Revue d'Evidence-Based Medicine



Pas de justification pour le cromoglycate en intranasal en cas de refroidissement chez les enfants



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 5 Page 83 - 84

Professions de santé


Analyse de
Butler C, Robling M, Prout H, et al.Management of suspected acute viral upper respiratory tract infection in children with intranasal sodium cromoglycate: a randomised controlled trial. Lancet 2002;359:2153-8.


Conclusion
Cette étude montre, chez des enfants atteints, selon leur médecin de famille, d’infection virale des voies respiratoires supérieures, l’absence d’avantage du cromoglycate sodique par rapport au sérum physiologique. De plus, cette étude confirme clairement l’évolution favorable et autolimitante de cette affection. Dans l’attente d’un traitement efficace, il reste recommandé, pour des enfants victimes d’un refroidissement, de prescrire aussi peu que possible (se méfier des effets indésirables potentiellement dangereux), d’informer les parents de l’évolution naturelle et des signes d’alarme et d’être patients.


 

Minerva « en bref » vous propose de brefs commentaires sur des publications sélectionnées par le comité de rédaction de Minerva. Des études intéressantes et pertinentes pour les médecins généralistes qui ne doivent pas ou ne peuvent pas être discutées dans un cadre plus large trouvent leur place dans cette rubrique. Chaque sélection est brièvement résumée et accompagnée de quelques commentaires faits par un référent. La rédaction de Minerva vous en souhaite une agréable lecture.  

Résumé

Cette étude est randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, menée en médecine générale. Elle étudie l’efficacité du cromoglycate sodique administré en intranasal sur la réduction de la durée d’un refroidissement chez les enfants. Sont inclus 290 enfants âgés de 1 à 12 ans (âge moyen de 5,2 ans) pour lesquels le médecin généraliste retient le diagnostic d’“infection virale des voies respiratoires supérieures”. La durée de l’infection ne pouvait pas dépasser une semaine avant l’examen. Cent cinquante trois enfants ont reçu du cromoglycate et 137 un spray nasal de sérum physiologique. Pendant les deux premiers jours de traitement, la médication devait être employée toutes les deux heures, sauf pendant le sommeil de l’enfant, et toutes les quatre heures pendant les trois jours suivants. Le suivi était assuré par la tenue d’un carnet de bord et via un contact téléphonique après 7 et 14 jours.

La mesure des résultats est faite au moyen du CARIFS (Canadian Acute Respiratory Illness and Flu Scale), un score validé pour évaluer la sévérité et le retentissement sur la vie quotidienne d’une infection aiguë des voies respiratoires chez l’enfant. La question est de voir si ce score diminue plus rapidement avec un traitement actif versus placebo. Ce n’est pas le cas : dans les deux groupes traités, la diminution des symptômes est aussi rapide. Le nombre d’effets indésirables ou de nouvelles consultations est à peu près semblable : quarante-trois enfants (17%) consultent à nouveau en raison de plaintes prolongées et 26 de ces enfants (11 % du groupe total) reçoivent un antibiotique. Seuls 3 enfants (1 %) se sont présentés, durant le suivi, dans un service d’urgence en raison de la suspicion d’une complication. Deux d’entre eux furent hospitalisés et tous guérirent sans problème.

Les auteurs concluent à l’absence d’utilité du cromoglycate sodique nasal comme traitement de ces infections chez les enfants.

 

Discussion

Quel traitement est efficace pour un refroidissement ?

Les enfants présentent très souvent des refroidissements. Des enfants de moins de 4 ans présentent 6 à 10 refroidissements par an et ces chiffres peuvent être doublés s’ils fréquentent une crèche ou une école maternelle. Plus de 90 % de ces refroidissements sont d’origine virale et guérissent spontanément. Ces enfants consultent cependant souvent le médecin généraliste qui prescrit (trop) souvent un antibiotique. D’autres conséquences défavorables de ces infections “banales” sont un absentéisme scolaire fréquent, une perturbation de la vie familiale, une otite moyenne comme complication (fréquente chez les petits enfants), une exacerbation d’un asthme infantile liée à l’infection virale.

La découverte d’un traitement efficace de ces refroidissements représenterait donc un intérêt. À ce jour, de nombreux produits ont été étudiés : des rinçages nasaux 1, des inhalations humides et chaudes 2, des antihistaminiques 3, des décongestionnants 4, du zinc 5, de la vitamine C 6, des antibiotiques 7. Aucun ne s’est avéré utile. Cette étude utilise le cromoglycate sodique, produit utilisé dans l’asthme et la rhinite allergique. Différents arguments laissaient supposer une activité de cette molécule dans les refroidissements : en expérimentation, dans certaines circonstances, le produit bloque l’expression d’une molécule favorisant l’adhésion intercellulaire et servant de récepteur aux rhinovirus 8 et prévient également l’essaimage de virus d’une cellule à l’autre 9 ; des enfants qui utilisent régulièrement le cromoglycate pour traiter un asthme semblent présenter des épisodes de refroidissement plus courts 10 ; quand le cromoglycate est utilisé pour une infection par rhinovirus expérimentale chez des adultes 11 ou lorsqu’il est débuté dans les 24 heures initiales du refroidissement 12, cette affection est réduite dans sa durée. Le chaînon manquant était la preuve de l’efficacité de la molécule dans la pratique quotidienne, ce qui est analysé dans la présente étude.

