Revue d'Evidence-Based Medicine
Interventions non médicales pour améliorer le retour au travail des personnes atteintes d’un cancer.
Minerva 2024 Volume 23 Numéro 9 Page 204 - 208
Professions de santé
Ergothérapeute, Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, PsychologueContexte
Le nombre de survivants du cancer ne cesse de croître en raison à la fois des avancées médicales mais également grâce à l’amélioration des moyens de détections (1,2). Bien que de nombreuses personnes atteintes de cancer se rétablissent généralement bien après le diagnostic et les traitements, un nombre significatif continue à souffrir de problèmes physiques, émotionnels et sociaux persistants. Ces effets à long terme, qu'ils soient liés directement au cancer ou à son traitement, peuvent entraîner des limitations fonctionnelles qui impactent la vie sociale, notamment en ce qui concerne la capacité à obtenir ou conserver un emploi (3,4). Une précédente analyse Minerva avait déjà analysé une des nombreuses possibilités pour favoriser le retour au travail chez les patients (5,6). Cette fois, Minerva a sélectionné un article (7) où des interventions non médicales visent à faciliter le retour au travail des patients ayant reçu un diagnostic de cancer.
Résumé
Méthodologie
Il s'agit de la troisième mise à jour d’une revue systématique de la Collaboration Cochrane de la littérature d’essais contrôlés randomisés recrutant des participants âgés de 18 ans et plus (8,9).
Sources consultées
- consultations jusqu’au 18 août 2021 dans les bases de données et registres d’essai suivants :
- Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL) (la bibliothèque Cochrane)
- MEDLINE (Ovid) (dès 1966)
- Embase (Ovid) (dès 1947)
- CINAHL (EBSCO) (dès 1983)
- PsycINFO (Ovid) (dès 1806)
- ClinicalTrials.gov (clinicaltrials.gov/)
- Trialregister.nl (www.trialregister.nl/)
- isrctn.com (anciennement controlled-trials.com)
- examen des listes de références des études incluses et des revues sélectionnées, et contact avec les auteurs des études pertinentes pour demander toute étude supplémentaire publiée ou non publiée pouvant être pertinente pour cette revue Cochrane.
Etudes sélectionnées
- critères d’inclusion
- essais contrôlés randomisés et des essais en grappes
- portant sur des interventions psycho-éducatives, professionnelles, physiques ou multidisciplinaires visant à améliorer le retour au travail chez les personnes atteintes de cancer
- critères d’exclusion
- toutes études ne respectant pas le design (N=9) ou pour lesquelles la population n’est pas éligible (N = 13) ou portant sur des interventions médicales ou autres que préspécifiées (N = 9) ou dont les critères de jugement étaient différents de ceux attendus (N = 71)
- au total, 15 RCTs ont été incluses dont 8 nouvelles études ; 7 ont été retirées par rapport aux synthèses précédentes car les interventions étaient médicales ; toutes les études ont été menées dans des pays à revenu élevé ; 9 études visaient des personnes atteintes de cancer du sein et 2 études des hommes atteints de cancer de la prostate.
Population étudiée
- 1477 patients adultes (âgés de 18 ans et plus) ayant reçu un diagnostic de tout type de cancer et qui étaient en emploi rémunéré (salarié ou travailleur indépendant) au moment du diagnostic.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire
- retour au travail, mesuré soit par le taux de retour au travail (le nombre de participants ayant repris un emploi à temps plein ou à temps partiel, au même poste ou à un poste adapté), soit par la durée de l'arrêt de travail (le nombre de jours entre l'arrêt et la reprise du travail)
- les données sont collectées à 12 mois de suivi après l'intervention
- critères de jugement secondaires
- qualité de vie mesurée à l'aide de questionnaires validés ou non validés, portant sur des aspects tels que la qualité de vie globale, la qualité de vie physique et émotionnelle
- les données sont également collectées à 12 mois de suivi
- mesures de l'effet du traitement : pour les données dichotomiques, telles que le retour au travail mesuré comme le nombre de personnes ayant repris un emploi, les chercheurs ont utilisé le risque relatif comme mesure de l'effet du traitement ; pour les variables de retour au travail continues, telles que le nombre de jours d'arrêt de travail pendant la période de suivi, l’équipe de recherche a utilisé les différences moyennes lorsque les essais contrôlés randomisés utilisaient une échelle similaire, et les différences moyennes standardisées lorsque les essais contrôlés randomisés utilisaient des échelles ou des périodes de temps différentes.
