Revue d'Evidence-Based Medicine



Label et la bête



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 2 Page 14 - 14

Professions de santé


 

Une prescription/utilisation d’un médicament « off-label » est parfois définie comme la prescription/utilisation d’un médicament employé à titre expérimental dans une indication non autorisée (1). En fait, cette définition est erronée : la prescription d'un médicament non enregistré ou la prescription d'un médicament en dehors des indications pour lesquelles il a été enregistré est légalement autorisée, sous la responsabilité du prescripteur. Avant autorisation de mise sur le marché, certains médicaments sont utilisés à titre compassionnel ou dans des programmes médicaux d’urgence. Une législation particulière encadre cette utilisation. Nous nous pencherons, dans cet éditorial sur l’autre volet de la prescription « off-label » de médicaments, celui qui concerne la prescription d’un médicament enregistré mais en dehors des indications enregistrées et aussi sur la promotion de cette prescription « off-label ».

Promotion off-label

La promotion de médicaments hors de leurs indications enregistrées n’est pas autorisée. Nous avons déjà évoqué ce problème dans la revue Minerva, en commentant la lourde condamnation (430 millions de dollars) d’une firme pour une promotion de la gabapentine en dehors des indications enregistrées à l’époque (2). Nous avons épinglé les différents aspects de la stratégie de cette firme (Warner, reprise par Pfizer) pour une promotion « hors indication » : organisation de commissions d’avis, de réunions de consultants, de séances de formation médicale continue, recours à des promoteurs locaux et à des leaders d’opinion, octroi de subsides de recherche et de bourses d’étude, mais aussi manipulation des critères de jugement des études et mise aux oubliettes de celles dont les résultats n’étaient pas favorables (3).

Plus récemment (2009), une autre firme (Eli Lilly) a été lourdement condamnée (1,415 milliards de dollars) aux Etats-Unis pour la promotion hors indications enregistrées d’un neuroleptique, l’olanzapine, et la firme Pfizer, deux semaines plus tard, pour les mêmes faits pour un AINS COXIBs, le valdécoxib (2,3 milliards) (4). Dans l’amende infligée à la firme Eli Lilly sont compris 800 millions de dollars pour réparation des coûts assumés pour le remboursement hors indication du médicament, ce qui donne, indirectement, un aperçu du coût pour la société de cette promotion hors indications.

En contradiction avec ces décisions de justice, la FDA a publié en 2009 des directives pour l’industrie pharmaceutique concernant la distribution par celles-ci aux médecins de publications concernant des indications non approuvées pour des médicaments (et dispositifs médicaux) par ailleurs enregistrés (Good Reprint Practices) (5).

L’analyse du dossier gabapentine avec la manipulation des résultats d’étude (3) incite les esprits critiques à redouter « la bête » qui se cache derrière cette proposition.

Prescription off-label

En 2001, une enquête effectuée aux E.-U. a analysé l’importance des prescriptions hors indications pour 160 médicaments couramment prescrits (6) : dans 21% des cas la prescription était « off-label ». Une constatation plus inquiétante était faite : dans 73% des cas (IC à 95% de 61 à 84%) cette prescription hors indication ne reposait pas sur des bases scientifiques valides et robustes. Plus récemment (2008), un groupe de chercheurs étatsuniens publiait une liste de 14 médicaments couramment prescrits, invitant à effectuer rapidement des études pour évaluer leur efficacité et sécurité dans une utilisation off-label (7). Le médicament en tête de liste, la quétiapine, était prescrit dans 76% des cas hors indication, sur base de preuves limitées.

Le problème est théoriquement simple : un médicament ne devrait être prescrit dans la pratique quotidienne que pour des indications enregistrées ; pour d’autres indications, la prescription devrait être réservée au cadre d’études (8), avec information éclairée du patient (9).

Réflexion off label

Un article publié dans ce numéro de Minerva illustre bien ce problème. En 2006 et 2007, suite à des études correctes, deux médicaments ont reçu l’indication traitement de certaines formes de dégénérescence maculaire liée à l’âge, le pégaptanib et le ranibizumab. Le bévacizumab, qui a le même mécanisme d’action et a été mis au point par la même firme que le ranibizumab mais revient 30 à 50 fois moins cher que les 2 autres médicaments (10) n’a jamais revendiqué cette indication, tout en étant couramment utilisé par les ophtalmologues. A défaut d’étude mise en chantier par la firme, des études ont été initiées indépendamment de cette firme. Des résultats favorables sont maintenant publiés, mais il manque une comparaison randomisée entre ranibizumab et bévacizumab. La firme qui commercialise le bévacizumab ne semble pas disposée à revendiquer cette indication peut-être pour des raisons commerciales. Hors indication, un médicament n’est actuellement pas remboursable en Belgique. Quelle sera la décision des autorités, dans le cadre des contraintes juridiques, en Belgique comme dans les autres pays ? Les avis sont fort partagés à ce propos (11).

 

Références

  1. Gladstone WJ. Dictionnaire Anglais-français des sciences médicales et paramédicales. Editions Edisem – Maloine 1996.
  2. Chevalier P, De Meyere M. Editorial : La formation médicale sans tain : la promotion de la gabapentine. [Editorial] MinervaF 2007;6(4):49.
  3. Chevalier P. Critères modifiant le jugement : du protocole à la publication. [Editorial] MinervaF 2010;9(5):53.
  4. Curtiss FR, Fairman KA. Contradictory actions on off-label use of prescription drugs? The FDA and CMS versus the U.S. Justice department. J Manag Care Pharm 2009;15:161-5.
  5. FDA. Good Reprint Practices for the Distribution of Medical Journal Articles and Medical or Scientific Reference Publications on Unapproved New Uses of Approved Drugs and Approved or Cleared Medical Devices. Guidance for Industry - Good Reprint Practices for the Distribution of Medical Journal Articles and Medical or Scientific Reference Publications on Unapproved New Uses of Approved Drugs and Approved or Cleared Medical Devices. http://www.fda.gov/RegulatoryInformation/Guidances/ucm125126.htm (consulté le 14 novembre 2010).
  6. Radley DC, Finkelstein SN, Stafford RS. Off-label prescribing among office-based physicians. Arch Intern Med 2006;166:1021-6.
  7. Walton SM, Schumock GT, Lee K-V, et al. Prioritizing future research on off-label prescribing: results of a quantitative evaluation. Pharmacotherapy 2008;28:1443-52.
  8. Bennett WM. Off-label use of approved drugs: therapeutic opportunity and challenges. J Am Soc Nephrol 2004;15:830-1.
  9. Conseil National. La prescription de médicaments “off-label”.
  10. Nieuwe geneesmiddelen voor maculadegeneratie. Gebu 2008;42:31-7.
  11. Chakravarthy U. Bevacizumab for the treatment of neovascular age related macular degeneration. Controversy remains about the off label use of bevacizumab. [Editorial] BMJ 3010;340:c2834.
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