Revue d'Evidence-Based Medicine
Bévacizumab pour la dégénérescence maculaire
Contexte
Depuis 2007, deux inhibiteurs du facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (pégaptanib et ranibizumab) sont disponibles pour le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) sous sa forme néovasculaire (exsudative). Le bévacizumab, dérivé du même anticorps monoclonal que le ranibizumab mais nettement moins onéreux que celui-ci en injection intravitréenne (1), n’avait pas encore fait l’objet d’une évaluation dans une RCT pour cette indication.
Résumé
Population étudiée
- 131 patients âgés d’au moins 50 ans (moyenne de 81 ans), 61% de femmes, avec une dégénérescence maculaire néovasculaire (exsudative) liée à l’âge, avec précision des tailles minimales et maximales des lésions présentes à l’inclusion, avec altération de l’acuité visuelle (au mieux 6/12 à 6/96 (Snellen) corrigée), avec évaluation de la vision sur les échelles Early Treatment Diabetic Retinopathy Study (ETDRS) ; 1 œil par patient inclus dans l’étude
- critères d’exclusion : patients avec lésion structurelle permanente au niveau de la fovea centrale, traitement précédent de cette DMLA exsudative, anamnèse d’événement cardiovasculaire ou cérébrovasculaire dans les 6 mois précédents.
Protocole d’étude
- étude randomisée, contrôlée, en groupes parallèles, patients et évaluateurs en insu
- les soins courants indiqués sont déterminés pour tous les participants avant la randomisation : traitement photodynamique avec vertéporfine ou 9 injections intravitréennes de pégaptanib (le ranibizumab n’étant pas enregistré au début de l’étude).
- intervention : injection intravitréenne de bévacizumab (1,25 mg dans 0,05 ml par injection), toutes les 6 semaines, suivant l’évolution au minimum 3 au maximum 9 injections (complément d’injections placebo si nécessaire pour atteindre les 9 au total) des 65 patients randomisés dans ce groupe, avec vertéporfine placebo si indication prédéterminée, versus soins courants (n=66).
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : proportion de patients avec gain d’au moins 15 lettres au test d’acuité visuelle ETDRS à 54 semaines
- critères secondaires : proportion de patients avec vision stable et modification moyenne de l’acuité visuelle, effets indésirables
- analyse en intention de traiter (et par protocole pour le critère primaire).
Résultats
- arrêt de suivi : 1 décès dans le groupe bévacizumab, 4 dans le groupe soins courants (3 choix de traitement alternatif, 1 arrêt pour douleur)
- 12 patients sur les 66 n’ont pas reçu d’injection de pégaptanib dans le groupe contrôle
- en moyenne 7,1 (médiane 7, écarts de 3 à 9) injections intravitréennes de bévacizumab
- critère primaire : en analyse ITT 32% (IC à 95% de 22% à 46%) dans le groupe bévacizumab, 3% (IC à 95% de 0,4% à 11%) dans le groupe soins courants : OR 18,1 (3,6 à 91,2) après ajustements (âge, acuité visuelle, sexe) ; NST de 4 (3 à 6) ; analyse PP similaire : OR ajusté de 18,4 (3,6 à 93,8)
- acuité visuelle (Snellen) : significativement plus de patients avec acuité visuelle d’au moins 6/12 sous bévacizumab et significativement moins avec acuité inférieure à au moins 6/60 sous bévacizumab
- critères (exploratoires) morphologiques : en faveur du groupe bévacizumab
- effets indésirables : pas de cas d’endophtalmie ni d’uvéite sévère ni de décollement de rétine sous bévacizumab.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent qu’un traitement par injections intravitréennes de 1,25 mg de bévacizumab effectuées toutes les 6 semaines un nombre variable de fois est supérieur aux soins courants (pégaptanib sodique, vertéporfine, injection factice) avec une faible fréquence d’effets indésirables oculaires sévères. Ce traitement améliore l’acuité visuelle en moyenne à 54 semaines.
Financement
Moorfields Eye Hospital, Department of Health, National Eye Research Centre Bristol ; les sponsors ne sont intervenus à aucun des stades de la recherche.
Conflits d’intérêt
7 des 13 auteurs déclarent avoir reçu des dédommagements à titre divers de différentes firmes.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Le protocole fort complexe de cette RCT est bien élaboré et respecté, avec les traitements placebos nécessaires : injection intravitréenne factice (préparation pour l’injection puis pression ferme de la seringue sans aiguille sur la conjonctive, donc sans pénétration intraoculaire) pour terminer la série de 9 prévues dans le groupe bévacizumab si ces injections n’étaient plus nécessaires (déterminé sur critères précis, en insu, par d’autres examinateurs), dextrose au lieu de vertéporfine dans le groupe bévacizumab (avec dispositif d’administration non visible). Pour une puissance estimée à 82% pour le critère primaire, il fallait recruter 130 personnes en tenant compte de 12% d’arrêt de suivi, ce qui n’a pas été le cas (5/131). Les groupes de traitement présentent des caractéristiques oculaires et morphologiques initialement semblables. Les effets indésirables potentiels, locaux comme systémiques, ont bien été observés et mentionnés. Nous pouvons regretter l’absence de comparaison directe avec le ranibizumab, mais elle est aisément explicable : ce médicament n’était pas enregistré lors de l’initiation de cette étude-ci. Le comparateur choisi, c’est-à-dire le traitement couramment utilisé, était donc correct.