Résultats
- critère de jugement primaire : efficacité sur le retour au travail
- les interventions psycho-éducatives (N = 4), comparées aux soins habituels, ne montrent pas de différence statistiquement significative (jugés n’entraîner que peu ou pas de différence par les auteurs) pour le retour au travail dans les 12 mois (RR de 1,09 avec IC à 95% de 0,96 à 1,24) et une certitude modérée des preuves
- les interventions professionnelles (N = 1), présentent des résultats statistiquement non significatifs (jugés très incertains par les auteurs) pour le retour au travail (RR de 0,94 avec IC à 95% de 0,78 à 1,13) et une certitude très faible des preuves
- les interventions physiques (N = 4) semblent probablement efficaces pour améliorer le retour au travail (RR de 1,23 avec IC à 95% de 1,08 à 1,39) et une certitude modérée des preuves
- les interventions multidisciplinaires (N = 6), qui combinent différents types d'interventions, sont également susceptibles d'améliorer le retour au travail dans les 12 mois (RR de 1,23 avec IC à 95% de 1,09 à 1,33) et une certitude modérée des preuves
- critère de jugement secondaire : qualité de vie
- les interventions psycho-éducatives montrent peu ou pas de différence, la certitude des preuves étant jugée faible
- les interventions professionnelles ne rapportent aucune donnée concernant la qualité de vie
- les interventions physique peuvent entraîner peu ou pas de différence dans la qualité de vie des patients, avec une certitude faible des preuves
- les interventions multidisciplinaires montrent peu ou pas de différence, avec une certitude faible des preuves.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les interventions physiques et les interventions multidisciplinaires augmentent probablement le retour au travail des personnes atteintes de cancer. Les interventions psycho-éducatives n'entraînent probablement que peu ou pas de différence dans le retour au travail, tandis que les preuves des interventions professionnelles sont très incertaines. Les interventions psycho-éducatives, physiques ou multidisciplinaires peuvent entraîner peu ou pas de différence dans la qualité de vie. Des recherches futures sur l'amélioration du retour au travail chez les personnes atteintes de cancer impliquant des interventions multidisciplinaires comprenant une composante physique, psycho-éducative et professionnelle sont nécessaires, et devraient être de préférence adaptées aux besoins du patient.
Financement de l’étude
Pas de mention.
Conflit d’intérêts des auteurs
2 des auteurs ayant des liens avec Cochrane Work se sont totalement retirés du processus éditorial pour garantir l'indépendance ; les auteurs de la revue n'ont pas participé à la sélection des études, à l'extraction des données, à l'évaluation du risque de biais ou à l'évaluation GRADE pour les études dans lesquelles ils étaient également impliqués en tant que co-auteurs.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
Cette étude est une mise à jour et se base donc sur la précédente revue pour commencer la recherche d’article (2015). Ce qui présuppose que le précédent article était construit correctement. Malheureusement ce précédent article n’a pas été analysé par Minerva, il n’est donc pas possible de juger de sa qualité. Cela étant dit, les chercheurs ont pris en compte les études publiées dans toutes les langues. Ils ont également consulté un large éventail de revue de qualité et contacté les auteurs pertinents pour avoir accès aux études non publiés. Malgré cela, la consultation d’expert du NIOSH (National Institute for Occupational Safety and Health) OSH Update, géré par l'Institution of Occupational Safety and Health (IOSH) au Royaume-Uni et de l’INRS français aurait été un plus pour redirigé vers d’éventuels études non publiées. La sélection des textes par les auteurs a suivi les prescrit habituel Cochrane. L’évaluation du risque de biais dans les études incluses a été réalisée par des équipes de deux auteurs de la revue par étude ont évalué de manière indépendante en utilisant l'outil RoB 1 de Cochrane, en adaptant les procédures décrites dans le Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions (Higgins 2011). Les auteurs de la revue n'ont pas évalué le risque de biais dans une étude dans laquelle ils étaient chercheurs. Les auteurs ont évalué le risque de biais des essais contrôlés randomisés d’après 10 critères considérées comme non standard dans les revues Cochrane. Ces 10 critères sont : adéquation de la génération de séquences, dissimulation de l’allocation, aveuglement, gestion des données de résultats incomplètes, utilisation de l'analyse en intention de traiter (ITT), preuve de la publication sélective des résultats, similitude des caractéristiques de base, similitude ou évitement des co-interventions, acceptabilité de la conformité, similitude du calendrier des évaluations des résultats. Pour les essais contrôlés randomisés par grappe 5 critères ont été rajoutés : biais de recrutement, déséquilibre de base, perte de grappes, comparabilité avec les essais randomisés individuellement et analyse incorrecte. Si l’évaluation des biais des études incluses n’est pas reconnue par Cochrane, elle semble malgré tout exhaustive. L’analyse des risques de biais montre des limites méthodologiques pour toutes les études incluses. Le critère « insu » est jugé le plus souvent comme étant à haut risque de biais.
