Revue d'Evidence-Based Medicine
Le sucre : de la source d’énergie à la substance mortelle
La consommation mondiale de sucre connaît une croissance exponentielle (1,2). Du sucre (saccharose = fructose + glucose) est ajouté à de nombreux produits préparés, comme les yaourts aux fruits, les desserts, les biscuits, les friandises, les boissons rafraîchissantes sucrées type soda, les céréales pour le petit-déjeuner, mais aussi à des produits qui ne sont pas sucrés, comme le ketchup, la mayonnaise, la sauce pour spaghetti, la vinaigrette, le pain... L’industrie alimentaire utilise le sucre associé au sel pour mettre sur le marché des produits qui entraînent une dépendance. Si une allégation de santé peut en outre y être associée, comme c’est le cas pour le yaourt, les céréales du petit-déjeuner ou les boissons énergétiques, l’industrie a son avenir assuré. Friandises, biscuits servis avec le café et pâtisseries, originellement destinés aux repas de fête, sont désormais consommés tous les jours.
Le sucre a longtemps été considéré comme la principale source d’énergie de l’organisme. Le cerveau et les muscles fonctionnent mieux avec du glucose. La synthèse de glucose par le métabolisme est possible à partir de l’amidon, des protéines et des lipides. Depuis plusieurs dizaines d’années, les lipides ont mauvaise réputation car la morbidité et la mortalité cardiovasculaires ont été associées à une cholestérolémie élevée (3). En conséquence, les conseils diététiques sont toujours de remplacer les lipides par des glucides (4,5). Mais aujourd’hui, il apparaît que l’excès de glucides et de fructose a notamment comme effet néfaste d’augmenter les triglycérides et le cholestérol (5).
Les personnes atteintes de diabète nous ont cependant appris quelque chose sur les désavantages des pics d’insuline et de l’épuisement du pancréas par le sucre. Ne s’agissait-il pas d’un problème qui ne concernait que les personnes génétiquement prédisposées ? Depuis longtemps, le sucre est aussi associé aux caries dentaires. Il est difficile de s’arrêter de manger à cause du sucre, et, par extension, des produits riches en glucides ayant un indice glycémique élevé, ce qui entraîne un apport calorique superflu et un excès pondéral (par augmentation des réserves de graisses). Le sucre peut entraîner une dépendance et fait donc partie de la liste où figurent aussi l’abus d’alcool et le tabagisme.
Entre-temps sont apparues de nombreuses pathologies chroniques que l’augmentation de l’âge moyen n’explique pas. Les études d’observation montrent de plus en plus clairement l’existence d’un lien entre la consommation de sucre et les pathologies graves telles que le syndrome métabolique, le diabète, le cancer, les affections cardiovasculaires, la démence et les décès prématurés (3,6,7). Auparavant, les concepts d’obésité ou d’apport calorique total expliquaient ces pathologies, mais les études récentes modifient explicitement ces approches.
Une récente étude de cohorte, de bonne qualité méthodologique (1,2), montre clairement une augmentation exponentielle significative de la mortalité cardiovasculaire à partir d’une consommation quotidienne de sucres ajoutés supérieure à 10% de l’apport calorique, ce qui revient à environ deux cannettes de coca (25 cl) par jour (sur un total de 2 000 kcal/jour). À partir d’une consommation quotidienne de sucres ajoutés supérieure à 20% de l’apport calorique, le NNH (nombre nécessaire pour nuire) pour la mortalité cardiovasculaire est de 22 ! Cette analyse a été corrigée pour tenir compte des principaux facteurs ayant une incidence, entre autres le tabagisme, le contexte socioéconomique, l’IMC et l’activité physique. Cette étude n’est certainement pas isolée, et les preuves s’accumulent. En 1972, John Yudkin, un biochimiste de Londres, publiait déjà un livre intitulé « Pure, White and Deadly », dans lequel il décrivait les effets négatifs de la consommation de sucres et de glucides en termes de coronaropathie (8). Ses confrères ne s’étant pas ralliés à son avis et l’industrie l’ayant vilipendé, sa thèse est tombée dans l’oubli.