Mise en perspective des résultats
Cette étude est la première RCT concernant la DMLA utilisant comme critère de jugement primaire une amélioration de la vision plutôt qu’une stabilisation. Comme mentionné ci-dessus, le comparateur choisi est les soins couramment pratiqués : photothérapie avec vertéporfine ou 9 injections intravitréennes de pégaptanib. Ceci reflète la réalité du terrain au moment de l’étude, avec des preuves d’une même efficacité des 2 traitements actifs de comparaison dans d’autres études. Les précédentes (nombreuses) études avec le bévacizumab n’étaient que des séries de cas sans traitement comparateur. Par contre pour le pégaptanib comme pour le ranibizumab, des RCTs ont été réalisées avec comparaison pégaptanib à différents dosages versus injections factices et comparaison ranibizumab versus injection intravitréenne factice ou versus photothérapie avec vertéporfine. Pour l’ensemble de ces études, une évaluation des technologies médicales et des médicaments (Health Technology Assessment, HTA) (2) conclut que les deux médicaments sont supérieurs au traitement classique mais avec un rapport coût/efficacité nettement supérieur. Par contre, NICE (3) conclut à une ampleur d’efficacité supérieure pour le ranibizumab, avec un rapport non favorable coût/efficacité pour le pégaptanib.
Dans la pratique, le bévacizumab présente l’avantage de ne devoir être administré que toutes les 6 semaines versus 4 semaines pour le ranibizumab.
Plusieurs études sont en cours avec comparaison ranibizumab versus bévacizumab et elles apporteront peut-être des réponses plus précises sur l’intérêt respectif de ces médicaments dans cette indication.
Effets indésirables
Dans la présente étude, un décès par infarctus du myocarde et un infarctus du myocarde non STEMI sont observés dans le groupe bévacizumab. Ce risque reste donc à évaluer au niveau d’une population plus large, d’autant plus que les effets indésirables du bévacizumab administré par voie systémique peuvent être sévères : accidents thrombo-emboliques, accidents artériels graves, HTA. Le risque de survenue de tels effets indésirables lors d’une administration intravitréenne reste à mieux évaluer.
Conclusion de Minerva
Cette RCT de bonne qualité montre l’intérêt de l’injection intravitréenne de bévacizumab en cas de dégénérescence maculaire liée à l’âge versus soins courants (hors ranibizumab non enregistré à l’époque), avec amélioration visuelle. Les études en cours devraient préciser l’intérêt de ce traitement versus ranibizumab, beaucoup plus coûteux, et sa sécurité.
Pour la pratique
Le bévacizumab, au contraire du pégaptanib et du ranibizumab, ne possède pas l’indication traitement de la DMLA. Le guide de pratique du CKS (4), sur base des publications de NICE (3), recommande pour le traitement de la DMLA néovasculaire (exsudative) les injections intravitréennes de ranibizumab (1 par mois) et non celles de pégaptanib ou de bévacizumab (parce que hors indication), une photocoagulation par laser (mais avec lésions cicatricielles entraînant un scotome) ou la photothérapie dynamique avec vertéporfine. Les résultats de l’étude de Tufail analysée ici devraient entraîner une modification des recommandations.
Noms de marque
- bevacizumab : Avastin®
- ranibizumab : Lucentis®
- pégaptanib : Macugen®
- vertéporfione : Visudyne®
Références
- Après le pegaptanib (Macugen®), le ranibizumab (Lucentis®) est remboursé à partir du 1er novembre dans certaines formes néovasculaires (humides) de dégénérescence maculaire liée à l’âge. Folia Pharmacotherapeutica. Bon à savoir, décembre 2007.
- Colquitt JL, Jones J, Tan SC, et al. Ranibizumab and pegaptanib for the treatment of age-related macular degeneration: a systematic review and economic evaluation. Health Technol Assess 2008;12:1-222.
- National Institute for Health and Clinical Excellence. Ranibizumab and pegaptanib for the treatment of age-related macular degeneration. NICE technology appraisal guidance 155, August 2008.
- CKS. Macular degeneration– age-related. http://cks.nhs.uk (consulté le 29 septembre 2010).
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