Revue d'Evidence-Based Medicine



Prise en charge au domicile de la dépression chez la personne âgée



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 10 Page 157 - 159

Professions de santé


Analyse de
Ciechanowski P, Wagner E, Schmaling K et al. Community-integrated home-based depression treatment in older adults. A randomized controlled trial. JAMA 2004;291:1569-77.


Question clinique
Les soins à domicile contribuent-ils à une meilleure détection et à un traitement amélioré de la dysthymie et de la dépression mineure des personnes âgées restées au domicile et présentant des limitations somatiques et socio-économiques?


Conclusion
Cette étude montre qu'un nombre limité d'interventions thérapeutiques comportementales cognitives, réalisées par des travailleurs sociaux formés, peut réduire les symptômes dépressifs et améliorer le bien être global de patients âgés. Elle concerne cependant une population âgée sélectionnée, aux Etats-Unis, population présentant une comorbidité somatique importante, d'accès difficile et socialement isolée avec des moyens financiers limités. Il n'est pas évident que ces résultats puissent être transposés dans nos soins de médecine générale.


 

Résumé

Contexte

La dysthymie et la dépression mineure sont fréquentes chez les personnes âgées. Un isolement social, une comorbidité et des limitations fonctionnelles y contribuent et, de plus, réduisent les chances d'identification et de traitement adéquat. Une dépression non traitée exerce une influence négative sur le fonctionnement et la qualité de vie, ce qui peut entraîner un accroissement de morbidité et de mortalité ainsi que du coût des soins de santé.

 

Population étudiée

Sur base d'une réponse positive à deux items du dépistage de la dépression. Les deux premières questions explorent l’humeur dépressive (cafardeux, déprimé, sans espoir) et la perte d’intérêt pour les situations habituellement jugées amusantes ou pour les contacts avec la famille ou les collègues.">questionnaire PRIME-MD, des travailleurs sociaux ont recruté 1 238 personnes âgées de plus de 60 ans et faisant appel à des services de soins ou vivant dans un home. La présence d'une dysthymie ou d'une dépression mineure est évaluée, au moyen du SCID interview, chez ces personnes et chez 181 autres s'étant spontanément présentées pour participer à l'étude. Les patients suivants sont exclus: absence de dépression, dépression majeure, trouble bipolaire, psychose, abus médicamenteux et troubles cognitifs. Finalement, 138 patients sont inclus. Leur âge moyen est de 73 ans (ET 8,5), avec 79% de femmes. La moitié présente une dépression mineure, l'autre moitié une dysthymie; 36% des sujets prennent un antidépresseur. Une fréquence moyenne de 4,6 (ET 2,1) affections médicales chroniques par patient est présente; 72% vivent seuls, 69% bénéficient d'une aide à domicile et pour 58% d'entre eux, le revenu annuel moyen est inférieur à 10.000 $.

Protocole d'étude

Cette étude randomisée, contrôlée, répartit ses sujets soit dans un groupe contrôle recevant des soins habituels (n=66) soit dans un groupe intervention recevant des soins à domicile spécifiques avec insistance pour accroître les activités physiques et sociales (n=72). Ce dernier groupe bénéficie, entre autres, de huit sessions de 50 minutes de «problem solving therapy» sur un décours de dix-neuf semaines. Ces sessions sont réalisées par un travailleur social expérimenté. En l'absence d'amélioration de la dépression durant l'intervention, lors des suivis mensuels, un psychiatre supervisant le projet donne au médecin traitant un avis pour l'adaptation des antidépresseurs ou pour la prise en charge de causes médicales de dépression.

Mesure des résultats

La sévérité de la dépression est mesurée sur l'échelle HSCL-20, initialement et après trois et douze mois post randomisation. Les autres critères de jugement sont la qualité de vie et le recours à des interventions médicales. Les évaluations sont réalisées par des personnes non impliquées dans l'intervention. L'analyse est faite en intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">intention de traiter.

Résultats

Après douze mois, un nombre significativement plus élevé de patients du groupe d’intervention présentent une réduction de 50% de leurs symptômes dépressifs par rapport aux patients du groupe soins courants (43% versus 15%; OR 5,21; IC à 95% de 2,01 à 13,49; p<0,001). Le nombre de sujets en rémission complète est également significativement plus élevé dans le groupe intervention (36% versus 12%; OR 4,96; IC à 95% de 1,79 à 13,72; p=0,002). Seuls les patients du groupe intervention montrent, après douze mois, une amélioration significative du bien être fonctionnel comme émotionnel mais non physique ni social. Aucune différence n'est observée entre les deux groupes quant à l'utilisation d'antidépresseurs ou de recours à des soins médicaux.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu'une prise en charge de la dépression par des soins intégrés dans la communauté et basés au domicile réduit les symptômes dépressifs et améliore l'état de santé de personnes âgées souffrant de maladie chronique et présentant une dépression mineure ou une dysthymie.

Financement

Prevention Research Centers Program of the Centers for Disease Control and Prevention et University of Washington Health Promotion Research Center (E.U.)

