Revue d'Evidence-Based Medicine



L’activité physique retarde-t-elle une régression cognitive ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 5 Page 64 - 65

Professions de santé


Analyse de
Lautenschlager NT, Cox KL, Flicker L, et al. Effect of physical activity on cognitive function in older adults at risk for Alzheimer disease: a randomized trial. JAMA 2008;300:1027-37.


Question clinique
La pratique d’exercices physiques peut-elle retarder la régression des fonctions cognitives chez des personnes âgées se plaignant de problèmes de mémoire ?


Conclusion
Cette étude montre que la pratique d’une activité physique chez des personnes âgées présentant des troubles cognitifs légers apporte un bénéfice faible et cliniquement non pertinent sur la régression des capacités cognitives. Cette pratique d’exercices physiques apporte cependant d’autres avantages dans cette catégorie d’âge.


 

Contexte

Tout moyen permettant de retarder la régression des fonctions cognitives est d’un apport important au point de vue santé publique. Aucun bénéfice n’est prouvé avec les inhibiteurs des cholinestérases, donépézil et rivastigmine (1) et galantamine, ni avec la mémantine, ni avec le rofécoxib, le piracétam ni la vitamine E (2). Des études d’observation suggèrent que la pratique d’exercices physiques ralentit la régression des fonctions cognitives (3) ; des études randomisées rigoureuses font cependant défaut.

 

Résumé de l'étude

Population étudiée

  • personnes âgées > 50 ans ; âge moyen de 68 ans ; moitié d’hommes ; 25% d’ex-fumeurs, 1,2% de fumeurs actifs ; activité physique jugée suffisante (≥ 70 000 pas par semaine) chez 24,7% des sujets du groupe intervention versus 30,6% dans le groupe contrôle ; problèmes de mémoire ne répondant pas aux critères de démence
  • critères d’exclusion : démence (suivant les critères ICD-10, MMSE < 24, Clinical Dementia Rating scale ≥ 1), dépression cliniquement pertinente, consommation d’alcool > 4 unités par jour, pathologie psychiatrique chronique (schizophrénie), cancer métastasé, insuffisance cardiaque sévère, déficit sensoriel important, non pratique de l’anglais.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, avec insu pour les évaluateurs
  • intervention : programme de 6 mois de promotion d’une activité physique (principalement marche de 3 x 50 minutes par semaine) + encouragement téléphonique de modification de comportement + information de base sur le rôle de l’alimentation, du tabagisme, de l’alcool sur la mémoire (n=85)
  • groupe contrôle : information de base (sans remarques à propos de l’activité physique) et soins habituels (n=85)
  • durée d’étude : 18 mois avec consultations de suivi à 6 (fin de l’intervention), 12 et 18 mois
  • analyse en intention de traiter.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : modification au score ADAS-cog (de 0 à 70)
  • critères de jugement secondaires : tests complémentaires de la mémoire, scores de démence et de dépression, qualité de vie
  • détermination du niveau d’activité physique par le questionnaire CHAMPS et par pédomètre.

Résultats

  • niveau moyen d’activités physiques : après 6 mois, différence de 9 000 pas / semaine en faveur du groupe intervention ; après 18 mois (1 an après la fin de l’intervention), différence de 6 000 pas / semaine ; observance des exercices physiques prescrits chez 78,2% des participants durant la période d’intervention
  • critère primaire : gain moyen au score ADAS-cog : après 6 mois, -0,26 (IC à 95% de -0,89 à 0,54) dans le groupe intervention versus 1,04 (IC à 95% de 0,32 à 1,82) dans le groupe contrôle ; après 18 mois, différence de -0,73 (IC à 95% de -1,27 à 0,03) dans le groupe intervention versus -0,04 (IC à 95% de -0,46 à 0,88) dans le groupe contrôle ; p=0,04 pour la différence de gain entre les deux groupes
  • critères secondaires : qualité de vie : après 18 mois, versus valeurs initiales, amélioration sur le plan physique et régression sur le plan psychique dans les deux groupes et sans différence entre eux.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez des personnes âgées se plaignant de troubles de mémoire subjectifs, un programme de promotion d’exercices physiques durant 6 mois apporte, après 18 mois, une amélioration limitée des capacités cognitives.

