Revue d'Evidence-Based Medicine



Asthme et ß2-mimétiques à longue durée d’action



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 6 Page 87 - 89

Professions de santé


Analyse de
Salpeter SR, Buckley NS, Ormiston TM, et al. Meta-Analysis: effect of long-acting β-agonists on se-vere asthma exacerbations and asthma-related deaths. Ann Intern Med 2006;144:904-12.


Question clinique
Quelle est, versus placebo, l’efficacité préventive ou, au contraire, la toxicité potentielle, des β2-mimétiques à longue durée d’action (LABA) en termes d’exacerbations sévères ou de décès dans le traitement de l’asthme ?


Conclusion
Les auteurs de cette méta-analyse, dans laquelle le poids d’une seule étude est très important (80%), concluent que les β2-mimétiques à longue durée d’action (LABA) augmentent, versus placebo, le risque d’exacerbations sévères et même de décès chez des patients asthmatiques. Le manque de données individuelles complètes dans l’analyse rend ses résultats plus aléatoires, sur des chiffres également relativement faibles, mais un risque ne peut être exclu. Un effet protecteur des corticostéroïdes inhalés contre ce risque lié aux LABA fait l’objet de toutes les discussions. La prudence et la vigilance doivent donc être de mise sans argument actuellement suffisamment solide pour remettre en question les guides de pratique en cours. Au vu de la gravité du sujet, il est capital de pouvoir disposer rapidement d’autres études de méthodologie rigoureuse dans ce domaine.


 

Résumé

 

Contexte

Le traitement de fond de l’asthme, en prévention des exacerbations est universellement admis, à partir du moment où il ne peut être contrôlé par la seule administration d’un β2-mimétique à courte durée d’action administré à la demande : les corticostéroïdes inhalés (1). Si ce traitement est insuffisant pour obtenir un contrôle satisfaisant de l’asthme, l’addition d’un β2-mimétique à longue durée d’action (LABA) peut être envisagée. Une éventuelle toxicité de ce médicament a été soulevée par l’étude SMART (2). Une synthèse de la littérature était donc bienvenue.

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

Les auteurs ont consulté les bases de données MEDLINE, EMBASE, CINAHL et Cochrane, le site web de la Food and Drug Administration (E.-U.) ainsi que les références dans les synthèses trouvées.

 

Etudes sélectionnées

Les études randomisées, contrôlées versus placebo, d’une durée minimale de 3 mois, évaluant les b2-mimétiques à longue durée d’action dans l’asthme. Toutes les études autorisent le recours à des b2-mimétiques à courte durée d’action en cas de besoin. Aucune restriction de langue. Sont exclues, les études incluant patients asthmatiques et BPCO, les publications en double.

 

Population concernée

Un total de 19 RCTs comparatives correspond strictement aux critères des auteurs (sur 139 isolées), incluant 33 826 participants, soit 16 848 années-patients (+ 28 études sans information adéquate sur les exacerbations ou sur les décès liés à l’asthme). Les caractéristiques des patients inclus sont : âge moyen d’environ 37 ans, autant d’hommes que de femmes, 15% d’afro-américains, avec utilisation concomitante d’un corticostéroïde inhalé dans environ 53% des cas.

 

Mesure des résultats

Les critères de jugement sont les exacerbations sévères nécessitant une hospitalisation, les exacerbations à risque vital justifiant une intubation avec ventilation et les décès liés à l’asthme. Ce dernier critère est issu uniquement de l’étude SMART². Ils sont exprimés en Odds Ratio et en différence de risque. Toutes sont faites en analyse en intention de traiter. Des analyses en sous-groupes (enfants (<12 ans), adultes, formotérol, salmétérol) étaient prévues initialement.

 

Résultats

Le taux de sorties d’étude est de 20,3% dans le groupe β2-mimétique et de 22,6% dans le groupe placebo. Les principaux résultats sont résumés dans le tableau. Un total de 15 décès est observé dans les groupes LABA : 13 dans l’étude SMART (pour trois dans le groupe placebo de cette étude) et 1 dans respectivement deux autres études.

Tableau : Résultats sommés des 19 études pour les différents critères, en Odds Ratio (avec IC à 95%) et différence de risque (avec IC à 95%), pour les LABA versus placebo dans l’asthme. 

