Revue d'Evidence-Based Medicine



Peut-on baser le traitement de l'hypertension sur des mesures a domicile?



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 6 Page 94 - 96

Professions de santé


Analyse de
Staessen JA, Den Hond E, Celis H et al. Antihypertensive treatment based on blood pressure measurement at home or in the physician’s office. JAMA 2004;291:955-64.


Question clinique
Quelle est la valeur de l’auto-mesure de la pression artérielle comparée à la mesure conventionnelle lors de l’initiation d’un traitement médicamenteux et de sa titration chez des patients présentant de l’hypertension?


Conclusion
Cette étude montre que l’auto-contrôle de la pression artérielle, comparée à la mesure conventionnelle, permet d’obtenir un contrôle plus efficace de cette pression avec un usage moindre de médicaments et des coûts plus faibles. Les mesures de pression conventionnelles restent le gold standard, mais l’auto-contrôle de la pression peut être une alternative valable pour la mise au point et le suivi de l’hypertension.


 

Résumé

Contexte

Dans l’étude APTH 1, les mêmes chercheurs ont démontré que la titration d’un traitement anti-hypertenseur effectuée au moyen d’un monitoring ambulatoire de la pression artérielle versus mesure conventionnelle de la pression artérielle permettait d’atteindre le même contrôle de la pression artérielle avec un recours moindre à des médicaments mais sans réduction globale des coûts.

Population étudiée

Au départ de 56 pratiques de médecine générale et de trois cliniques de consultations pour l’hypertension (deux en Belgique et une en Irlande), sont recrutés 606 hommes et femmes présentant de l’hypertension et âgés de plus de 18 ans. Sont incluses les personnes qui présentent une hypertension diastolique supérieure à 95 mmHg à l’occasion des deux consultations consécutives. Sont exclus, les patients présentant une co-morbidité cardiovasculaire sévère (insuffisance cardiaque, angor instable, rétinopathie hypertensive sévère, infarctus du myocarde et accident vasculaire cérébral dans l’année précédente) ou une co-morbidité non cardiovasculaire (cirrhose hépatique, cancer, insuffisance rénale sévère et troubles mentaux). Finalement 400 patients sont inclus dans l’étude, d’un âge moyen de 53 ans, dont un peu plus de la moitié sont des femmes.

Protocole d’étude

Les patients sont répartis, dans cette étude clinique randomisée, en double aveugle, dans un groupe dont la médication antihypertensive est adaptée sur base de mesures de pression artérielle à domicile (n=203), soit dans un groupe pour lequel l’adaptation thérapeutique est faite sur base d’une mesure conventionnelle de la pression (n=197). Tous les deux mois, la pression est mesurée à domicile,dans les deux groupes, durant sept jours consécutifs à trois reprises le matin et à trois reprises le soir.A l’occasion d’une consultation bimestrielle, la pression artérielle est mesurée à trois reprises. La moyenne de toutes les mesures est calculée pour chacune des méthodes. Une mesure de la pression artérielle effectuée de façon ambulatoire lors de l’inclusion (randomisation) après six mois et après un an, est considérée comme le gold standard. Un coordinateur de recherche adapte la médication selon un schéma fixe sur base des mesures à domicile ou des mesures conventionnelles dans le but d’atteindre une valeur cible de pression diastolique située entre 80 et 89 mmHg: premier palier lisinopril 10 mg, deuxième palier lisinopril 20 mg, troisième palier lisinopril 20 mg avec hydrochlorothiazide 25 mg ou amlodipine 5 mg et quatrième palier une combinaison de toutes les médications du palier trois avec adjonction de prazosine à une dose pouvant atteindre 6 mg. Un palier est ou non franchi en fonction des valeurs de pression. Les patients sont suivis durant un an.

Mesures des résultats

Les critères de jugement sont: modification des chiffres tensionnels mesurés de façon conventionnelle, pression artérielle à domicile, pression ambulatoire,nombre de médicaments antihypertenseurs utilisés, hypertrophie ventriculaire gauche (à l’électrocardiogramme ou à l’échographie), questionnaire concernant les symptômes et calcul du coût.

Résultats

Les sorties d’étude sont assez nombreuses dans les deux groupes: plus de 13%. La durée médiane de suivi est de 350 jours. La diminution moyenne de pression artérielle est significativement plus élevée en cas de mesure conventionnelle, qu’en cas de mesure de pression à domicile ou de mesure de pression ambulatoire (p<0,001) à la fin du suivi lorsque la pression a été adaptée en fonction de la mesure à domicile (voir tableau). A la fin de l’étude, 25,6% du groupe suivi par mesures à domicile versus 11,3% du groupe suivi par mesures de pression conventionnelles ont pu suspendre la médication antihypertensive (p<0,001). Le nombre de patients nécessitant un schéma d’associations plus complexes est similaire dans les deux groupes (38,7% versus 45,1%; p=0,14). Une hypertrophie ventriculaire gauche est présente de façon équivalente dans les deux groupes.Les coûts sont moindres dans le groupe suivi par des mesures à domicile (3 875 euros versus 3 522 euros; p=0,04).