Financement

National Health and Medical Research Council d’Australie.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT a été correctement réalisée malgré les difficultés liées à ce type de recherche : diagnostic et critères d’inclusion vagues, intervention complexe difficile à réaliser en insu. Il n’existe par ailleurs pas de définition consensuelle de troubles cognitifs légers (TCL) et les instruments pour les mesurer varient fortement d’une étude à l’autre (1). Les auteurs de cette étude choisissent comme seuil un score ≤ 1,5 ET du score moyen pour l’âge et le sexe correspondants sur le Cognitive Battery of the Consortium to Establish a Registry for Alzheimer’s Disease pour déterminer un trouble cognitif léger. Cet instrument de mesure n’est ensuite plus utilisé comme critère de jugement primaire. En principe, les chercheurs devant évaluer les résultats sur les tests cognitifs, l’ont fait en insu. Les participants notent eux-mêmes les activités physiques qu’ils effectuent. Pour limiter les biais, différents instruments de mesure sont cependant utilisés : le questionnaire CHAMPS et un enregistrement par pédomètre (compteur de pas). Les participants inclus sont relativement jeunes et motivés, non dépressifs, trouble souvent lié à un TCL. Ce groupe de patients n’est donc pas représentatif de l’ensemble des personnes âgées. Ceci entraîne également un problème au niveau de la puissance réelle de l’étude : son calcul était basé sur un recul d’au moins 6 points par an au score ADAS-cog dans le groupe contrôle. Après 12 mois, la perte observée est limitée à 0,04 point dans ce groupe. Cette étude présente également une puissance trop faible pour évaluer l’évolution vers une démence. Elle est réalisée au sein d’un seul centre ce qui limite l’extrapolabilité de ses résultats.

Interprétation des résultats

Le gain observé est donc faible et non cliniquement pertinent. L’intervention est, en outre, basée sur un modèle spécifique de modification de comportement : programmes d’exercices réalisés individuellement, avec feedback fréquent quant aux progrès réalisés et insistance sur les avantages de la pratique d’activités physiques. Il est donc difficile, pour cette raison également, d’extrapoler les résultats de cette recherche dans la pratique quotidienne. Une autre RCT effectuée par van Uffelen et coll. (4) chez 152 personnes âgées atteintes de troubles cognitifs légers ne montre aucune efficacité d’un programme de marche 2 x par semaine sur les capacités cognitives. Les auteurs d’une synthèse Cochrane (5) concluent à la présence de preuves d’un effet favorable d’exercices physiques aérobiques, en termes d’amélioration des capacités cardiorespiratoires, des capacités cognitives chez des personnes âgées saines, principalement pour ce qui concerne les capacités motrices, la rapidité cognitive, l’attention auditive et visuelle. Des questions demeurent : certains sous-groupes tirent-ils plus d’intérêt de la pratique d’exercices physiques ? De quelle activité physique précise : aérobique ou non, durée, intensité, fréquence ? Pendant combien de temps et à partir de quel âge, pour obtenir les meilleurs résultats ? La pratique d’exercices physiques est probablement bénéfique par le biais de son effet cardiovasculaire préventif, la prévention de micro-infarctus cérébraux ou une stimulation neurogène directe (6).

Cette étude ne mentionne pas d’effets indésirables. Les proportions de sorties d’étude sont semblables dans les 2 bras (30%). Il est regrettable que l’efficacité de l’intervention sur la qualité de vie des aidants naturels n’ait pas été évaluée.

Pour la pratique

La promotion d’activités physiques chez des personnes âgées trouve en premier sa place en prévention cardiovasculaire ; dans ce cadre, la prévention et le traitement d’une hypertension artérielle, d’une hypercholestérolémie, du diabète, sont également un frein à la régression des capacités cognitives (grade de recommandation B, niveau de preuve 2 selon les critères de la Canadian Task Force on Preventive Health Care) (7). L’activité physique a également un effet favorable sur d’autres affections comme les troubles dépressifs et le diabète. Elle aide à prévenir les chutes, à améliorer la qualité de vie et à restaurer des capacités fonctionnelles déficientes. Promouvoir cette activité physique est utile, chez les personnes jeunes comme chez les sujets âgés (6).

 

Conclusion

Cette étude montre que la pratique d’une activité physique chez des personnes âgées présentant des troubles cognitifs légers apporte un bénéfice faible et cliniquement non pertinent sur la régression des capacités cognitives. Cette pratique d’exercices physiques apporte cependant d’autres avantages dans cette catégorie d’âge.

 

Références

  1. Vermeire E. Rivastigmine en cas de troubles cognitifs légers ? MinervaF 2008;7(3):42-3.
  2. Petersen RC, Thomas RG, Grundman M, et al; Alzheimer's Disease Cooperative Study Group. Vitamin E and donepezil for the treatment of mild cognitive impairment. N Engl J Med 2005;352:2379-88.
  3. Larson EB, Wang L, Bowen JD, et al. Exercise is associated with reduced risk for incident dementia among persons 65 years of age and older. Ann Intern Med 2006;144:73-81.
  4. van Uffelen JG, Chinapaw MJ, van Mechelen W, Hopman-Rock M. Walking or vitamin B for cognition in older adults with mild cognitive impairment? A randomised controlled trial. Br J Sports Med 2008;42:344-51.
  5. Angevaren M, Aufdemkampe G, Verhaar HJ, et al. Physical activity and enhanced fitness to improve cognitive function in older people without known cognitive impairment. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 3.
  6. Larson EB. Physical activity for older adults at risk for Alzheimer disease. JAMA 2008;300:1077-9.
  7. Chertkow H, Massoud F, Nasreddine Z, et al. Diagnosis and treatment of dementia: 3. Mild cognitive impairment and cognitive impairment without dementia. CMAJ 2008;178:1273-85.
L’activité physique retarde-t-elle une régression cognitive ?

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

Mots-clés

exercice physique

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