Analyse


Les chances d’un retour durable au travail après une réadaptation augmentent-elles à la suite d’un entretien motivationnel ?


15 05 2021

Professions de santé

Ergothérapeute, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Gross DP, Park J, Rayani F, et al. Motivational interviewing improves sustainable return to work in injured workers after rehabilitation: a cluster randomized controlled trial. Arch Phys Med Rehabil 2017;98:2355-63. DOI: 10.1016/j.apmr.2017.06.003


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée, pragmatique, menée en ouvert avec randomisation par grappe, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, ayant été réalisée en aveugle, montre que, pendant la réadaptation de travailleurs blessés qui ne se sont pas suffisamment rétablis après le temps de guérison habituel, le recours à l’entretien motivationnel par des prestataires de soins qui y ont été formés conduit, après un an, à plus de reprise de travail partiel et à une transition plus aisée vers un travail adapté. Une étude plus approfondie est nécessaire pour savoir dans quelle mesure ces résultats satisfaisants peuvent être extrapolés à la pratique réelle.



Une précédente analyse de Minerva (1,2) a souligné le rôle important et relativement délicat des médecins généralistes dans la prescription de l’incapacité de travail et dans l’orientation de l’organisation de la reprise du travail des patients souffrant de troubles dépressifs. Il a été évoqué que, les coûts individuels et sociaux liés à l’incapacité de travail de longue durée en cas de symptômes de dépression étant élevés et le médecin généraliste pouvant avoir un rôle central pour limiter cette forme d’incapacité de travail, il convient de donner la priorité à la poursuite de la recherche.

La plupart des personnes atteintes de lésions musculo-squelettiques aiguës récupèrent promptement et retournent rapidement au travail, mais certaines sont confrontées à une douleur persistante, à une déficience fonctionnelle et à la perte de leur emploi (3). La recherche montre que le retour au travail dépend de facteurs psychologiques et sociaux (4), mais souvent il n’existe pas de stratégie efficace pour résoudre ces problèmes. Une des stratégies envisagées est l’entretien motivationnel. Il s’agit d’une méthode développée par Miller et Rollnick (5) que l’on peut définir comme un style de communication collaboratif, orienté vers un but, utilisée par le prestataire de soins pour aider le patient à modifier son comportement actuel (6). Miller et Rollnick ont identifié quatre composantes fondamentales dans l’entretien motivationnel : le partenariat entre le patient et le prestataire de soins ; l’acceptation ou l’empathie vis-à-vis des sentiments et des perspectives du patient, que le prestataire de soins comprend sans jugement, ni critique, ni reproche ; la compassion, c’est-à-dire que le prestataire de soins agit dans l’intérêt du patient et non par intérêt personnel ; et l’évocation des propres motivations du patient pour le changement (6). Parallèlement à cela, on distingue dans l’entretien motivationnel quatre processus lors de l’accompagnement du changement de comportement du patient : l’engagement (établir et maintenir une relation de travail équitable avec le patient), la focalisation (formuler les objectifs de changement avec le patient et déterminer les priorités), l’évocation (en dialogue avec le patient, évoquer son ambivalence face à un changement de comportement et rechercher avec lui des solutions) et la planification (6). Ces processus se succèdent, se répètent et se renforcent mutuellement (6). Cette méthode est actuellement déjà utilisée dans le sevrage tabagique (7) et pour encourager l’exercice physique chez les personnes souffrant de problèmes de santé chroniques (8), mais on ne sait pas encore bien quels en sont les résultats nets.