Critère

OR (IC à 95%)

Différence de risque sur 6 mois (IC à 95%)

Exacerbations avec hospitalisation*

2,6 (1,6 à 4,3)

0,7% (0,1 à 1,3)

Exacerbations à risque vital

1,8 (1,1 à 2,9)

0,12% (0,01 à 0,3%)

Hospitalisations avec le salmétérol

1,7 (1,1 à 2,7)

 

Hospitalisations avec le formotérol

3,2 (1,7 à 6,0)

 

Hospitalisations chez les enfants

3,9 (1,7 à 8,8)

 

Hospitalisations chez les adultes

2,0 (1,1 à 3,9)

 

Décès liés à l’asthme

3,5 (1,3 à 9,3) (= étude SMART)

0,07% (0,01 à 0,1) pour les 19 études

0,06% pour les 47 études

* sans l’étude SMART qui n‘inclut pas ce critère.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les b2-agonistes à longue durée d’action augmentent les exacerbations sévères et les exacerbations à risque vital, ainsi que les décès liés à l’asthme.

 

Financement

Santa Clara Valley Medical Center qui n’est intervenu à aucun des stades de l’étude.

 

Conflits d’intérêt

Mention de leur inexistence.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse respecte une méthodologie d’élaboration fort correcte. Pour la sommation des résultats des études concernant le critère « exacerbations motivant une hospitalisation », critère pour lequel la différence absolue de risque est la plus nette, l’étude la plus importante, SMART, n’est pas incluse, parce qu’elle ne mentionne pas ce critère. Cette sommation ne montre pas d’hétérogénéité statistique entre les études. L’hétérogénéité clinique n’est, par contre, pas explorée par les auteurs. La sévérité (initiale) de l’asthme influence-t-elle les résultats ? D’autres traitements sont-ils consommés et peuvent-ils aussi modifier les chiffres ? D’autre part, l’étude SMART indiquait une possibilité d’influence de facteurs génétiques ou raciaux. Cette méta-analyse, faute de données précises, n’apporte pas de complément d’information sur cette question. Toutes les études (sauf deux) sont sponsorisées par les firmes productrices de LABA. Ces différents éléments affaiblissent les conclusions possibles. La qualité méthodologique des diverses publications a été évaluée et devait être utilisée pour une analyse de sensibilité, qui n’a pas été réalisée au vu d’une bonne qualité pour toutes les études. Les 28 études sans information adéquate sur les exacerbations ou décès liés à l’asthme sont également intégrées dans une autre étude de sensibilité pour l’évaluation des décès, ce qui ne modifie pas les résultats.

 

Toxicité des β2-mimétiques

La toxicité des β2-mimétiques à courte durée d‘action dans l’asthme a fait l’objet de plusieurs communications et publications concernant une surmortalité : celle-ci semble liée à la dose utilisée (dispositif d’administration, concentration ou abus) que ce soit pour l’isoprotérénol, le fénotérol ou le salbutamol (3). Suite au signalement de plusieurs décès associés à l’utilisation d’un LABA, le salmétérol, une étude prospective a été réalisée, l’étude SMART². Cette étude a inclus 26 000 sujets durant 6 mois et a observé une augmentation du risque de décès lié à l’asthme, quadruplé sous LABA (2 décès par 1 000 années-patients). Elle n’exclut cependant pas formellement les patients souffrant également d’une BPCO et des décès liés à cette pathologie sont également repris comme étant liés à l’asthme (par exemple 1 décès dans le groupe placebo et 1 également dans le groupe salmétérol notifiés comme liés à la BPCO, mais il y en a peut-être d’autres non identifiés comme tels). Ceci peut avoir faussé les résultats, dans un sens comme dans l’autre. Deux études d’observation avaient déjà montré une augmentation du risque de décès sous  salmétérol utilisé dans l’asthme (4,5). Dans les différentes méta-analyses effectuées dans cette publication-ci, il faut souligner qu’une seule étude sur 12 montre une augmentation significative des hospitalisations, une seule autre étude montre une augmentation des décès (2), à la limite de la signification statistique (IC à 95% de l’OR de 1,0 à 2,8). Dans cette étude, il n’y a cependant pas de différence pour le critère primaire, décès et situations à risque vital. L’augmentation des décès mentionnée dans la méta-analyse repose donc presque exclusivement sur les résultats de l’étude SMART, avec un NNN de décès de 1 759 (IC à 95% de 531 à 14 650) (2) dans cette affection fréquente. Une analyse en sous-groupes de cette étude montre que le risque est particulièrement augmenté dans la sous-population afro-américaine (avec asthme initial plus sévère), que l’asthme y est très mal contrôlé, que moins de 50% des sujets font initialement usage de corticostéroïdes inhalés (sans indication de la consommation durant l’étude). C’est la réserve principale de très nombreux experts concernant cette étude ; ils concluent que les LABA ne doivent pas être utilisés en monothérapie dans l’asthme (3,6) . Dans leur méta-analyse, les auteurs ont étudié séparément les études dans lesquelles plus de 75% des sujets recevaient simultanément des corticostéroïdes inhalés. Ils observent également, lors de la sommation des résultats de ces études, une augmentation du risque d’hospitalisation sous LABA. Seule une méta-analyse sur données individuelles prenant en compte un cotraitement ou non par corticostéroïdes inhalés nous permettrait d’y voir plus clair…