Les études portant sur les effets d’une habitude alimentaire ne sont jamais simples. L’alimentation est complexe et variable, et ses effets ne peuvent être mesurés qu’après plusieurs années, ces études nécessitent en outre un grand nombre de participants. Ce qui, il y a une vingtaine d’années, était retenu comme facteur de confusion pertinent (par exemple la consommation de graisses) est maintenant trop limité. L’importance des facteurs alimentaires dans les mécanismes pathologiques n’est pas assez mise en évidence. En cas de prédisposition génétique, une alimentation saine est d’autant plus importante. Une récente étude de cohorte examinant l’influence des boissons sucrées sur l’IMC (9) a utilisé pour la première fois cette analyse de l’interaction entre génétique et diététique. Il s’avère que l’effet des boissons sucrées sur l’IMC est d’autant plus net que la prédisposition génétique est marquée. La recherche future doit davantage tenir compte de certaines habitudes alimentaires en tant qu’effet modificateur. En cas d’étude sur une affection chronique, l’intervention consistera à donner des conseils diététiques ou, au moins, inclura des conseils diététiques.
Qu’en est-il des conseils alimentaires que nous pouvons donner ? Finalement, qu’est-ce qu’une alimentation saine ? Un changement dans les habitudes alimentaires peut-il améliorer certaines affections ? Le régime alimentaire méditerranéen, qui comporte beaucoup de légumes, de légumineuses, de fruits, de noix, d’olives et de poissons gras, est celui qui, à ce jour, donne les meilleurs résultats (10-12). L’OMS a récemment publié une recommandation plus stricte en rapport avec la consommation quotidienne de sucres et intègre maintenant les remarques qui viennent d’être formulées. Il y est affirmé que la consommation quotidienne de sucres ajoutés doit idéalement être inférieure à 5% de l’apport calorique total. La limite recommandée jusqu’alors de 10%, a donc été divisée par 2 (13). Le Conseil Supérieur de la Santé a, lui aussi, indiqué dans ses Recommandations nutritionnelles de 2009 que « les sucres ajoutés ne devraient pas dépasser 10% de l’apport énergétique total » (14). Il est évident qu’il reste du pain sur la planche. Aborder ce problème n’est pas simple et relève de la responsabilité commune du gouvernement, des médecins, des producteurs et des consommateurs. Pourquoi ne pas commencer par interdire les distributeurs de boissons sucrées et de friandises dans les écoles et sur le lieu de travail ? Après tout, ce n’est pas fête tous les jours !
Références
- Yang Q, Zhang Z, Gregg EW, et al. Added sugar intake and cardiovascular diseases mortality among US adults. JAMA Intern Med 2014;174:516-24.
- Michiels B. Sucres ajoutés et mortalité cardiovasculaire. Minerva online 15/09/2014.
- Watts G. Sugar and the heart: old ideas revisited. BMJ 2013;346:e7800.
- Malhotra A. Saturated fat is not the major issue. BMJ 2013;347:f6340.
- Lim D. Sugar, not fat, is the culprit. BMJ 2013;347:f6846.
- Schmidt LA. New Unsweetened Truths About Sugar. JAMA Intern Med 2014;174:525-6.
- Lustig RH1, Schmidt LA, Brindis CD. Public health: The toxic truth about sugar. Nature 2012;482:27-9.
- Yudkin J. Pure, White and Deadly. Pinguin Books, 1972.
- Qi Q, Chu AY, Kang JH, et al. Sugar-sweetened beverages and genetic risk of obesity. N Engl J Med 2012;367:1387-96.
- Estruch R, Ros E, Salas-Salvadó J, et al; PREDIMED Study Investigators. Primary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet. N Engl J Med 2013;368:1279-90. Erratum in: N Engl J Med 2014;370:886.
- Poelman T. Bénéfice d’un régime méditerranéen en prévention primaire ? MinervaF 2009;8(4):48-9.
- Roberfroid D. Prévention primaire des maladies cardiovasculaires par une alimentation de type méditerranéen. MinervaF 2014;13(1):8-9.
- World Health Organisation. Draft Guideline: Sugars intake for adults and children. WHO 2014.
- Conseil Supéreur de la Santé. Recommandations nutritionelles pour la Belgique, 2009, n° 8309. Bruxelles: Conseil Supéreur de la Santé; 2009.
Auteurs
Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
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