Revue d'Evidence-Based Medicine



Intervention laparoscopique ou ésoméprazole pour RGO chronique ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 5 Page 56 - 57

Professions de santé


Analyse de
Lundell L, Attwood S, Ell C, et al; LOTUS trial collaborators. Comparing laparoscopic antireflux surgery with esomeprazole in the management of patients with chronic gastro-oesophageal reflux disease: a 3-year interim analysis of the LOTUS trial. Gut 2008;57:1207-13.


Question clinique
Après 3 ans, existe-t-il une différence en termes d’efficacité et de sécurité entre une intervention chirurgicale par voie laparoscopique et une utilisation chronique d’ésoméprazole chez des patients souffrant d’un reflux gastro-œsophagien chronique ?


Conclusion
Cette étude conclut qu’une fundoplicature laparoscopique et l’ésoméprazole apportent un contrôle symptomatique semblable d’un reflux gastro-oesophagien non compliqué et non réfractaire à plusieurs traitements. La chirurgie reste un deuxième choix dans la pratique. En cas de problème lors de la prise d’un IPP, son arrêt et la proposition d’une intervention seront évalués individuellement.


 

Contexte

La fundoplicature de Nissen par voie laparoscopique divise par trois le nombre d’interventions chirurgicales pour reflux GE aux E.-U. (1). La technique n’est cependant pas standardisée et peu d’études ont évalué l’efficacité et la sécurité d’une chirurgie laparoscopique anti-reflux à long terme.

 

Résumé

Population étudiée

  • 554 patients en 2ème ou 3ème ligne de soins, de 45 ans d’âge moyen, souffrant d’une pathologie de reflux gastro-œsophagien (RGO) chronique sur la foi d’un examen endoscopique et d’une pHmétrie de 24 heures, avec absence ou au plus plaintes de reflux  légères et œsophagite ≤ grade B après 3 mois d’ésoméprazole 40 mg (phase d’inclusion)
  • ¾ d’hommes, IMC moyen de 27 kg/m2, oesophage de Barrett pour 10% environ des sujets
  • critères d’exclusion : antécédents de chirurgie oesophago-gastro-duodénale, syndrome de Zollinger-Ellison, achalasie, sclérodermie, pathologie intestinale inflammatoire, maladie de Barrett avec dysplasie, co-morbidité importante, mauvaise observance prévue.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en protocole ouvert, multicentrique
  • intervention : ésoméprazole 20 à 40 mg par jour durant 3 ans (n=266) versus chirurgie laparoscopique anti-reflux exécutée par un chirurgien spécialisé et selon une procédure standardisée (n=288)
  • suivi : du pyrosis, des régurgitations acides, de la dysphagie et des autres plaintes gastro-intestinales tous les 6 mois ; de la qualité de vie 1 x / an ; de l’endoscopie à 1 et 3 ans.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : délai d’échec thérapeutique défini comme : sous ésoméprazole, contrôle insuffisant du pyrosis et des régurgitations acides malgré 16 semaines de traitement par ésoméprazole 40 mg qd ou 20 mg bid ; post chirurgie, recours nécessaire à des inhibiteurs de la sécrétion acide durant au moins 4 semaines pour un contrôle des plaintes de reflux, décès péri ou postopératoire (30 jours), complication postopératoire nécessitant un traitement (dysphagie par ex), ré intervention
  • critère secondaire : sévérité des plaintes de reflux, qualité de vie (quality of life in reflux and dyspepsia - QOLRAD - et gastrointestinal symptom rating scale - GSRS)
  • analyse en intention de traiter (ITT) et par protocole (PP).

 

Résultats

  • sorties d’étude : 22% dans le groupe ésoméprazole, 29% dans le groupe chirurgie
  • critère primaire en ITT, délai d’échec thérapeutique : pas de différence ; absence d’échec de 93% dans le groupe ésoméprazole versus 90% dans le groupe chirurgie après 3 ans, p=0,25 ; en PP : 95% versus 90% après 3 ans, p=0,045
  • critères secondaires : durant les 3 ans, significativement (p<0,001) plus de pyrosis (léger) mais moins de dysphagie (légère) et de flatulence dans le groupe ésoméprazole versus chirurgie ; amélioration significativement meilleure (p<0,001) dans le groupe chirurgie pour l’ingestion de nourriture et de boissons, pour la vitalité et les reflux
  • effets indésirables sévères : 21% dans le groupe chirurgie versus 14% dans le groupe ésoméprazole.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, sur les 3 premières années de cette étude au long terme, une fundoplicature laparoscopique et un traitement chronique par ésoméprazole sont pareillement efficaces en termes de contrôle d’un reflux gastro-oesophagien et bien tolérés.

