Revue d'Evidence-Based Medicine



Les suppléments vitaminés préviennent-ils les infections respiratoires chez les personnes âgées?



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 6 Page 92 - 94

Professions de santé


Analyse de
Graat JM, Schouten EG, Kok FJ. Effect of daily vitamin E and multivitamin-mineral supplementation on acute respiratory tract infections in elderly persons. A randomized controlled trial. JAMA 2002;288:715-21.


Question clinique
La prise quotidienne de préparations polyvitaminées et de minéraux ou de compléments de vitamine E peut-elle réduire l’incidence et la gravité d’infections respiratoires chez les personnes âgées ?


Conclusion
Chez les personnes âgées non institutionnalisées et sans déficience alimentaire, ni les compléments multivitaminés et de minéraux, ni la vitamine E n’ont d’efficacité pertinente dans la prévention d’infections respiratoires.


 

Résumé

Contexte

Une diminution de la réponse immunologique liée à l’âge peut augmenter le risque d’infections. On a observé une amélioration de l’immunité cellulaire avec des doses physiologiques de complexes de vitamines et de minéraux et avec des doses plus élevées de vitamine E. L’efficacité de préparations de ce type sur la prévention de maladies infectieuses chez des personnes âgées non institutionnalisées n’est pas encore démontrée.

Population étudiée

Dans cette étude, ont été incluses 652 personnes de plus de 60 ans avec un âge moyen de 73 ans. Les personnes qui avaient pris des compléments alimentaires dans les 2 mois précédents ont été exclues. Les autres critères d’exclusion étaient : utilisation d’immunosuppresseurs ou d’antagonistes de la vitamine K, antécédents de cancer, de maladie hépatique ou de malabsorption des graisses. 10 % des participants présentaient une BPCO et 3 % de l’asthme. La moitié avaient été fumeurs et 9 % fumaient encore au moment de l’inclusion. 75 % des personnes âgées incluses étaient vaccinées contre la grippe et 40 % n’avaient jamais utilisé de compléments alimentaires. Respectivement, 6 % et 0,2 % des participants avaient un taux sérique de vitamine C et de vitamine E sub-optimal. Les caractéristiques de base étaient réparties de façon homogène dans les groupes étudiés.


Protocole d’étude

Dans cette étude randomisée, en double-aveugle, contrôlée versus placebo, 11 417 seniors ont été recrutés entre septembre 1998 et mars 1999, sur base du registre de la population dans quelques villes hollandaises. Au total, 652 personnes ont été randomisées. Un premier groupe (n = 163) a reçu une préparation polyvitaminée et des minéraux, un deuxième groupe (n = 164) a reçu une préparation à base de vitamine E à une dose de 200 mg/dl, un troisième groupe (n = 172) a reçu une combinaison de vitamines, de minéraux et de vitamine E et un quatrième groupe (n = 153) a reçu un placebo. Le médicament a été pris tous les jours sous forme de 2 tablettes, pendant le repas. Pendant une période de 15 mois, les participants devaient noter les symptômes aigus des voies respiratoires dans un livre de bord et les communiquer à une infirmière attachée à l’étude.

Mesure des résultats

Les critères de jugement primaires étaient l’incidence et la gravité des infections respiratoires aiguës. Celles-ci étaient définies comme une rhinite soudaine, des maux de gorge et toux pendant plus de 2 jours. Les critères de jugement secondaires étaient : les symptômes accompagnants (malaise, douleurs musculaires, fièvre, tremblements, sudation, expectorations, sifflement, respiration douloureuse, céphalées, sinus douloureux, otorrhée, larmoiement, otalgie, repos au lit, arrêt des activités, répercussion sur les activités quotidiennes et utilisation de médicaments), et des indicateurs de sévérité (durée totale, nombre de symptômes, fièvre, utilisation des médicaments et répercussion sur les activités journalières). En même temps, des tests biologiques ont été effectués dans 107 diagnostics cliniques (huit virus respiratoires ainsi que la pneumonie atypique ont été recherchés dans le sang et le frottis de gorge). L’analyse a été faite en intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">intention de traiter.

