Revue d'Evidence-Based Medicine



Procès, procédés et procédures



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 9 Page 105 - 105

Professions de santé


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

Procès révélateur

L’important procès contre la firme (Warner, reprise par Pfizer) qui avait organisé une promotion « hors indication » de la gabapentine a permis de découvrir la stratégie très élaborée de cette firme pour augmenter la prescription de son médicament. Nous y avons déjà fait écho plusieurs fois dans la revue Minerva (1-3) en relevant de nombreux moyens utilisés par la (les ?) firme(s) pour convaincre prescripteurs et patients : organisation de commissions d’avis, de réunions de consultants, de séances de formation médicale continue, recours à des promoteurs locaux et à des leaders d’opinion, octroi de subsides de recherche et de bourses d’étude, mais aussi manipulation des critères de jugement des études et mise aux oubliettes de celles dont les résultats n’étaient pas favorables. Pour une promotion pour des indications « off-label », plusieurs firmes ont été lourdement condamnées (milliards de dollars) aux USA (3).

Procédés de publication sélective

Une équipe de chercheurs épidémiologistes étatsuniens a rigoureusement comparé des documents rendus publics (protocoles d’étude et rapports de recherche complets) avec la publication d’études concernant des indications à l’époque « off-label » de la gabapentine (4). Cette équipe s’est particulièrement intéressée au type d’analyse prévu, réalisé et publié en intention de traiter. Pour chaque étude, les chercheurs ont comparé les documents internes de la firme (protocoles, plans d’analyse statistique, rapports de recherche, tous documents non publiés) avec les publications d’étude. Sur les 21 études trouvées dans les dossiers de la firme, 11 étaient des RCTs publiées qui ont permis les comparaisons. Pour 3 études, le nombre de patients randomisés est différent dans le rapport de recherche et dans la publication ; dans 1 étude, 145 personnes sont randomisées selon le rapport (interne) de recherche), mais seules 87 personnes (60 %) sont reprises avec des résultats dans la publication.

L’intention de (mal)traiter les données

Sept types d’analyse sont décrits dans les protocoles, plans d’analyses statistiques et publications, mais dans aucun cas l’analyse dite en intention de traiter (ITT) n’inclut tous les patients randomisés dans les groupes d’attribution respectifs.

Le complément nécessaire à une analyse en intention de traiter est une imputation correcte des données manquantes. Dans les études ici analysées, aucune mention n’est faite d’une imputation des données manquantes.

Il ne serait pas correct de conclure que les manipulations des données et analyses dans ces études sur la gabapentine hors indications enregistrées peuvent être généralisées à toutes les études, mais notre vigilance doit cependant se renforcer.

Les auteurs insistent sur la nécessité d’imposer des critères plus stricts pour l’analyse en ITT, avec une description précise dans le protocole d’étude et avec un accès scientifique possible aux données individuelles des patients inclus dans les différentes analyses.

Procédures : hors indication c’est hors garantie ?

Les auteurs de cette recherche constatent que les rapports de recherche (similaires aux « clinical study reports » dont les critères ont été établis par l’International Conference on Harmonisation (ICH)) apportent des résultats plus complets et plus précis dans la description du déroulement d’une étude et de ses résultats que la publication. Ces documents confidentiels ne sont pas accessibles à la communauté scientifique. Ils sont cependant remis aux Offices de régularisation pour l’enregistrement (FDA, EMA) qui communiquent alors publiquement les résultats de leur analyse de ces documents. Il en va autrement pour les indications non enregistrées : les rapports de recherche ne sont pas soumis à ces Offices et ils ne sont toujours pas disponibles pour la communauté scientifique qui ne peut se baser que sur les publications effectuées, sans contrôle possible d’une correspondance suffisante entre les données et les analyses prévues dans le protocole et celles qui sont effectivement réalisées et publiées.

En Belgique, la modification au 1 avril 2012 de l'article 2 de l'AR du 21-12-2001, qui supprimait la phrase « Les spécialités figurant dans la liste ne sont remboursées que pour les indications (autorisées), et le cas échéant, que moyennant le respect des conditions spécifiques qui y sont fixées » permet donc le remboursement dans n'importe quelle indication non enregistrée/autorisée de n'importe quelle spécialité inscrite au chapitre I.

Certains prescripteurs sont donc tentés, plus encore que par le passé, de prescrire certains médicaments hors indication enregistrée sur la foi d’un intérêt pour un tel traitement sur base d’une étude publiée à ce propos.

Conclusion

L’histoire de la gabapentine (et d’autres médicaments) a permis, suite aux procès, de faire connaître publiquement de nombreux processus dissimulés, de constater des divergences importantes entre des protocoles d’étude, le rapport clinique complet de la recherche et la publication de l’étude. Ces révélations doivent nous inciter à renforcer notre lecture critique tout particulièrement pour des indications « off-label ». L’accès aux rapports cliniques complets de toutes les études pour la communauté scientifique serait aussi un pas supplémentaire pour permettre une prescription « éclairée » garante d’une réelle amélioration des soins.

 

Références

  1. Chevalier P, De Meyere M. La formation médicale sans tain : la promotion de la gabapentine. [Editorial] MinervaF 2007;6(4):49.
  2. Chevalier P. Critères modifiant le jugement : du protocole à la publication. [Editorial] MinervaF 2010;9(5):53.
  3. Chevalier P. Label et la bête. [Editorial] MinervaF 2011;10(2);14.
  4. Vedula SS, Li T, Dickersin K. Differences in reporting of analyses in internal company documents versus published trial reports: comparisons in industry-sponsored trials in off-label uses of gabapentin. PLoS Med 2013;10:e1001378.
Procès, procédés et procédures



Ajoutez un commentaire

Commentaires