 

Tableau: Différence moyenne dans la diminution de la pression artérielle (IC à 95%) entre le groupe suivi par mesure de pression conventionnelle versus mesure à domicile, corrigé pour la pression artérielle, le sexe, l’âge et l’indice de masse corporelle (IMC) lors de la randomisation.

 

Différence de pression systolique

Différence de pression diastolique

Valeur p

Mesure de pression conventionnelle

6,8 (3,6 - 9,9)

3,5 (1,9 - 5,1)

<0,001

Mesure de pression à domicile

4,9 (2,5 - 7,4)

2,9 (1,5 - 4,3)

<0,001

Mesure de pression ambulatoire*

4,9 (2,5 - 7,4)

2,9 (1,4 - 4,4)

<0,001

* monitoring ambulatoire de 24 heures

 

Conclusions des auteurs

Les auteurs concluent que l’adaptation médicamenteuse de l’hypertension en fonction des valeurs de pression prises à domicile en lieu et place d’une mesure conventionnelle de la pression artérielle, apporte une moindre consommation de médicaments, une réduction minime des coûts, mais également une fréquence moindre des contrôles de la pression. Aucune différence n’est observée pour la qualité de vie et la survenue d’hypertrophie ventriculaire gauche. Les mesures de pression à domicile permettent d’identifier les patients présentant une hypertension de la blouse blanche.

Financement

AstraZeneca et Pfizer.

Conflits d’intérêt

AstraZeneca a fourni le soutien logistique et les médicaments de l’étude en association avec la firme Pfizer. Les sponsors n’étaient pas impliqués dans le protocole de l’étude, l’analyse et l’interprétation des résultats. Plusieurs auteurs ont reçu des fonds de firmes pharmaceutiques, dont les sponsors de cette étude.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude est correcte sur le plan méthodologique. La randomisation a permis d’obtenir des groupes de recherche quasi identiques dont 77% des patients sont recrutés et suivis par un médecin généraliste.Combinés aux critères qui excluent de l’étude les patients présentant une co-morbidité sévère, ceci garantit une population d’étude qui est conforme à celle de patients hypertendus en pratique générale. Le respect du caractère aveugle pour les chercheurs comme pour les patients reste possible du fait que les trois méthodes de mesure de la pression artérielle sont effectuées dans les trois groupes. Le coordinateur de recherche, qui détermine la stratégie thérapeutique n’est pas au courant de la répartition aléatoire. Il est cependant inévitable qu’un médecin attentif découvre, après un certain temps, quelle est la mesure qui détermine la médication, surtout auprès de patients sensibles à l’effet de la blouse blanche. Le taux de suivi, proche des 87% dans les deux groupes, est élevé et une analyse en intention de traiter est utilisée. Cette participation élevée nous permet de conclure que la mesure de pression à domicile est une procédure acceptable pour ces patients. Nous nous demandons cependant pourquoi le patient doit, suivant le protocole d’étude, mesurer sa pression le matin (tôt) et le soir (tard). Il est bien connu que ces «zones de transition» de la journée livrent des mesures de pression moins représentatives 2,3. Les études sur les profils de pression diurne nous apprennent qu’une hausse de pression importante survient dans les périodes suivant le réveil et précédant le coucher.Par contre les pressions sont un peu plus basses après un repas. Cette étude n’en tient pas compte. Il serait plus logique de faire mesurer sa pression par le patient dans le courant de la matinée, dans l’après-midi ou en début de soirée après un repos de cinq minutes. Il est également apparemment curieux que les valeurs cibles de pression artérielle soient les mêmes pour les deux groupes, alors qu’il est bien admis, que pour la pression mesurée à domicile, la valeur diastolique doit être inférieure à 85 mmHg. Ce choix de «protocole simplifié» permet de respecter le caractère aveugle, mais il diminue la valeur des résultats finaux.La non prise en considération de la pression systolique dans le choix thérapeutique est également une limite de cette étude, choix également probablement fait dans un but de simplification de protocole d’étude. C’est cependant une occasion manquée, des patients présentant une hypertension systolique, avec phénomène de la blouse blanche plus souvent observé, étant présents dans cette population d’étude d’un âge moyen supérieur à 50 ans.

Moins de contrôles de pression artérielle avec une mesure à domicile?