Résultats

La durée moyenne d’observation était de 441 jours dans chaque groupe et 92 % des participants ont pris part à l’étude pendant 3 mois d’hiver. Les sorties d’étude étaient de 16 % et 6 %, et le seuil prévu de 80 % de prise présumée des médicaments de l’étude a été respecté.

Au total, 1 024 épisodes d’infections respiratoires ont été enregistrés, parmi lesquels 763 épisodes (75 %) ont été confirmés par l’infirmière attachée à l’étude. Dans les analyses microbiologiques, pour 58 % des 107 cas observés, un agent pathogène a été décelé. Pour les participants ayant pris une préparation polyvitaminée et des minéraux, le rapport de risque était de 0,95 (IC à 95 %: 0,75-1,15 ; p = 0,58) et pour les participants qui avaient pris un complément de vitamine E, celui-ci était de 1,12 (IC à 95 %: 0,88-1,25 ; p = 0,21). La gravité des infections n’a pas été influencée par la prise de préparations polyvitaminées et de minéraux. Lorsque les résultats des deux groupes sous vitamine E sont réunis et comparés à ceux des deux groupes sans vitamine E, on observe une augmentation de la durée de la maladie, des symptômes, de la fièvre et des perturbations des activités quotidiennes. Les auteurs concluent que ni les préparations polyvitaminées et de minéraux, ni les préparations à fortes doses de vitamine E ne réduisent la fréquence et la gravité des infections respiratoires chez les personnes âgées non-institutionnalisées.

Conflits d’intérêt/financement

Cette étude a été financée par la « Nederlandse organisatie voor onderzoek in de gezondheidszorg (ZonMw)». La firme Roche a fourni les médicaments de l’étude. Il n’y a pas de conflit d’intérêt mentionné.

 

Discussion

La méthodologie de la recherche est-elle fiable ?

La recherche clinique en pratique ambulatoire comporte, en elle-même, pas mal de variables. Nous cherchons des pièges à loup ou des armes à feu peut-être dissimulés dans les hautes herbes.

Il y a quelques points forts dans cette étude. Un taux de sortie d’étude de 16 % sur une période moyenne de 441 jours peut être considéré comme particulièrement bas. De plus, 94 % des patients correspondaient au critère de compliance au traitement (prise de 80 % de l’ensemble des médicaments de l’étude). Des exigences plus élevées par rapport à la compliance thérapeutique seraient irréalistes, compte tenu du caractère ambulatoire de l’étude. Chaque période d’observation d’un patient comportait une période suffisamment longue pour l’observation, c’est-à-dire au moins trois mois d’hiver (novembre, décembre et janvier au Pays-Bas). À la fin de l’étude, les auteurs ont validé le caractère aveugle de celle-ci. Globalement, cette étude constitue un reflet de la vie courante. Son point faible est la confirmation d’une infection microbiologique dans 58 % des cas seulement. Le diagnostic reposait donc sur des paramètres objectifs et subjectifs. Il a été posé, dans les trois-quart des cas, téléphoniquement par une infirmière.

Apport nouveau de cette étude par rapport aux précédentes

La publicité nous dit que les complexes de vitamines et de minéraux doivent contribuer à la bonne santé des plus de 60 ans. Les résultats de cette recherche relativisent l’efficacité de ces préparations très populaires. Des compléments de vitamine E non combinés avec de multiples vitamine et des minéraux augmentent même la sévérité des symptômes lors d’une infection.

Dans quelle mesure la population étudiée (60 ans) et les résultats cliniques (incidence et sévérité des infections respiratoires) sont-ils comparables avec ceux d’autres études ?

