Revue d'Evidence-Based Medicine
Efficacité et sécurité à long terme de la stimulation spinale cordonale à haute fréquence pour la douleur chronique ?
Minerva 2025 Volume 24 Numéro 7 Page 150 - 154
Professions de santé
Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généralisteContexte
La douleur chronique constitue un problème majeur de santé publique. Elle est très souvent associée à une diminution des capacités physiques et à une charge de stress chronique. De plus, le fardeau socio-économique associé aux coûts des soins et aux baisses de productivité est considérable. Un nombre croissant de recherches continuent de soutenir le modèle biopsychosocial comme cadre prédominant pour conceptualiser l'expérience de la douleur chronique tant dans sa causalité complexe que dans l’approche largement acceptée et empiriquement étayée pour une prise en charge optimale (1). La douleur est classiquement catégorisée comme nociceptive, neuropathique ou nociplastique, toutes ces catégories affectant le bilan et les décisions de traitement à tous les niveaux. Cependant, dans la pratique et en particulier dans le cas de la douleur chronique, il peut exister un chevauchement et une évolution temporelle dans les différents types de mécanismes de la douleur. Les essais cliniques et les lignes directrices recommandent généralement une approche thérapeutique multimodale et interdisciplinaire personnalisée, qui peut inclure une pharmacothérapie, une psychothérapie, des traitements intégratifs et des procédures invasives (2). La prise en charge initiale de la douleur chronique doit en première intention être proposée en médecine générale. De nombreux patients souffrant de douleur chronique réagissent bien aux explications, à l’écoute, aux exercices spécifiques et, si nécessaire, à la pharmacothérapie et aux interventions focales. Si une douleur modérée ou intense persiste malgré ces stratégies, une approche multidisciplinaire individualisée et plus intensive peut être indiquée. Une équipe interdisciplinaire de prise en charge de la douleur comprend idéalement un psychologue ou un autre spécialiste de la santé comportementale spécialisé dans la douleur, un physiothérapeute spécialisé dans la douleur, ainsi que d'autres spécialistes (3). Vu la balance bénéfice-risque peu favorable de la pharmacothérapie (notamment des opioïdes (4,5) et des antiépileptiques (6,7)) dans la prise en charge de la douleur chronique, l’attention de la recherche se porte de plus en plus sur les interventions non pharmacologiques, invasives et non invasives. La stimulation spinale cordonale (SCS) est généralement acceptée comme proposition thérapeutique dans les cas de syndrome douloureux régional complexe, de failed back surgery syndrome (syndrome d’échec de la chirurgie du dos) et de douleur neuropathique (8). Ce type d’intervention chirurgicale n’a encore jamais été analysé par Minerva. Le but de la méta-analyse analysée ici est d’objectiver son efficacité et sa sécurité à long terme dans la douleur chronique (9).
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyse.
Sources consultées
- bases de données : PubMed, Web of Science, Cochrane, Embase
- période : 2004-2023.
Études sélectionnées
- inclusion des essais contrôlés randomisés anglophones avec suivi ≥ 6 mois et au moins un indicateur principal de résultat disponible (mesure dichotomique d’efficacité avec au moins 50% de diminution de la douleur, mesure continue de la douleur par Visual Analogic Scale (VAS) ou Numerical Rating Score (NRS))
- exclusion des non-RCTs, études animales, cas cliniques, données incomplètes, doublons, articles non anglophones
- au total, 7 RCTs ont été incluses couvrant la période allant de 2016 à 2023 ; le nombre de participants dans les études varie de 10 à 113 ; dans la majorité des sept études examinées, une stimulation médullaire à basse fréquence (entre 40 et 60 Hz) a été utilisée ; plus précisément, six études ont appliqué une fréquence de 10 kHz, tandis qu’une autre a utilisé une fréquence de 1 kHz ; la plupart des électrodes ont été implantées entre les vertèbres T8 et T11.
Population étudiée
- adultes avec douleurs chroniques (> 3 mois ; diverses étiologies : lombalgie chronique, syndrome post-chirurgie lombaire, syndrome douloureux régional complexe, pied diabétique)
- critères d’inclusion :
- diagnostic de douleur chronique avec indication de stimulation médullaire haute fréquence (High Frequency Spinal Cord Stimulation)
- groupe contrôle ayant reçu un autre traitement (SCS basse fréquence, traitement médical, bloc nerveux, etc.)
- au total, 772 patients souffrant de douleur chronique ont été répertoriés ; les pathologies concernées incluaient la lombalgie chronique, le syndrome douloureux postopératoire lombaire, le syndrome douloureux régional complexe et le pied diabétique.