L'hétérogénéité de cette littérature systématique d’essais contrôlés randomisés a été testée par le Chi-carré et l’I2. Les chercheurs ont interprété les résultats du χ² avec un seuil de significativité de p ≤ 0,10. Lorsqu'au moins deux essais contrôlés randomisés étaient jugés cliniquement homogènes, une méta-analyse a été effectuée en utilisant un modèle à effets fixes dans RevMan 2022. En cas d’hétérogénéité marquée (I² > 50%), les auteurs ont utilisé un modèle à effets aléatoires (DerSimonian 1986). Lorsque les auteurs n’ont pu lier les résultats dans une méta-analyse, ils ont décrit les résultats individuellement pour chaque étude. Deux auteurs ont utilisé GRADE (Grades of Recommendation, Assessment, Development and Evaluation) pour évaluer le niveau de certitude des preuves. L’ensemble de ces différentes méthodes est adéquat et pertinent.
Évaluation des résultats
« Près d’un demi-million de Belges se trouvent en incapacité de travail de longue durée. Les entrées dans le système continuent d’augmenter et, en dépit de l’intérêt accru porté à la réintégration, on n’observe pas (encore) d’accélération des sorties (10). » En 2024, avec un déficit budgétaire belge atteignant 104% du PIB (11), les finances publiques subissent une pression considérable. La gestion de cette dette nécessitera inévitablement la réintégration d'une partie des travailleurs en incapacité de travail. Ces quelques données permettent de mieux comprendre l’importance de bien évaluer l’intérêt des résultats de cette étude dans le cadre du contexte belge.
Les auteurs de l’étude reconnaissent certaines limites, notamment « par la variabilité des interventions étudiées, le risque de biais élevé dans certaines études, et la faible qualité des preuves pour certaines interventions, notamment les interventions professionnelles. » L’attribution d'un poids aux articles originaux, basé sur la variance inverse lorsque cela était possible, aurait pu renforcer la pertinence des résultats obtenus.
Malgré la faible qualité des preuves concernant les interventions professionnelles, il est regrettable que les interventions professionnelles dirigées vers la personne et celles orientées vers le lieu de travail aient été regroupées. En effet, en Belgique, ces deux types d'interventions soient mises en œuvre par des acteurs différents. Par exemple, ce sera le plus souvent l’employeur pour les interventions liés au poste de travail (en collaboration avec les services externe et interne pour la prévention et la protection au travail). La distinction est cruciale, car les moyens déployés pour favoriser le retour au travail peuvent varier considérablement en fonction de la taille de l’organisation. Par exemple, les grandes entreprises peuvent avoir des ressources significativement supérieures à celles des petites entreprises pour accompagner leurs employés dans ce processus. De plus, les auteurs de l’étude ne précisent pas quels critères ont été utilisés par les études sélectionnées pour évaluer certaines interventions, en particulier celles concernant l'amélioration de la communication au sein de l'entreprise (avec ou entre managers, collègues et professionnels de la santé). Cette absence de précisions limite la pertinence de ce critère et empêche une évaluation plus rigoureuse de cette dimension.
