque les suppléments de fer étaient pris avec de la vitamine C et lorsqu’ils étaient pris sans vitamine C. Par contre, il n’est pas certain que l’étude avait suffisamment de puissance pour les autres comparaisons.
L’intervention est décrite avec précision. Nous obtenons une image détaillée des aliments et des boissons qui peuvent être consommés et à quel moment, par rapport à la prise des comprimés de fer. Un protocole clair a également été adopté pour les prélèvements sanguins. L’utilisation d’isotopes a permis de déterminer sans ambiguïté la relation entre les différentes circonstances de la prise de fer et l’absorption fractionnelle du fer. Les chercheurs ont séparé les deux périodes d’étude par une période de sevrage de 17 jours. On ne sait pas clairement dans quelle mesure cela a permis d’éviter un effet de report (carry-over effect). Tous les résultats ne sont pas rapportés, notamment les critères de jugement secondaires.
Évaluation des résultats
Les personnes incluses dans cette étude sont uniquement des femmes ayant un poids corporel optimal, qui ne présentent pas d’anémie mais dont le taux de fer est faible. L’extrapolation à la population générale n’est donc pas évidente. En outre, la préparation à base de fer utilisée est le fumarate de fer, une forme non disponible en Belgique. En principe, les participantes ne prenaient aucun médicament susceptible d’interférer avec l’absorption du fer. Les résultats eux-mêmes ne sont pas très surprenants. On sait depuis longtemps que la vitamine C augmente l’absorption du fer en convertissant le Fe++ en Fe+++ et en réduisant la chélation (8,9). Le fait que l’absorption d’une dose élevée de vitamine C (500 mg) ne soit pas significativement plus élevée que celle d’une faible dose (80 mg) suggère que nous obtiendrons le même effet avec environ 250 ml de jus d’orange (soit 90 mg de vitamine C). Avec la dose de 500 mg de vitamine C, nous observons un large intervalle de confiance, ce qui peut indiquer que certaines personnes peuvent encore bénéficier de cette dose élevée. Il convient donc de poursuivre les recherches dans différentes populations. Lorsque les suppléments de fer étaient pris avec du café, l’absorption du fer était réduite de 54%, ce qui est similaire à l’effet négatif des polyphénols associés au fer dans les combinaisons fortifiantes. Ce qui est vrai avec le café l’est donc également avec le thé vert ou noir (10,11). Aucun effet indésirable n’a été signalé. D’autres sources nous apprennent que les patients qui prennent des suppléments de fer en état d’ébriété se plaignent souvent de troubles gastro-intestinaux tels que gêne gastrique, diarrhée et constipation (12). Associer les suppléments de fer à des aliments pourrait partiellement y remédier, mais au prix d’une réduction de l’absorption du fer, comme cette étude l’a montré. L’étude suggère également que le fer est mieux absorbé le matin que l’après-midi. Ceci est en corrélation avec le taux sérique d’hepcidine plus élevé mesuré dans l’après-midi. En effet, plus la concentration sérique d’hepcidine est élevée, moins l’absorption de fer de l’alimentation est importante.
Que disent les guides de pratique clinique ?
Lors de l’administration orale de fer, de l’acide ascorbique est souvent ajouté pour améliorer la résorption du fer. Mais on ne sait pas quelle en est l’importance clinique (12). La résorption du fer est améliorée lorsque le médicament est pris 1 heure avant ou 2 heures après les repas. L’administration pendant les repas réduit les troubles gastro-intestinaux, mais réduit aussi la résorption (12).
Conclusion de Minerva
Cette étude croisée randomisée contrôlée menée en ouvert chez des femmes présentant une carence en fer mais pas d’anémie montre que l’absorption du fer provenant d’un supplément de fer (100 mg de fer élémentaire sous forme de fumarate) est optimale lorsqu’il est pris à jeun le matin, sans café ni petit-déjeuner standard. La prise concomitante de 80 ou 500 mg de vitamine C à jeun peut augmenter l’absorption du fer.
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Auteurs
Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
Code
E61
T91
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