Mesure des résultats
- critères de jugement primaires :
- taux d’efficacité : proportion de patients avec ≥ 50% de réduction de la douleur
- intensité de la douleur (NRS ou VAS)
- critères de jugement secondaires :
- critère de sécurité : fréquence des effets indésirables
- méthodes statistiques : calcul hétérogénéité par I2, modèle fixe si possible ou modèles à effets aléatoires si nécessaire.
Résultats
Tableau 1. Les résultats des critères de jugement primaires et de sécurité.
Critère |
Comparaison |
Résultat chiffré (IC à 95%) |
p |
Interprétation |
Taux d’efficacité ≥50 ù |
HF-SCS vs groupe contrôle |
RR de 2,44 (1,20 à 4,96) |
0,01 |
Stat. significatif |
*HF-SCS + med trad vs med trad seule |
RR de 11,39 (5,46 à 23,77) |
<0,00001 |
Stat. significatif |
|
*HF-SCS vs LF-SCS |
RR de 1,23 (1,01 à 1,50) |
0,04 |
Stat. significatif |
|
Intensité douleur (NRS/VAS) |
HF-SCS vs groupe témoin |
DMS de -0,59 (-1,28 à 0,10) |
0,09 |
Non significatif |
Effets indésirables (tous types) |
HF-SCS vs groupe témoin |
OR de 0,77 (0,23 à 2,59) |
0,67 |
Non significatif |
HF-SCS = SCS haute fréquence ; LF-SCS = SCS basse fréquence ; DMS = différence moyenne standard ; med trad = prise en charge par médecine traditionnelle ; * = analyse de sous-groupe.
- une hétérogénéité importante a été observée entre les études concernant l’étude de l’intensité de la douleur ; une analyse de sous-groupes, réalisée selon l’échelle d’évaluation utilisée, a confirmé l’absence de différence significative entre les groupes concernant les scores EVA à six mois ; les résultats étaient similaires pour les scores NRS à six et douze mois
- l’évènement indésirable principal était le déplacement d’électrode montrant un taux similaire entre HF-SCS et témoins.
Tableau 2. Les résultats des critères de jugement secondaires (toutes les comparaisons = HF-SCS vs groupe témoin).
Critère |
Résultat chiffré (IC à 95%) |
p |
Statut |
Oswestry Disability Index (ODI) |
DM de 3,77 (1,17 à 6,38) |
0,005 |
Stat. significatif |
PGI-I (6 mois) |
DMS de 0,11 (-0,66 à 0,88) |
0,78 |
Non significatif |
PGI-I (12 mois) |
DMS de 0,02 (-0,42 à 0,43) |
0,97 |
Non significatif |
CGI-I (6 mois) |
DMS de -0,58 (-1,62 à 0,43) |
0,27 |
Non significatif |
CGI-I (12 mois) |
DMS de -0,23 (-0,94 à 0,48) |
0,52 |
Non significatif |
DM = différence moyenne ; DMS = différence moyenne standardisée.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les résultats de cette revue exhaustive avec méta-analyse offrent des données encourageantes sur certains critères d'efficacité et sur la sécurité prolongée de la stimulation médullaire haute fréquence (HF-SCS), comparée à la stimulation médullaire à basse fréquence ou aux traitements classiques dans la prise en charge de la douleur chronique non cancéreuse. Il est crucial de reconnaître les limites des données probantes existantes. D'autres essais cliniques, méticuleusement planifiés et rigoureux, sont essentiels pour renforcer le corpus de preuves actuel et aboutir à des conclusions plus définitives.
Financement de l’étude
Jinling Hospital Management Project.
Conflit d’intérêts des auteurs
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.
Discussion
Évaluation de la méthodologie
La méthodologie de cette synthèse méthodique suit les standards classiques, à savoir : enregistrement sur PROSPERO, sources consultées, sélection des articles par PRISMA par deux auteurs indépendants recherchant un consensus avec l’aide d’’un troisième chercheur si nécessaire, évaluation des risques de biais par la méthode Cochrane, prise en compte de critères de jugement cliniquement pertinents, variés et complémentaires, incluant la douleur évaluée à la fois par des variables dichotomiques (rapport de risque) et continues (différence moyenne standardisée), ainsi que la fonction mesurée par l’échelle d’Oswestry.
L’ensemble des études incluses ont utilisé une méthode de randomisation jugée globalement à faible risque de biais. L’aveuglement des participants et des évaluateurs était variable, avec plusieurs études présentant un risque de biais de performance ou une absence d’information claire. Aucun biais de sélection ou de rapport sélectif n’a été identifié.