L'étude présente également une hétérogénéité clinique parmi les cas inclus, car elle ne distingue pas les différents diagnostics des patients survivants. Il est fort probable que des facteurs tels que le type de cancer, son stade, ainsi que l’âge des patients, influencent significativement le retour au travail. Une stratification des résultats basée sur ces paramètres, ainsi que sur le taux de survie probable à cinq ans, aurait permis d'obtenir des résultats plus affinés et une analyse plus détaillée des sous-groupes. Cette publication ne précise pas si les études sélectionnées ont pris en compte la situation financière des patients. En effet, les interventions physiques, telles que les programmes d'exercices structurés ou de rééducation, peuvent entraîner des coûts indirects, notamment liés aux frais de déplacement (même en tenant compte de l'aide d'associations de bénévoles) ou à l'accès à des infrastructures adaptées. Ces dépenses peuvent constituer une contrainte significative pour certains patients, surtout dans un contexte où leurs revenus sont souvent réduits pendant la période de convalescence. De même, cette observation s'applique aux interventions psycho-éducatives, qui peuvent également imposer des coûts indirects, limitant potentiellement l'accès de certains patients à ces programmes de soutien. En ce qui concerne la mesure des résultats primaires, le retour au travail a été évalué de manière appropriée. Toutefois, une distinction plus fine entre le retour à temps plein et à temps partiel aurait apporté une valeur ajoutée à l'analyse. Cela dit, il est probable que le nombre limité d’études disponibles n’ait pas permis une telle différenciation.
Quant aux résultats secondaires, la mesure de la qualité de vie repose en partie sur des questionnaires non validés, ce qui diminue la robustesse des conclusions sur ce critère. En outre, il est regrettable qu'aucune analyse des effets potentiellement négatifs de ces interventions (primaires et secondaires) n'ait été effectuée, car cela aurait permis une évaluation plus complète des risques et des bénéfices. Enfin, les auteurs soulignent que la majorité des essais contrôlés randomisés inclus dans cette revue systématique ont été menés dans des pays à revenu élevé (Europe, Australie, États-Unis). Cette concentration géographique limite la généralisation des résultats aux contextes socio-économiques similaires. Par conséquent, l’application des conclusions dans des pays à revenu faible ou intermédiaire peut être compromise, en raison des différences dans les systèmes de soins de santé, les politiques de retour au travail, et les ressources disponibles pour les interventions non médicales.
Que disent les guides de pratique clinique ?
En 2024 dans le contexte Belge, il n’existe pas de guide pratique officiel consacré spécifiquement à la réintégration au travail des malades ayant reçu un diagnostic de cancer. Toutefois, l’INAMI promeut « le disability management qui vise le maintien au travail ou un retour au travail de la personne en incapacité de travail. Le disability management s’appuie sur 2 piliers : une approche systématique au niveau de l’entreprise et des efforts coordonnés au niveau de la personne. Les personnes clés pour l’application pratique du disability management sont entre autres l’employé, l’employeur, les médecins du travail, les médecins conseils et les médecins traitants, chacun avec leur équipe multidisciplinaire (12) ». Via cette méthode et les acteurs qui la composent, peuvent alors être envisagés les interventions non-médicales pour favoriser le retour au travail des patients cancéreux.
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse suggère que les interventions physiques et multidisciplinaires, par apport à la non-intervention ou au traitement habituel, sont probablement efficaces pour améliorer le retour au travail des personnes atteintes de cancer. Cette méta-analyse présente une qualité méthodologique robuste, mais ses limites mettent en évidence la nécessité de mener des études supplémentaires afin d’affiner les résultats. Il est crucial d'explorer plus en profondeur les interventions professionnelles, qu'elles soient dirigées vers l'individu ou vers le lieu de travail. Il est à espérer que, lors de la prochaine mise à jour de cette méta-analyse, un plus grand nombre d’études auront été réalisées, permettant ainsi de distinguer plus clairement l'impact du type de cancer, du stade de la maladie et de l'âge des patients. Malgré ces limitations, l’application des interventions physiques et multidisciplinaires, pour faciliter le retour au travail des patients atteints de cancer, semble réalisable dans le contexte belge. Cependant, leur mise en œuvre pourrait dépendre en partie des ressources financières des patients et du soutien financier fourni par l'État, ce qui pourrait engendrer des disparités dans l’accès à ces interventions.
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- Nos formations en disability management. INAMI. URL: https://www.inami.fgov.be/fr/themes/reinsertion-socio-professionnelle/nos-formations-en-disability-management#plus-dinformations
Cet article a vu le jour lors de la journée des écrivains de Minerva en septembre de cette année. Sous la tutelle de membres expérimentés du comité de rédaction, de nouveaux auteurs, médecins et paramédicaux, ont travaillé à l'interprétation d'un article sélectionné par Minerva. Comme toujours ce texte a été révisé par les pairs de la rédaction. |
Auteurs
Tock R.
MSc Infirmières
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.
Glossaire
Code
C80
A79
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