L’élément de cette étude portant le plus à discussion, comme le souligne les auteurs, est l’apparente moindre réduction de pression artérielle dans le groupe suivi par mesure de pression prise à domicile. Cette observation se base sur la pression conventionnelle moyenne plus élevée chez les patients du groupe suivi sur base des mesures de pression prises à domicile. Elle est bien sûr la conséquence du non (sur)-traitement inutile des hypertensions de la blouse blanche, ce qui explique une pression conventionnelle globalement plus élevée chez ces patients. N’est-ce pas, précisément, une des forces de la mesure de pression à domicile, que cette personnalisation plus poussée du traitement et que la découverte des «hypertensions factices» de la blouse blanche? Le résultat final pour le groupe traité sur base des valeurs du domicile est certainement positif: contrôle tensionnel parfait, avec une évolution de l’hypertrophie ventriculaire gauche aussi favorable que dans le groupe (surtraité !) suivi par mesures conventionnelles, mais avec un recours moindre aux médicaments pour le premier groupe!

La réduction des coûts due à une moindre utilisation de médicaments dans ce groupe,n’est également pas minime. Les chercheurs n’optent pas pour les recommandations de la WVVH,mais débutent avec un premier et deuxième paliers thérapeutiques plus onéreux (et pas toujours pertinents) 4. Néanmoins, cela se traduit encore par une réduction considérable des coûts, c’est-à-dire 5 184 euros par an pour 100 patients du groupe suivi par mesure de pression à domicile. En outre, une réduction de 3 348 euros par an et pour 100 patients est à prendre en compte en raison d’un moindre recours aux consultations médicales dans ce groupe.Les auteurs minimalisent ces montants en arguant du coût important des appareils de mesure à domicile. Mais en pratique, il est raisonnable de s’attendre à ce que les patients hypertendus acquièrent euxmêmes un bon tensiomètre. En utilisant de surcroît les valeurs cibles habituelles pour la mesure de pression à domicile, il est possible que les résultats auraient été meilleurs encore et qu’une diminution significative de la survenue de l’hypertrophie ventriculaire gauche ait pu être enregistrée.

La mesure à domicile est pertinente sur le plan clinique

Cette étude importante permet de démontrer, pour la première fois, que dans une pratique de médecine générale, un contrôle efficace de la pression artérielle est possible en se basant sur des mesures de pression artérielle faites par le patient à domicile, avec un recours moindre aux médicaments et une réduction des coûts. L’hypertension de la blouse blanche n’est plus traitée inutilement. La mesure de pression à domicile est apparemment une méthode acceptable pour le patient lui-même. Si de plus en plus d’études prospectives sont publiées 5 qui montrent une corrélation entre les mesures à domicile et la morbi-mortalité cardiovasculaire meilleure que celle donnée par des mesures de pression conventionnelle 4, certaines limites (comme les valeurs normales proposées) doivent cependant encore être éclaircies par des essais prospectifs.C’est pour cette raison que la mesure conventionnelle de la pression reste la méthode de référence scientifique, mais la pertinence clinique de la mesure de pression à domicile est désormais bien établie. Cette étude souligne cette vision moderne, dont témoigne aussi la recommandation de la WVVH «Hypertension» 6. En fait, tout nouveau patient hypertendu est potentiellement un «hypertendu de la blouse blanche», il est donc toujours souhaitable de vérifier les chiffres tensionnels de façon ambulatoire. Comme les valeurs d’auto-mesure possèdent une grande spécificité (0,93) pour l’hypertension, les patients présentant des chiffres moyens mesurés à domicile <135/85 mmHg peuvent être rassurés 7 sur le risque encouru.

 

Conclusions

Cette étude montre que l’auto-contrôle de la pression artérielle, comparée à la mesure conventionnelle, permet d’obtenir un contrôle plus efficace de cette pression avec un usage moindre de médicaments et des coûts plus faibles. Les mesures de pression conventionnelles restent le gold standard, mais l’auto-contrôle de la pression peut être une alternative valable pour la mise au point et le suivi de l’hypertension.

 

Références

  1. Staessen JA, Byttebier G, Buntinx F et al. Antihypertensive treatment based on conventional or ambulatory blood pressure measurement: a randomized controlled trial. JAMA1997;278:1065-72.
  2. Thijs L, Staessen JA, Celis H et al. Self-recorded blood pressure in normotensive and hypertensive subjects: a meta-analysis of individual patient data. Blood Press Monit 1999;4:77-86.
  3. Weber MA. Whole-day blood pressure. Hypertension 1988; 11:288-98.
  4. Ohkubo T, Imai Y, Tsuji I et al. Home blood pressure measurement has a stronger predictive power for mortality than does screening blood pressure measurement: a population-based observation in Ohasama, Japan. J Hypertens 1998;16:971-5.
  5. De Cort P. Valeur pronostique de la tension mesurée à domicile. MinervaF 2005;4(6):97-8.
  6. De Cort P, Philips H, Govaerts F, Van Royen P. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering:Hypertensie. Huisarts Nu 2003;8:387-411.
  7. Beltman FW, Van Der Meer K, Fennema MA. De diagnostiek van witte jashypertensie door middel van thuis bloeddrukmeting. Huisarts Wet 2000;43:155-8.
 
Peut-on baser le traitement de l'hypertension sur des mesures a domicile?



Ajoutez un commentaire

Commentaires