Les auteurs ont pris en compte l’hétérogénéité des résultats (plusieurs facteurs explicatifs sont mentionnés : type de pathologie (lombalgie, CRPS, pied diabétique, etc.), site de la douleur, taille des échantillons, caractéristiques des patients, critères d’inclusion/exclusion, protocoles de prise en charge, stratégies de mesure des résultats) en appliquant des modèles à effets aléatoires lorsque nécessaire et ont réalisé des analyses de sous-groupes selon les échelles d’évaluation utilisées, ainsi qu’une analyse de sensibilité pour tester la robustesse des résultats. Les auteurs indiquent qu’aucun schéma explicatif clair n’a émergé. Ils concluent que les analyses de sous-groupes n’ont pas permis d’identifier de manière robuste les sources de l’hétérogénéité.
La principale critique est l’absence de catégorisation entre les différents tableaux cliniques de douleur chronique inclus dans la méta-analyse. Or vu le caractère invasif de la procédure (et son accès limité) il aurait été intéressant d’identifier quel profil de patient douloureux chronique répond le mieux à la SCS à haute fréquence. Cette méta-analyse se focalise essentiellement sur la supériorité d’une procédure (la SCS à HF) par rapport aux autres (SCS à basse fréquence ou traitements classiques) sans considérer quels patients ont été inclus dans les différentes RCTs. Seules des RCTs ont été incluses, sans explication quant à la pertinence d’exclure les études non randomisées alors que vu la nature interventionnelle et invasive de la procédure, cela aurait peut-être été intéressant de les inclure. Aucun test statistique n’a été réalisé pour évaluer un éventuel biais de publication (comme un funnel plot ou un test d’asymétrie), et les auteurs ne justifient pas cette absence. Cette omission est regrettable, en particulier dans une méta-analyse incluant un nombre limité d’études, où le risque de biais de publication peut être plus difficile à détecter mais potentiellement plus impactant. Les auteurs précisent les motifs d’exclusion des études dans le diagramme PRISMA (suivi insuffisant, doublons, absence de randomisation), mais ne fournissent pas la liste détaillée des références exclues ni les justifications individuelles. Cette absence limite la transparence du processus de sélection.
Évaluation des résultats
Pour le critère de jugement primaire (taux d’efficacité > 50%), seuls 4 des 7 RCTs ont été incluses, avec une hétérogénéité très marquée, soulevant des interrogations sur la comparabilité des études et la robustesse des conclusions. Les auteurs en concluent néanmoins à une supériorité notable de la HF-SCS sur les procédures contrôles (SCS-LF ou prises en charge classiques). En regardant les chiffres (FIG 4 dans l’article), on constate une hétérogénéité très importante entre les 2 premières et les 2 dernières études quant au nombre de patients soulagés dans les groupes contrôle. C’est le nombre étonnamment faible de patients soulagés dans les groupes contrôles des 2 dernières études qui permet un RR aussi significatif à 2,44. Concernant les autres critères de jugement, on ne constate pas de différence statistiquement significative entre les groupes intervention et les groupes contrôle, sauf pour la fonction.
Il est par ailleurs étonnant de constater que le seul effet indésirable mentionné dans l’étude soit le déplacement de sonde, aucune mention n’est faite sur le risque infectieux (spondylodiscite) certes rare (10) mais potentiellement très grave. L’article de cette méta-analyse, malgré des résultats en chiffres plutôt contradictoires, développe dans sa discussion et sa conclusion un narratif clairement favorable à la procédure de HF-SCS. « Nous trouvons que la HF-SCS peut en effet offrir un soulagement substantiel et prolongé à la douleur ». Or ces procédures invasives ont une place limitée dans la prise en charge globale de la douleur chronique, d’autant que les preuves de la supériorité de cette procédure spécifique par rapport à la réintervention ou à la prise en charge médicale conventionnelle du syndrome de l'échec de la chirurgie du dos sont de qualité faible à modérée, et d’autre part des preuves contradictoires existent quant à la supériorité de la SCS traditionnelle par rapport à la stimulation simulée ou entre les différentes modalités de SCS. Les technologies de stimulation nerveuse périphérique ont également connu un développement rapide et sont devenues moins invasives, notamment celles qui sont souvent placées par voie percutanée (11).
Que disent les guides de pratique clinique ?