Le risque est-il le même avec le formotérol qu’avec le salmétérol ? Publiée en même temps que l’étude SMART, l’étude de Wolfe (7) ne montre pas de risque accru avec le formotérol. Elle est cependant de plus courte durée (16 semaines) que l’étude SMART (28 semaines), avec des patients présentant un asthme moins sévère et consommant des corticostéroïdes inhalés plus fréquemment (62,4%) ; elle n’est pas conçue pour montrer une différence versus placebo mais bien entre deux doses de formotérol (différence qui n’apparaît pas).

Salpeter et coll estiment que les deux médicaments augmentent le risque d’hospitalisation.

 

Conclusion

Les auteurs de cette méta-analyse, dans laquelle le poids d’une seule étude est très important (80%), concluent que les β2-mimétiques à longue durée d’action (LABA) augmentent, versus placebo, le risque d’exacerbations sévères et même de décès chez des patients asthmatiques. Le manque de données individuelles complètes dans l’analyse rend ses résultats plus aléatoires, sur des chiffres également relativement faibles, mais un risque ne peut être exclu. Un effet protecteur des corticostéroïdes inhalés contre ce risque lié aux LABA fait l’objet de toutes les discussions. La prudence et la vigilance doivent donc être de mise sans argument actuellement suffisamment solide pour remettre en question les guides de pratique en cours. Au vu de la gravité du sujet, il est capital de pouvoir disposer rapidement d’autres études de méthodologie rigoureuse dans ce domaine.

 

Références

  1. Global Strategy for Asthma Management and Prevention. www.ginasthma.org

  2. Nelson HS, Weiss ST, Bleecker ER, et al; SMART Study Group. The Salmeterol Multicenter Asthma Research Trial: a comparison of usual pharmacotherapy for asthma or usual pharmacotherapy plus salmeterol. Chest 2006;129:15-26.

  3. O'Byrne PM, Adelroth E. Beta2 deja vu. Chest 2006;129:3-5.

  4. Castle W, Fuller R, Hall J, Palmer J. Serevent nationwide surveillance study: comparison of salmeterol with salbutamol in asthmatic patients who require regular bronchodilator treatment. BMJ 1993;17;306:1034-7.

  5. Martin RM, Shakir S. Age- and gender-specific asthma death rates in patients taking long-acting beta2-agonists: prescription event monitoring pharmacosurveillance studies. Drug Saf 2001;24:475-81.

  6. Smith B, Roy A. Review: long acting beta agonists increase severe asthma exacerbations and asthma related deaths in children and adults. Evid Based Med 2007;12:10. Comment on Salpeter SR, Buckley NS, Ormiston TM, et al. Meta-analysis: effect of long-acting beta-agonists on severe asthma exacerbations and asthma-related deaths. Ann Intern Med 2006;144:904-12.

  7. Wolfe J, Laforce C, Friedman B, et al. Formoterol, 24 microg bid, and serious asthma exacerbations: similar rates compared with formoterol, 12 microg bid, with and without extra doses taken on demand, and placebo. Chest 2006;129:27-38.

Asthme et ß2-mimétiques à longue durée d’action



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