Conflits d'intérêt

Les sponsors ne sont impliqués ni dans le protocole, ni dans le décours de la recherche pas plus que dans la récolte, l'analyse et l'interprétation des données ni dans la publication des résultats. Des conflits d'intérêts des auteurs ne sont pas mentionnés.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs nous livrent une description détaillée de leur recherche. Leur flowchart précis ne nous permet cependant pas de comprendre pourquoi les participants qui se présentent spontanément ont trois fois plus de chance d'être inclus dans l'étude. Nous nous attendrions à l'inverse, étant donné que les travailleurs sociaux avaient déjà, lors du recrutement, utilisé une procédure de sélection. Le traitement reçu par les patients inclus dans le groupe contrôle n'est pas précisé. Des soins courants couvrent aussi bien des soins médicaux de différents médecins que d'autres soins en première et en deuxième lignes. Ce groupe contrôle est donc très hétérogène. L'intervention comporte, elle aussi, différents traitements. Il ne s'agit pas uniquement de la problem solving therapy mais aussi d'encourager et de planifier des activités physiques, sociales et récréatives ainsi que d'un contrôle du traitement médicamenteux. Cette dernière intervention peut avoir conduit à un dosage plus exact et à une observance améliorée. Les meilleurs résultats enregistrés dans le groupe intervention sont peut-être à attribuer, pour une part importante, à cette donnée. De précédentes études chez des personnes âgées présentant une dysthymie ou une dépression mineure n'ont, en effet, pu montrer une amélioration significative des symptômes dépressifs pour une problem solving therapy versus placebo 1.

Lors de l'inclusion, les auteurs font une distinction claire entre patients présentant une dysthymie et ceux souffrant d'une dépression mineure. Le DSM-IV définit la dépression mineure comme étant la présence quotidienne d'une humeur dépressive et d'anhédonie, accompagnée d'un à trois symptômes associés durant au moins deux semaines. La dysthymie est plutôt décrite comme un syndrome dépressif durant au moins deux ans. Dans le groupe intervention, il y a proportionnellement plus de patients atteints de dysthymie. L'influence éventuelle de cette différence sur les résultats n'est pas analysée, l'évaluation de ceux-ci ne distinguant pas dysthymie et dépression mineure. Dans l'étude de Williams, aucune différence de résultats n'est observée entre ces deux groupes1. L'intérêt clinique de faire une telle distinction reste une question et devrait être précisé davantage. Enfin, les auteurs n'avaient pas accès aux dossiers médicaux et ont donc dû se fier aux déclarations individuelles concernant la comorbidité médicale et le recours aux services de soins, source de biais d'information possible.

Prise en charge accessible à tout un chacun

Cette étude montre que, dans un groupe sélectionné de patients recourant habituellement peu ou pas à l'administration de soins, une intervention à la portée de tous est un traitement adéquat possible. La thérapie comportementale cognitive améliore le «coping», réduisant ainsi les symptômes dépressifs sans devoir modifier les facteurs de risque. Nous n'observons cependant pas d'amélioration du bien-être physique et social dans le groupe intervention. Ces résultats concordent avec ceux d'une autre étude montrant qu'une prise en charge limitée, psycho-éducative et favorisant l'activité physique, est efficace dans une région socio-économiquement faible 2. L'apport nouveau de cette étude-ci est le déroulement du traitement au domicile, avec une attention particulière pour les personnes économiquement faibles. Les auteurs sont convaincus que cette intervention peut être implantée dans les activités des services sociaux s'adressant à ce type de population.

Pertinence pour le médecin généraliste

Cette étude concerne une population strictement sélectionnée (seuls 138 des 1 419 patients recrutés ont été inclus), aux Etats-Unis. Ce contexte peut-il être extrapolé à la médecine générale accessible à tout un chacun en Belgique? Le médecin de famille ne joue qu'un rôle mineur dans l'intervention. La «problem solving therapy» est effectuée par des travailleurs sociaux formés pour la pratiquer. Outre l'aspect formation, la question de la faisabilité de huit sessions de 50 minutes à effectuer par un médecin généraliste est posée. Le médecin généraliste belge est peut-être aussi moins attentif à des formes légères de dépression chez ses patients âgés limités dans leur fonctionnement somatique et socio-économique. Une utilisation progressive (stepped care model) de moyens diagnostiques (s'informer de la présence des deux symptômes essentiels de la dépression, en cas de réponse positive éventuellement affiner le diagnostic en explorant les différents symptômes, compléter éventuellement avec un questionnaire) et une meilleure collaboration avec le psychiatre ont montré une optimalisation possible des soins 3,4. Cette étude lance, enfin, une question: les médecins généralistes formés à pratiquer des thérapies comportementales cognitives peuvent-ils apporter une dimension supplémentaire aux soins qu'ils apportent à leurs patients dépressifs en les stimulant à la pratique d'activités physiques et sociales?

 

Conclusions

Cette étude montre qu'un nombre limité d'interventions thérapeutiques comportementales cognitives, réalisées par des travailleurs sociaux formés, peut réduire les symptômes dépressifs et améliorer le bien être global de patients âgés. Elle concerne cependant une population âgée sélectionnée, aux Etats-Unis, population présentant une comorbidité somatique importante, d'accès difficile et socialement isolée avec des moyens financiers limités. Il n'est pas évident que ces résultats puissent être transposés dans nos soins de médecine générale.

 

Références

  1. Williams JW, Barrett J, Oxman T et al. Treatment of dysthymia and minor depression in primary care. JAMA 2000;284:1519-26.
  2. White J. Treating Anxiety and Stress. A group psycho-educational approach using brief CBT. Chichester, New York: John Wiley & Sons, 2000.
  3. De Coster I, Van Audenhove C, Goetinck M, van den Ameele H. Collegiale consultatie tussen huisarts en psychiater. Sleutelelement in de aanpak van depressie. Huisarts Nu 2004;33:273-80.
  4. van den Ameele H, Van Audenhove C, De Coster I, Goetinck M. Tussen de lijnen: een stepped care programma voor de behandeling van depressie door huisartsen en PAAZ-psychiaters. Psyche 2002;4:7-9.
Prise en charge au domicile de la dépression chez la personne âgée

Auteurs

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

Rogiers R.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

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