Revue d'Evidence-Based Medicine
Hemoccult: efficace, mais loin d'être parfait dans le dépistage du cancer colique
Minerva 2002 Volume 1 Numéro 7 Page 7 - 9
Professions de santé
Résumé
Contexte
Des études randomisées et d’observation, précédemment publiées, ont démontré qu’un screening à l’aide d’un test hémoccult pouvait diminuer significativement la mortalité par cancer colique. Cette réduction de mortalité est probablement attribuable au dépistage précoce des tumeurs coliques malignes. Il est possible également que le screening réduise l’incidence du cancer colique. Dans l’étude « Minnesota Colon Cancer Control Study », on a pu démontrer, après un suivi de 13 années, une réduction, non significative, de l’incidence de 12%. Dans cette publication, les résultats sont établis après un suivi de 18 années.
Méthodologie employée
L’étude Minnesota est une étude contrôlée, randomisée (ECR). 46551 personnes ont été recrutées dans cette étude entre 1975 et 1978 et réparties entre un groupe qui a subi le dépistage sur une base annuelle (n = 15532), un groupe sur une base bisannuelle (n = 15550) et un groupe contrôle (n = 15363). À chaque fois six étalements de fèces eurent lieu. Le résultat était positif lorsqu’au moins un étalement était positif. Pour chaque résultat positif d’un hémoccult, l’on a procédé entre autre à une colonoscopie.
Population étudiée
L’âge de la population étudiée se situait entre 50 et 80 ans et 48 % des sujets étaient de sexe masculin.
Critères de jugement
Le nombre de nouveaux cas de cancer colique a été enregistré.
Résultats
Après 18 années de suivi, les données pour 91 % des participants étaient connues. 1 359 nouveaux cas de cancer colique furent constatés : 417 dans le groupe de dépistage annuel, 435 dans le groupe de dépistage bisannuel et 507 dans le groupe contrôle. Les ratios d’incidence cumulée de cancer colique dans les groupes dépistés comparés au groupe contrôle étaient de 0,80 (IC à 95 % de 0,70 à 0,90) dans le groupe dépisté annuellement, et de 0,83 (IC à 95% de 0,73 à 0,94) dans le groupe dépisté sur une base bisannuelle. Dans le groupe dépisté annuellement, la valeur prédictive positive variait de 0,87 % pour un seul étalement positif à 4,53 % pour six étalements positifs. Dans le groupe de dépistage bisannuel, la valeur prédictive positive variait de 1,12 % pour un étalement positif à 6,13 % pour six étalements positifs. Les auteurs sont arrivés à la conclusion que le dépistage annuel ou bisannuel à l’aide de l’hémoccult peut réduire l’incidence de cancer colique de façon significative.
Conflits d’intérêt et financement
Cette étude a été financée par le National Cancer Institute et par une collaboration entre les Centers for Disease Control and Prevention et l’Association of Schools of Public Health, USA.
Discussion
Cette publication des résultats à long terme de la «Minnesota Colon Cancer Control Study », permet de démontrer que la recherche de sang fécal occulte peut avoir un effet favorable sur l’incidence du cancer colique ; des études antérieures avaient déjà pu démontrer un effet favorable sur la mortalité. Après 18 années de suivi, il apparaît que l’incidence dans les groupes dépistés (qui se sont soumis à un dépistage du sang occulte sur une base soit annuelle soit bisannuelle) est de 20 % inférieure à celle du groupe témoin (incidence cumulée 32 contre 39/1000). Dans une synthèse méthodique publiée antérieurement (et par ailleurs actualisée dans la banque de données Cochrane), une méta-analyse de quatre études randomisées et de deux études non randomisées avait démontré que dans les groupes dépistés à l’aide de l’hémoccult, la mortalité était en moyenne abaissée de 16 % avec un déplacement net vers un proportion plus grande de tumeurs guérissables (type A dans la classification de Dukes) 1.
Pouvons-nous en conclure que le test hémoccult doit être appliqué de façon systématique à tous les patients âgés de plus de 40 ans ? C’est une conclusion trop hâtive.
Quelques considérations critiques peuvent être émises sur la méthodologie de l’étude de Mandel et collaborateurs. Les auteurs ne donnent pas d’information quant au mode de recrutement des personnes dépistées dans l’étude. Dans le cadre de la méta-analyse Cochrane, l’auteur a été interrogé à ce sujet. Les personnes dépistées sont décrites comme « volontaires ». Ceci laisse supposer que leur participation au dépistage annuel voir bisannuel (et aux éventuelles investigations complémentaires en cas de test positif ) aura posé moins de difficultés que celles rencontrées dans une population moyenne. Malgré cela, le pourcentage de participation à chaque dépistage ne dépassait pas 75 % et le pourcentage de personnes dépistées qui se sont soumises à tous les dépistages successifs ne dépasse pas 50% 2. Les auteurs en concluent qu’une amélioration des chiffres de réduction est vraisemblable dans un groupe présentant un meilleur taux de participation. Dans une pratique de médecine générale moyenne, il faut s’attendre à une participation probablement moindre et donc à des chiffres de réduction moindres.