 

Une étude pragmatique contrôlée avec randomisation par grappes a voulu déterminer si les entretiens motivationnels pouvaient améliorer la durabilité du retour au travail après la réadaptation (9). Une compagnie d’assurance-travail canadienne a recruté tous les travailleurs blessés qui n’étaient pas suffisamment rétablis après le temps de guérison habituel et qui entraient en ligne de compte pour une réadaptation. Les travailleurs de moins de 18 ans, ceux qui présentaient des lésions traumatiques cérébrales ou psychologiques ou qui ne pouvaient pas participer à un programme de réadaptation en raison d’une intervention chirurgicale, d’une comorbidité, de pathologies irréversibles ou d’une mauvaise observance du traitement ont été exclus. En fin de compte, 728 personnes ont été incluses ; leur âge était en moyenne de 44,6 ans (ET 12,2 ans) ; 63,2% étaient de sexe masculin ; leur blessure datait en moyenne de 233,7 jours (ET 688 jours) ; 72,7% avaient un travail, mais 75% recevaient une indemnité de remplacement de salaire. 12 thérapeutes (6 ergothérapeutes et 6 kinésithérapeutes), âgés en moyenne de 33 ans et ayant en moyenne 7 à 9 ans d’expérience en réadaptation, ont été randomisés en aveugle en deux groupes. Une formation en entretien motivationnel sur trois jours a été donnée aux thérapeutes du groupe intervention. En fonction de la disponibilité des thérapeutes dans un programme informatique, un agent administratif du centre, qui était en aveugle, a attribué un thérapeute aux travailleurs de manière séquentielle. Six grappes dans le groupe intervention et six grappes dans le groupe témoin ont ainsi été créées ; chaque grappe était composée d’un thérapeute et de 47 à 72 travailleurs. Tant dans le groupe intervention que dans le groupe témoin, les travailleurs ont bénéficié d’une réadaptation fonctionnelle interdisciplinaire (avec notamment d’autres professionnels de la santé, les employeurs, les représentants syndicaux, les gestionnaires d’assurance) en mettant l’accent sur l’amélioration des possibilités d’emploi, la planification du retour au travail, des conseils individuels et des ateliers de formation. Les thérapeutes du groupe intervention ont été invités à utiliser l’entretien motivationnel pendant la réadaptation. Étant donné sa nature, l’intervention ne permettait pas que les thérapeutes et les travailleurs ignorent s’ils faisaient partie du groupe intervention ou du groupe contrôle. Comme principaux critères de jugement, les investigateurs ont choisi des critères de jugement objectifs. Le nombre de jours pendant lesquels les travailleurs ont bénéficié de différentes formes d’indemnité de remplacement de salaire au cours de l’année suivant la randomisation a été enregistré en aveugle par des investigateurs. Les investigateurs ont tenu compte de l’effet grappe (10).

Un an après la randomisation, les personnes sans travail qui faisaient partie du groupe intervention avaient plus de jours d’incapacité temporaire partielle que celles du groupe témoin (moyenne de 8,2 jours versus 0,2 jour ; p < 0,001). Cela peut indiquer qu’elles ont trouvé plus de travail avec adaptation des tâches et des horaires. Les personnes ayant un travail qui faisaient partie du groupe intervention avaient plus de jours avec allocation de formation que celles du groupe témoin (moyenne de 3,1 jours versus 1,0 jour ; p < 0,01) ; elles ont également moins récidivé en termes d’indemnités de remplacement de salaire (4,5% versus 9,1% ; p = 0,04) et ont connu moins de récidives d’incapacité temporaire partielle (2,9% versus 7,7% ; p > 0,02). 

Malgré ces résultats satisfaisants, il faut souligner que l’on ne sait pas dans quelle mesure on peut extrapoler l’effet. L’utilisation efficace de l’entretien motivationnel a été documentée par les thérapeutes chez seulement 26% des personnes ayant un travail qui faisaient partie du groupe intervention, et il y avait beaucoup de variation d’un thérapeute à l’autre. De plus, nous ne savons rien de la qualité des entretiens motivationnels qui ont été proposés. En outre, l’effet peut également être dilué par contamination. Enfin, il faut aussi prendre en compte un éventuel effet Hawthorne et le fait que le suivi n’a duré qu’un an.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Il n’existe pas de véritable guide de pratique clinique sur le problème de l’invalidité de longue durée, mais le trajet de réintégration prévu par les services publics (11) souligne qu’une absence pour maladie de longue durée représente un coût important pour l’employeur, pour la sécurité sociale et pour la société, mais certainement aussi pour le travailleur lui-même car elle conduit à une perte de revenus, à une perte de contacts sociaux et souvent aussi à davantage de problèmes de santé. Plus longtemps une personne est en incapacité de travail, plus il lui est difficile de retourner travailler. Le déroulement d’un trajet de réintégration doit permettre aux employeurs et aux travailleurs en incapacité de travail, ainsi qu’aux travailleurs en incapacité de travail qui ne sont pas liés par un contrat de travail, de prendre conscience qu’il existe réellement des possibilités pour la réintégration, et de les aider à saisir cette opportunité.