Ebpracticenet renvoie vers la recommandation KCE de 2018 sur la prise en charge de la lombalgie (12) et vers la recommandation Prise en charge multimodale de la douleur chronique primaire (13) de WOREL (2024) qui ne discutent pas la SCS. Aucune mention non plus du côté de la HAS dans la palette d’outils pour la prise en charge de la lombalgie (14). La HAS a réalisé une évaluation des systèmes implantables de neurostimulation médullaire en 2014 (15) qui précise que « les systèmes implantables de neurostimulation médullaires ont un intérêt dans le traitement des douleurs d’origine neuropathique liées à un syndrome d’échec de chirurgie du rachis, un syndrome régional douloureux complexe ou avec une composante radiculaire, réfractaires aux traitements conventionnels. La réalisation d’un test de stimulation épidurale préalable à l’implantation définitive est obligatoire. L’implantation définitive doit être conditionnée à une réduction des douleurs d’au moins 50% (objectivée par des échelles de mesure validées) et une couverture totale du territoire douloureux ».
Conclusion de Minerva
Cette méta-analyse de faible ampleur montre des résultats contradictoires quant à l’efficacité de la stimulation médullaire à haute fréquence dans la douleur chronique. Cette procédure reste une procédure de troisième intention (après prise en charge en première et deuxième ligne de soin) et est à réserver à des indications précises. Cette synthèse méthodique ne permet malheureusement pas de préciser quel profil de patient douloureux chronique pourrait répondre le mieux à cette procédure invasive et ne fait aucune mention des effets indésirables rares mais graves liées à l’intervention chirurgicale.
- Driscoll MA, Kerns RD. Integrated, team-based chronic pain management: bridges from theory and research to high-quality patient care. In: Ma C, Huang Y. (eds) Translational research in pain and Itch. Springer, 2024. Available from https://doi.org/10.1007/978-981-99-8921-8_14
- Cohen SP, Vase L, Hooten WM. Chronic pain: an update on burden, best practices, and new advances. Lancet 2021;397:2082-97. DOI: 10.1016/S0140-6736(21)00393-7
- Tauben D, Stacey BR. Approach to the management of chronic non-cancer pain in adults. UpToDate 2023. (Site consulté le 29/07/25).
- Feron J-M. Efficacité des médicaments opioïdes versus non opioïdes pour la fonction et la douleur chez les patients douloureux chroniques au niveau du dos, de la hanche ou du genou. Minerva Analyse 15/09/2019.
- Krebs EE, Gravely A, Nugent S,et al. Effect of opioid vs nonopioid medications on pain-related function in patients with chronic back pain or hip or knee osteoarthritis pain: the SPACE randomized clinical trial. JAMA 2018;319:872-82. DOI: 10.1001/jama.2018.0899
- Feron J-M. Balance bénéfice - risque de la gabapentine et de la prégabaline dans la lombalgie chronique. Minerva Analyse 15/02/2019.
- Shanthanna H, Gilron I, Rajarathinam M, et al. Benefits and safety of gabapentinoids in chronic low back pain: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. PLoS Med 2017;14:e1002369. DOI: 10.1371/journal.pmed.1002369
- Chakravarthy K, Richter H, Christo PJ, et al. Spinal cord stimulation for treating chronic pain: reviewing preclinical and clinical data on paresthesia-free high-frequency therapy. Neuromodulation 2018;21:10-18. DOI: 10.1111/ner.12721
- Sun S, Yin J, Wei H, et al. Long-term efficacy and safety of high-frequency spinal stimulation for chronic pain: a meta-analysis of randomized controlled trials. Clin J Pain 2024;40:415-27. DOI: 10.1097/AJP.0000000000001215
- Ho JS, Glicksman M, Kang K, et al. Spinal cord stimulator complication rates: a single-institution, 22-year study (1999-2021). Pain Physician 2024;27:E909-E917.
- Knotkova H, Hamani C, Sivanesan E, et al. Neuromodulation for chronic pain. Lancet 2021;397:2111-24. DOI: 10.1016/S0140-6736(21)00794-7
- Van Wambeke P, Desomer A, Ailliet L, et al. Guide de pratique clinique pour les douleurs lombaires et radiculaires. KCE, 2025. Ebpracticenet.
- Van Cauwenbergh C, De Coninck L, Cordyn, et al. Prise en charge multimodale de la douleur chronique primaire (DCP). WOREL, décembre 2024.
- Prise en charge du patient présentant une lombalgie commune. HAS, mis en ligne le 4/04/2019.
- Évaluation des systèmes implantables de neurostimulation médullaire. HAS, mis en ligne le 27/05/2014.
Ajoutez un commentaire
Commentaires