Dans les chiffres d’incidence, on reprend également tous les décès pour lesquels une affection ou cancer gastro-intestinal ne peuvent être exclus avec certitude. L’article ne donne également pas de chiffre sur la mortalité totale. Dans la méta-analyse mentionnée précédemment, il n’y a pas davantage de certitude que la réduction de mortalité par cancer colique entraîne une réduction de la mortalité globale. Que la première ne soit pas nécessairement associée à la seconde, avait déjà été démontré antérieurement dans d’autres études de dépistage.
Pour prendre une décision quant à la pertinence d’une procédure de dépistage, nous pouvons toujours nous référer aux critères de Wilson et Jungner (1968) 3.
Le cancer colique est indiscutablement une affection importante. En terme de fréquence de survenue des cancers, il n’est dépassé dans les pays occidentaux que par le cancer du sein chez la femme et par le cancer du poumon et de la prostate chez l’homme. Dans notre pays l’incidence est plus élevée qu’en Australie, aux États-Unis et au Royaume Uni, ce qui peut avoir une influence sur la valeur prédictive d’un résultat positif (pour une risque de départ élevé, la valeur prédictive d’un test positif s’élève) 4. Dans le Minnesota Colon Cancer Control Study la valeur prédictive positive pour un cancer colique variait de 0,87 % (pour un seul étalement positif sur les six lors du dépistage annuel) à 6,13 % (pour six étalements positifs dans le groupe de dépistage bisannuel). La valeur prédictive pour polypes adénomateux dépassant 1 cm se situait plus haut (entre 6 et 10 %). On évalue que pour chaque gros adénome ou cancer colorectal détecté, 10 à 15 personnes ont été référées en coloscopie.
Le nombre nécessaire à dépister pour éviter un décès par cancer colique est relativement élevé : il faut soumettre 1 173 personnes à un dépistage annuel ou bisannuel par hémoccult durant 10 ans. En d’autres mots, ce type de dépistage appliqué à 10 000 personnes a permis d’éviter 8,5 décès 1.
Avant de pouvoir conclure à une analyse coût-bénéfice positive, une estimation plus précise des divers coûts doit encore être réalisée. Ceux-ci peuvent être énumérés comme suit :
- le grand nombre de personnes à dépister par cas mis en évidence ;
- le grand nombre de faux-positifs (ce qui veut dire de patients inquiétés à tort et soumis à des examens complémentaires) en raison des nombreuses autres causes de pertes de sang dans le tube digestif 5 ;
- la comparaison avec d’autres méthodes de dépistage, plus invasives mais possiblement plus efficaces ; TORFS conclut dans une analyse coûtbénéfices qu’un dépistage par colonoscopie unique tous les cinq ans est la méthode de dépistage la plus efficace à un prix « raisonnable » de 56 000 $ par année de survie gagnée 6 ;
- le coût financier et psychologique pour toutes les personnes chez qui un résultat faussement positif est trouvé ;
- l’impact psychologique sur les personnes qui ont été rassurées à tort : la sensibilité varie selon les études de 46 à 92%; ceci signifie que 8 à 54 % des cancers colorectaux ne sont pas dépistés par le test hémoccult ;
- le test hémoccult exige une préparation assez complexe (par ex, suivre une diète et s’abstenir du brossage des dents). Dans aucune étude, l’impact de ceci sur la participation ni le surcroît de travail pour le personnel soignant n’est calculé.
Recommandations pour la pratique
Le test hémoccult est une méthode de dépistage non invasive qui peut réduire la mortalité du cancer colique et également son incidence de 20 %. Cependant trop de facteurs relatifs au coût financier et psychologique n’ont pas été pris en compte, ce qui ne permet pas de recommander ce type de dépistage pour la population générale. Pour les personnes aux antécédents familiaux de cancer colique, une première colonoscopie (éventuellement unique) à 50 ans pourrait être une approche plus efficace quant au coût.
La rédaction
Références
- Towler B., Irwig L., Glasziou P., et al. A systematic review of the effects of screening for colorectal cancer using the fæcal occult blood test, Hemoccult. BMJ 1998;317:559-65.
- Rich M.M., Sandler R.S. Commentary on "Fæcal occult blood screening reduced the incidence of colorectal cancer". Evidence- Based Medicine 2001 May-June ; 6 : 89. Comment on: Mandel J.S., Church T.R., Bond J.H., et al. The effect of fecal occult-blood screening on the incidence of colorectal cancer. N Engl J Med 2000;343:1603-7.
- Wilson J.M.G., Jungner G. Principles and practice of screening for disease. Public Health Papers nr eneva : WHO, 1968.
- Wauters H., Van Casteren V., Buntinx F. Rectal bleeding and colorectal cancer in general practice : diagnostic study. BMJ 2000 321:998-9.
- Giard R.W.M., Coebergh J.W;W. Screening op kanker: soms baat het, vaak schaadt het. Huisarts Wet 1997;40:636-43.
- Torfs K. Economische evaluatie van kankerscreening : enkele algemene principes toegepast op colonkanker. In : Preventieve Gezondheidszorg. Diegem: Kluwer ed., 1997:139-50.
Auteurs
Derese A.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :
Glossaire
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