Étude pragmatique

Cette étude pragmatique est randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo et de bonne qualité méthodologique. Elle est dite pragmatique parce que les enfants sont inclus dans l’étude de manière similaire à l’instauration d’un traitement dans la pratique: le diagnostic est purement clinique et le traitement peut encore être initié quelques jours après le début des plaintes. En conséquence, de petits patients présentant une infection autre que virale sont aussi inclus, le traitement est également parfois initié après les premiers jours (durant lesquels le virus se réplique le plus et s’essaime) et avec une compliance non toujours optimale.Tout ceci explique probablement l’absence de mise en évidence d’une efficacité et illustre, du même coup, la différence entre “efficacy” (efficacité dans des circonstances de laboratoire idéalement contrôlées) et “effectiveness” (efficacité dans la pratique quotidienne). Cette étude confirme l’évolution spontanément favorable de ces infections chez les enfants: plus de 4 enfants sur 5 (83%) sont guéris après la première visite, et 9 sur 10 (89%) guérissent sans antibiotique.

Conflits d’intérêts/financement

Cette étude est sponsorisée par le UK Medical Research Council. Aucun conflit d’intérêt n’est mentionné.

 

Conclusion

Cette étude montre, chez des enfants atteints, selon leur médecin de famille, d’infection virale des voies respiratoires supérieures, l’absence d’avantage du cromoglycate sodique par rapport au sérum physiologique. De plus, cette étude confirme clairement l’évolution favorable et autolimitante de cette affection. Dans l’attente d’un traitement efficace, il reste recommandé, pour des enfants victimes d’un refroidissement, de prescrire aussi peu que possible (se méfier des effets indésirables potentiellement dangereux), d’informer les parents de l’évolution naturelle et des signes d’alarme et d’être patients.

 

Références

  1. Adam P, Stiffman M, Blake R. Clinical trial of hypertonic saline nasal spray in subjects with the common cold or rhinosinusitis. Arch Fam Med 1998;7:39-43.
  2. Singh M. Heated, humidified air for the common cold (Cochrane Review). In: The Cochrane Library. Issue 4, 2002. Oxford: Update Software.
  3. De Sutter A, Lemiengre M, Campbell H, McKinnon H. Antihistamines in common cold (Cochrane Review). In press.
  4. Taverner D, Bickford L, Draper M. Nasal decongestants for the common cold (Cochrane Review). The Cochrane Library, Issue 4, 2002. Oxford: Update Software.
  5. Marshall I. Zinc for the common cold (Cochrane Review). In: The Cochrane Library, Issue 4, 2002. Oxford: Update Software.
  6. Douglas R, Chalker EB, Treacy B. Vitamin C for preventing and treating the common cold (Cochrane Review). In: The Cochrane Library, Issue 4, 2002. Oxford: Update Software.
  7. Arroll B, Kenealy T. Antibiotics versus placebo in the common cold (Cochrane Review). In: The Cochrane Library, Issue 4, 2002. Oxford: Update Software.
  8. Hoshino M, Nakamura Y. The effect on inhaled sodium cromoglycate on cellular infiltration into the bronchial mucosa and the expression of adhesion molecules in asthmatics. Eur Respir J 1997;10:858-65.
  9. Penttinen K, Aarnio A, Hovi T. Disodium cromoglycate can inhibit virus-induced cytopathic effects in vitro. BMJ 1977;1:82.
  10. Konig P, Eigen H, Ellis MH. The effect of nedocromil sodium on viral upper respiratory tract infections in human volunteers. Resp Crit Care 1995;1879-86.
  11. Barrow GI, Higgins W, Al-Nakib W, et al. The effect of intranasal nedocromil sodium on viral upper respiratory tract infections in human volunteers. Clin Exp Allergy 1990;20:45-51.
  12. Aberg N, Aberg B, Alestig K. The effect of inhaled and intranasal sodium cromoglycate on symptoms of upper respiratory tract infections. Clin Exp Allergy 1996;26:1045-50.
Pas de justification pour le cromoglycate en intranasal en cas de refroidissement chez les enfants

Auteurs

De Sutter A.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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