Financement

Firme AstraZeneca.

 

Conflits d’intérêt 

2 des 7 auteurs (dont un statisticien) sont des collaborateurs de la firme Astra Zeneca ; les 5 autres déclarent des conflits d’intérêt avec cette firme et avec d’autres.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude randomisée est en protocole ouvert, l’évaluation comparative choisie (traitement médical versus chirurgical) ne permettant pas un protocole en insu. Il faut tenir compte du fait que 27 des 288 patients attribués au groupe chirurgical (9%) ne se sont pas laissés opérer. L’analyse en ITT est, en fait, une analyse en ITT modifiée. Au sens strict, tout patient randomisé devrait être inclus dans l’analyse. Les auteurs de cette étude définissent comme échec tout patient chirurgical ayant recours à un inhibiteur acide supplémentaire, tout patient médical avec contrôle insuffisant sous ésoméprazole. Les patients non en échec sont considérés dans le suivi comme « en rémission ». Parmi les 248 patients opérés, 204 ont des données complètes à 3 ans, soit 82%. Le taux de rémission dans ce groupe est mentionné à 90%, ce qui est supérieur à la proportion de sujets suivis. Parmi les 266 patients placés sous ésoméprazole, 208 ont des données complètes à 3 ans (78%) ; le taux de rémission est cependant mentionné en ITT à 93%. Sur quel type d’analyse reposent donc ces taux de succès à 90 et 93% ? Dans le graphique montrant ces résultats “estimated proportions in remission”, les auteurs ne donnent pas les chiffres en nombre absolu de patients. L’analyse n’est donc probablement pas réalisée en ITT. C’est probablement pour cette raison que les résultats sont du même ordre en analyse ITT et en analyse PP. Soulignons aussi que pour éviter des problèmes d’interprétation (2-4), une intervention laparoscopique standardisée est utilisée dans cette étude internationale. Les techniques laparoscopiques semblent mieux tolérées qu’une laparotomie et raccourcir l’hospitalisation (1). L’exacte durée protocolée pour l’étude LOTUS n’est pas donnée.

 

Mise en perspective des résultats

L’absence d’une différence en termes d’efficacité et de sécurité entre un médicament et une opération ne signifie pas que les 2 interventions sont d’une même opportunité. Les résultats sont cependant semblables pour la qualité de vie postopératoire, les plaintes postopératoires classiques (dysphagie, renvois difficiles, flatulence accrue), faibles en fréquence et en intensité, n’influençant pas suffisamment les scores des échelles utilisées. Le nombre de ré interventions chirurgicales n’est pas précisé mais ces patients sont repris parmi les 10% d’échec. Une autre étude incluant 181 patients subissant une fundoplicature laparoscopique, montre 7% de ré interventions à 5 ans (5). Cette étude LOTUS suggère une fréquence de quelques % à 3 ans (3). Une analyse multivariée (6) montre que cette technique chirurgicale apporte un meilleur contrôle symptomatique dans les cas suivants : épisodes significatifs de reflux durant une pHmétrie de 24 heures, plaintes de reflux typiques, bonne réponse aux inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). Les patients dont les plaintes épigastriques ne sont pas liées à un reflux montreront une faible réponse tant aux IPP qu’à une correction mécanique par fundoplicature. Paradoxalement, les patients avec symptômes insuffisamment contrôlés par IPP sont ceux qui sont adressés pour chirurgie anti-reflux. Une évaluation préopératoire rigoureuse est par conséquent nécessaire, comprenant une pHmétrie de 24 heures et une manométrie œsophagienne (1). Les symptômes doivent être lies à un reflux. D’autres RCTs (7-9), entre autres du même auteur (8), que cette étude LOTUS, montrent un contrôle symptomatique semblable pour la chirurgie anti-reflux versus IPP (8,9), ou anti H2 (étude des années 80, avant l’ère des IPP (7)). Les mêmes auteurs montrent dans une RCT à plus long terme (7 ans) un bénéfice d’une fundoplicature à ciel ouvert versus oméprazole mais avec persistance de plaintes postopératoires et souvent prise d’un IPP (10).

 

Pour la pratique

Les résultats de l’étude LOTUS confortent les guides de pratique actuels (1) : un traitement par IPP ou une opération anti-reflux apporte un contrôle semblable des symptômes chez un patient avec des symptômes de reflux typiques. En raison de l’apparition de nouvelles plaintes en postopératoire (dysphagie particulièrement) et de la possibilité (peu fréquente) de complications postopératoires, un traitement par IPP reste un premier choix. Une opération anti-reflux reste indiquée chez les patients ne tolérant pas les IPP, qui ne souhaitent pas devoir prendre des IPP durant toute leur vie ou qui continuent à présenter des symptômes gênants malgré ces médicaments. Pour ce dernier groupe, une intervention est recommandée en cas de régurgitations acides gênantes persistantes, signe mécanique typique de reflux (1) pour lequel une correction chirurgicale apporte un résultat selon des consensus professionnels plutôt que selon des preuves dans la littérature. Des patients bien contrôlés par IPP ne doivent pas être dirigés vers une intervention chirurgicale (1). Il n’y a pas de preuve qu’une opération anti-reflux prévienne la dégénérescence d’une maladie de Barrett ; ce n’est également pas prouvé pour une prise chronique d’IPP (1).

 

Conclusion

Cette étude conclut qu’une fundoplicature laparoscopique et l’ésoméprazole apportent un contrôle symptomatique semblable d’un reflux gastro-oesophagien non compliqué et non réfractaire à plusieurs traitements. La chirurgie reste un deuxième choix dans la pratique. En cas de problème lors de la prise d’un IPP, son arrêt et la proposition d’une intervention seront évalués individuellement.

 

 

Références

  1. Kahrilas PJ, Shaheen NJ, Vaezi MF; American Gastroenterological Association Institute; Clinical Practice and Quality Management Committee. American Gastroenterological Association Institute on the management of gastroesophageal reflux disease. Gastroenterology 2008;135:1392-1413.
  2. Smith CD. Antireflux surgery. Surg Clin North Am 2008;88:943-58.
  3. Attwood SE, Lundell L, Ell C, et al; LOTUS Trial Group. Standardization of surgical technique in antireflux surgery: the LOTUS Trial experience. World J Surg 2008;32:995-8.
  4. Attwood SE, Lundell L, Hatlebakk JG, et al. Medical or surgical management of GERD patients with Barrett's esophagus: the LOTUS trial 3-year experience. J Gast Surg 2008;12:1646-54.
  5. Anvari M, Allen C. Five-year comprehensive outcomes evaluation in 181 patients after laparoscopic Nissen fundoplication. J Am Coll Surg 2003;196:51-7.
  6. Campos GM, Peters JH, DeMeester TR, et al. Multivariate analysis of factors predicting outcome after laparoscopic Nissen fundoplication. J Gastrointest Surg 1999;3:292-300.
  7. Spechler SJ. Comparison of medical and surgical therapy for complicated gastroesophageal reflux disease in veterans. The Department of Veterans Affairs Gastroesophageal Reflux Disease Study Group. N Engl J Med 1992;326:786-92.
  8. Lundell L, Miettinen P, Myrvold HE, et al. Continued (5-year) followup of a randomized clinical study comparing antireflux surgery and omeprazole in gastroesophageal reflux disease. J Am Coll Surg 2001;192:172-9.
  9. Mahon D, Rhodes M, Decadt B, et al. Randomized clinical trial of laparoscopic Nissen fundoplication compared with proton-pump inhibitors for treatment of chronic gastro-oesophageal reflux. Br J Surg 2005;92:695-9.
  10. Lundell L, Miettinen P, Myrvold HE, et al; Nordic GORD Study Group. Seven-year follow-up of a randomized clinical trial comparing proton-pump inhibition with surgical therapy for reflux oesophagitis. Br J Surg 2007;94:198-203.
Intervention laparoscopique ou ésoméprazole pour RGO chronique ?

Auteurs

Van de Casteele M.
Departement Hepatologie UZ Gasthuisberg en Departement Geneesmiddelen RIZIV
COI :

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