Les auteurs se réfèrent à l’étude de Chandra 1 .Le nombre de patients y était plus réduit, mais la durée de l’étude et l’âge des participants étaient comparables. L’étude de Chandra a révélé un résultat positif : une seule année de prise d’une préparation identique avec des vitamines et des minéraux a fait augmenter l’immunocompétence, par rapport au placebo. Mais, dans l’étude de Chandra, on a mesuré principalement des critères de jugement intermédiaires (comme la séroconversion lors de la vaccination anti-grippe, le nombre de lymphocytes et la prise d’antibiotiques). Un grand nombre de patients avaient été inclus dans cette étude, avec, au départ, des concentrations sériques suboptimales de vitamines et de minéraux (variant de 0 à 22,9 % en fonction des micronutriments). Chavance et coll. 2 n’ont pu démontrer aucun avantage, chez des patients institutionnalisés, de la prise de vitamines et de minéraux durant 4 mois. La durée d’observation était ici significativement plus courte. Girodon et coll. 3 ont réalisé une étude avec des patients en ambulatoire (65 ans) en ambulatoite pendant un an. Ils ont montré un effet protecteur des minéraux sur les infections. Les minéraux utilisés augmentaient également la séroconversion dans le vaccin anti-grippe. Il s’agissait d’une combinaison de zinc et de sélénium avec ou sans adjonction de vitamines A, C et E. Ce mélange est fort différent de celui utilisé dans l’étude de Graat et s’avère plus important que le contenu d’une alimentation moyenne.

La méthodologie de l’étude de Chandra est celle qui est la plus proche de l’étude de Graat. Que nous apprend la comparaison entre les deux études ? Le mode d’alimentation des patients joue sans doute un rôle important par rapport aux déficiences. Pour ce motif, il n’est peut-être pas sensé d’utiliser des monopréparations de vitamine E. Dans aucune de ces deux études il n’a été fait mention d’effets indésirables. Nous pouvons donc proposer, avec prudence, qu’un complexe de vitamines et de minéraux ne semble pas faire de tort. Mais des complexes multivitaminés et de minéraux sont peut-être superflus pour la majorité des seniors vivant de manière autonome. 

La prescription ou la délivrance de vitamines et de minéraux à des seniors ne doit pas devenir une pratique courante. Quand cela s’avère cependant souhaitable, il y a un certain nombre d’aspects à prendre en considération. En premier lieu, on peut se demander dans quelle mesure et pour quelles raisons une carence en vitamines et en minéraux est supposée ? Quelle est la composition qualitative de la préparation ? De petites quantités de plusieurs produits (pré paration polyvitaminée et de minéraux) sont préférables à des grandes quantités d’un seul produit (monothérapie). Quelle est la composition quantitative de la préparation ? De trop fortes doses ne sont pas recommandées, principalement les vitamines liposolubles A, D et E 4 . Enfin, pour un patient, le coût de la préparation entièrement supporté par lui-même, sera pris en considération.


Recommandations pour la pratique

Chez les personnes âgées non institutionnalisées et sans déficience alimentaire, ni les compléments multivitaminés et de minéraux, ni la vitamine E n’ont d’efficacité pertinente dans la prévention d’infections respiratoires

La Rédaction



Références

  1. Chandra RK. Effect of vitamin and trace-element supplementation on immune responses and infection in elderly subjects. Lancet 1992; 40:1124-7.
  2. Chavance M, Herbeth B, Lemoine A, et al. Does vitamin supplementation prevent infections in healthy elderly subjects? A controlled trial. Internat J Vit Res 1993;63:11-6.
  3. Girodon F, Galan P, Monget AL, et al. Impact of trace elements and vitamin supplementation on immunity and infections in institutionalised elderly patients. Arch Intern Med 1999;159:748-54.
  4. Bogaert M, Maloteaux JM. Gecommentarieerd Geneesmiddelenrepertorium 2001. Brussel: BCFI, 2001.
 
Les suppléments vitaminés préviennent-ils les infections respiratoires chez les personnes âgées?

Auteurs

Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI :

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