 

Conclusion

Cette étude randomisée contrôlée, pragmatique, menée en ouvert avec randomisation par grappe, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, ayant été réalisée en aveugle, montre que, pendant la réadaptation de travailleurs blessés qui ne se sont pas suffisamment rétablis après le temps de guérison habituel, le recours à l’entretien motivationnel par des prestataires de soins qui y ont été formés conduit, après un an, à plus de reprise de travail partiel et à une transition plus aisée vers un travail adapté. Une étude plus approfondie est nécessaire pour savoir dans quelle mesure ces résultats satisfaisants peuvent être extrapolés à la pratique réelle.

 

 

Références 

  1. Heyerick M, Lemiengre M. Comment les médecins généralistes gèrent-ils l’incapacité de travail chez les patients ayant des symptômes de dépression ? MinervaF 2017;16(6):150-3.
  2. Sylvain C, Durand MJ, Maillette P, Lamothe L. How do general practitioners contribute to preventing long-term work disability of their patients suffering from depressive disorders? A qualitative study. BMC Fam Pract 2016;17:71. DOI: 10.1186/s12875-016-0459-2
  3. Artus M, Campbell P, Mallen CD, et al. Generic prognostic factors for musculoskeletal pain in primary care: a systematic review. BMJ Open 2017;7:e012901. DOI: 10.1136/bmjopen-2016-012901
  4. Cancelliere C, Donovan J, Stochkendahl MJ, et al. Factors affecting return to work after injury or illness: best evidence synthesis of systematic reviews. Chiropr Man Therap 2016;24:32. DOI: 10.1186/s12998-016-0113-z
  5. Miller WR, Rollnick S. L’entretien motivationnel aider la personne à engager le changement (2ième édition). InterÉditions, 2013.
  6. Baron E, De Jonge J, Schippers GM. Motiverende gespreksvoering. Gedragstherapie, 2015;2:138-52.
  7. Lindson N, Thompson TP, Ferrey A, et al. Motivational interviewing for smoking cessation. Cochrane Database Syst Rev 2019;7:CD006936. DOI: 10.1002/14651858.CD006936.pub4
  8. O'Halloran PD, Blackstock F, Shields N, et al. Motivational interviewing to increase physical activity in people with chronic health conditions: a systematic review and meta-analysis. Clin Rehabil 2014;28:1159-71. DOI: 10.1177/0269215514536210
  9. Gross DP, Park J, Rayani F, et al. Motivational interviewing improves sustainable return to work in injured workers after rehabilitation: a cluster randomized controlled trial. Arch Phys Med Rehabil 2017;98:2355-63. DOI: 10.1016/j.apmr.2017.06.003
  10. Chevalier P. Randomisation en grappes (collective). MinervaF 2012;11(4):51.
  11. Avis du Conseil supérieur pour la prévention et la protection au travail. SPF Emploi, Travail et Concertation sociale. URL : https://emploi.belgique.be/fr/themes/bien-etre-au-travail/la-surveillance-de-la-sante-des-travailleurs/reintegration-des#toc_heading_9

 

 

 

 

 


Auteurs

Callens J.
klinisch psycholoog/gedragstherapeut, PZ Sint Jozef Pittem, UZ Gent en Plan C, psychologenpraktijk in Wevelgem/Kortrijk
COI :

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires