Revue d'Evidence-Based Medicine
Association d’un IEC et d’un diurétique pour tous les diabétiques ?
Résumé
Contexte
La morbimortalité cardio-vasculaire est le risque majeur des patients diabétiques de type 2. Chez ces patients présentant également une hypertension artérielle, toutes les classes principales d’antihypertenseurs semblent diminuer les risques (macrovasculaires) d’accident vasculaire cérébral (AVC) et d’ischémie coronarienne (1). Un traitement antihypertenseur aurait également un effet préventif contre les lésions ophtalmiques liées au diabète (2). Le bénéfice d’une association d’un IEC avec un diurétique peut-il être observé chez tous les patients diabétiques (non seulement les hypertendus), mais particulièrement ceux avec un risque cardio-vasculaire accru pour d’autres raisons que le diabète seul ?
Population étudiée
- 11 140 sujets diabétiques de type 2, âgés d’au moins 55 ans
- diabète déclaré après l’âge de 30 ans
- avec antécédent cardio-vasculaire majeur ou présentant un autre facteur de risque cardio-vasculaire : atteinte microvasculaire majeure (par exemple, microalbuminurie, rétinopathie diabétique proliférative, œdème maculaire), tabagisme, cholestérol total >230 mg/dl, HDLc <40 mg/dl, diabète >10 ans de durée, ≥65 ans
- exclusion : indication formelle de ou contre-indication formelle à un des médicaments évalués ou en fonction de l’HBA1C cible ; insulinothérapie requise.
Méthodologie
- étude randomisée, contrôlée, multicentrique (215), multicontinentale
- 6 semaines de pré-inclusion avec périndopril 2 mg et indapamide 0,625 mg/j
- poursuite des autres médicaments autorisée sauf les diurétiques, mais tout IEC modifié en périndopril en ouvert
- randomisation des personnes tolérant le traitement soit dans un groupe périndopril 2 mg (4 mg après 3 mois) + indapamide 0,625 mg (1,25 mg après 3 mois) (n=5 569) soit placebo (n=5 571)
- stratification initiale sur différents critères (par exemple, anamnèse cardio-vasculaire)
- sur une durée moyenne de suivi de 4,3 ans, contrôle à 3, 4 et 6 mois puis tous les 6 mois
- analyse en intention de traiter.
Mesure des résultats
- critères primaires (protocole initial) : événements macrovasculaires majeurs et microvasculaires majeurs
- critère primaire (protocole remanié) : événements macrovasculaires majeurs et microvasculaires majeurs dans un même critère composite ou non
- critères secondaires très nombreux parmi lesquels : mortalité de toute cause, décès cardio-vasculaires, événements coronariens majeurs, événements cérébro-vasculaires majeurs, insuffisance cardiaque.
Résultats
- 13,5% de sorties d’étude durant la pré-inclusion
- critère primaire composite : 861 (15,5%) dans le groupe périndopril + indapamide pour 938 (16,8%) dans le groupe placebo : RRR 9% (IC à 95% de 0 à 17) ; p=0,041) ; NST de 66 (IC à 95% de 34 à 1 068) pour 5 ans de traitement
- critères primaires séparés (protocole original) sans différence significative : événements macrovasculaires majeurs RRR 8% (IC à 95% de -4 à 19) ; p=0,16 et événements microvasculaires majeurs RRR 9% (IC à 95% de -4 à 20) ; p=0,16
- critères secondaires : réduction de la mortalité globale significative 408 (7,3%) versus 471 (8,5%) : RRR 14% (IC à 95% de 2 à 25) ; NST sur 5 ans 79 (IC à 95% de 43 à 483) ; p=0,025 ; réduction des événements coronariens 8,4% versus 9,6% RRR 14% (IC à 95% de 2 à 24) ; p=0,020 ; réduction également des événements rénaux, pour la microalbuminurie tout au moins ; pas de différence pour les autres critères.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que l’administration d’une association fixe de périndopril avec de l’indapamide à des patients diabétiques de type 2 est bien tolérée et réduit le risque d’événements vasculaires majeurs, y compris les décès. Quoique l’intervalle de confiance soit large, les résultats suggèrent que, sur une durée de 5 ans, un décès de toute cause est évité pour 79 patients (IC à 95% de 43 à 483) mis sous ce traitement.
Financement
Servier et le National Health and Medical Research Council of Australia qui ne sont intervenus à aucun des stades de l’étude.
Conflits d’intérêt
Non mentionnés.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette RCT est élaborée sur la base d’un bon protocole et réalisée avec un important échantillon de population. Cette publication ne concerne qu’une partie de l’étude qui a recours à un protocole factoriel est élaboré pour une étude qui vise à évaluer simultanément deux ou davantage de facteurs/interventions/traitements. Les facteurs/interventions/traitements sont alors associés ou non différemment selon les différents (sous-)groupes de l’étude. Il est également possible, dans ce genre d’étude, d’analyser les interactions entre les facteurs/interventions/traitements étudiés.">protocole factoriel dans lequel un schéma de traitement intensif avec du gliclazide est comparé à un contrôle glycémique usuel. Cette partie de l’étude n’est pas terminée et ses résultats sont attendus. La population de cette étude avait été calculée en fonction d’une puissance voulue à 90% avec une réduction d’au moins 16% de risque relatif (pré-études) pour chacun des critères primaires du protocole original. A mi-parcours de la durée initiale, les auteurs se sont rendu compte d’une incidence beaucoup plus faible que prévue d’événements évalués dans cette étude. Ils ont donc modifié le critère primaire pour conserver une puissance d’étude suffisante et associé les deux critères primaires pour en faire un critère composite. Le secret de l’attribution dans la randomisation n’est pas précisé. Une analyse par protocole, aux côtés d’une analyse en intention de traiter aurait pu nous apporter des renseignements complémentaires.
Analyse des résultats
Cette étude concerne une population de diabétiques particulièrement à risque au point de vue cardio-vasculaire : environ un tiers des patients a fait un événement macrovasculaire majeur et environ 10% un événement microvasculaire majeur. La pression artérielle initiale moyenne est de 145/81 mmHg. Seuls 41% ont des chiffres inférieurs à 140 de systolique et de 90 de diastolique, chiffres considérés comme trop élevés pour des diabétiques (valeurs cibles 130/80 mmHg) (3). Ces patients étaient donc en majorité des diabétiques avec une pression artérielle trop élevée. La différence, entre les deux traitements, dans la diminution de la pression artérielle obtenue est en moyenne de 5,6 (ET 0-2) mmHg pour la systolique et 2,2 (ET 0-1) pour la diastolique. C’est probablement l’explication d’un moindre recours à des antihypertenseurs dans le groupe périndopril (74%) que dans le groupe contrôle (83%), la différence semblant plus importante pour les antagonistes calciques surtout (32% versus 43%). Une éventuelle influence de la différence de recours à cette classe de médicaments sur les résultats reste à analyser. Il est aussi fort possible que le bénéfice observé soit lié uniquement et/ou fortement à cette baisse de la pression artérielle. Ce commentaire avait déjà été fait à propos de l’étude ASCOT (4) pour l’amlodipine (+ éventuellement du périndopril) versus aténolol (+ éventuellement de la bendroflumethazine) : une différence de 2,7 mmHg en pression systolique pouvait expliquer le bénéfice du premier traitement par rapport au second (5). Il est également étonnant que, dans ce contexte ou tout autre traitement antihypertenseur était autorisé (y compris les IEC sous la forme de périndopril « en ouvert »), les médecins n’aient pas ciblé et atteint des mêmes chiffres de PA dans le groupe placebo. C’est la diminution des décès d’origine cardio-vasculaire qui est le contributeur le plus important aux résultats favorables pour le critère primaire. Le NST pour ces décès d’origine cardio-vasculaire est très large, dépassant les 1 000 patients dans son intervalle de confiance.
Autres études et recommandations
Cette étude montre un bénéfice d’une association médicamenteuse à visée antihypertensive chez des diabétiques de type 2 à risque cardio-vasculaire élevé lié à la présence d’une pathologie cardio-vasculaire (prévention cardio-vasculaire secondaire) ou de facteurs de risque reconnus. Sur base de la littérature, en l’absence d’insuffisance rénale ou de microalbuminurie, un diurétique thiazidique à faible dose reste le traitement de première intention (6). Cette étude-ci conforte la place d’un diurétique thiazidique (apparenté) dans le traitement de l’hypertension du diabétique de type 2. En cas de microalbuminurie, un IEC (le ramipril étant le mieux évalué) devient un premier choix, avec un diurétique thiazidique en association si les chiffres tensionnels ne sont pas suffisamment abaissés. La présente étude confirme l’efficacité d’une telle association. La prise en charge des autres facteurs de risque cardio-vasculaire reste essentielle, avec la prescription d’aspirine et d’une statine si indiqué (voir la méta-analyse (7) précédemment analysée dans MINERVA (8)).
Effets indésirables
Les arrêts permanents de traitement dans l’étude sont motivés par de la toux (3,3% versus 1,3%), une hypotension ou des vertiges (1,2% versus 0,4%), des effets indésirables sérieux (1,2% versus 1,2%). Le taux très faible de toux observé est probablement lié au fait que près de 50% des sujets prenaient déjà un IEC avant le début et que les « tousseurs sous IEC » avaient déjà été ainsi éliminés.
Conclusions
Cette étude montre un bénéfice de l’administration d’une association d’antihypertenseurs en matière de prévention macrovasculaire chez des patients atteints de diabète de type 2 présentant également d’autres facteurs de risque cardio-vasculaire et dont la majorité ont des chiffres tensionnels supérieurs à ceux qui sont recommandés comme cible pour les patients diabétiques (130/85 mmHg) (3). Elle confirme donc de précédentes études quant à l’importance du contrôle tensionnel chez les patients diabétiques et également à la place d’un diurétique thiazidique (apparenté) dans le traitement d’une hypertension chez un sujet diabétique. La prise en charge de l’ensemble des facteurs de risque cardio-vasculaire du diabétique reste fondamentale.
Références
- Turnbull F, Neal B, Algert C, et al; Blood Pressure Lowering Treatment Trialists' Collaboration. Effects of different blood pressure-lowering regimens on major cardiovascular events in individuals with and without diabetes mellitus: results of prospectively designed overviews of randomized trials. Arch Intern Med 2005;165:1410-9.
- UK Prospective Diabetes Study Group. Tight blood pressure control and risk of macrovascular and microvascular complications in type 2 diabetes: UKPDS 38. BMJ 1998;317:703-13.
- De Cort P, Philips H, Govaerts F, Van Royen P. L’hypertension. Recommandation de Bonne Pratique. SSMG 2004.
- Dahlof B, Sever PS, Poulter NR, et al; ASCOT Investigators. Prevention of cardiovascular events with an antihypertensive regimen of amlodipine adding perindopril as required versus atenolol adding bendroflumethiazide as required, in the Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial-Blood Pressure Lowering Arm (ASCOT-BPLA): a multicentre randomised controlled trial. Lancet 2005;366:895-906.
- Staessen JA, Birkenhäger WH. Evidence that new antihypertensives are superior to older drugs. Lancet 2005;366:869-71.
- Diabète de type 2 et microalbuminurie: limiter surtout le risque cardiovasculaire. Rev Presc 2004;24:760-8.
- Costa J, Borges M, David C, Vaz Carneiro A. Efficacy of lipid lowering drug treatment for diabetic and non-diabetic patients: meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2006;332:1115-24.
- Chevalier P, van Driel M. Hypolipidémiants: différences entre patients diabétiques ou non diabétiques? Minerva F 2007;6(3):34-6.
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