Analyse


Intérêt d’une abstinence ou d’une réduction importante de la consommation d’alcool chez des consommateurs modérés souffrant de fibrillation auriculaire ?


15 06 2020

Professions de santé

Médecin généraliste
Analyse de
Voskoboinik A, Kalman JM, De Silva A, et al. Alcohol abstinence in drinkers with atrial fibrillation. N Engl J Med 2020;382:20-8. DOI: 10.1056/NEJMoa1817591


Conclusion
Cette étude prospective, de bonne qualité méthodologique, montre que l’abstinence d’alcool réduit les récidives d’arythmie chez des patients consommateurs réguliers souffrants de fibrillation auriculaire, ainsi que le pourcentage de temps en fibrillation auriculaire. Elle comporte cependant certaines limitations (petit échantillon, durée de l’étude raccourcie, population hétérogène, déclaration de la consommation d’alcool par les patients).


Que disent les guides de pratique clinique ?
La SSMG et NICE rappellent que l’alcoolisme chronique peut s’accompagner de cardiomyopathie métabolique responsable d’une cardiomégalie dilatée et de fibrillation auriculaire (FA) chronique. La consommation d’alcool peut interférer avec le traitement par anticoagulant de la FA en augmentant les risques de saignement. Le bénéfice d’une diminution importante ou d’une abstinence totale de la consommation d’alcool chez des patients présentant une consommation d’alcool modérée atteints de FA devra être renforcé par d’autres études, en gardant en ligne de mire qu’un changement de mode de vie doit être acceptable pour les patients, afin que celui-ci puisse s’inscrire dans la durée.



 

La fibrillation auriculaire (FA) touche plus de 33 millions de personnes dans le monde. La région européenne a le plus haut niveau de consommation d'alcool au monde (1). La FA est une cause majeure d’AVC (2). Sa prévalence est d’environ 6% chez les personnes âgées de plus de 75 ans, et est plus élevée chez les hommes (3). Des études observationnelles ont montré une corrélation dose dépendante entre la prise d’alcool et l’incidence de la FA, la dilatation auriculaire gauche, la fibrose auriculaire ainsi que la réapparition d’arythmie après ablation (4). Une unité d’alcool par jour supplémentaire a été associée à une augmentation du risque de l’incidence de FA de 8% (5).

Le bénéfice d’une abstinence de la consommation d’alcool chez des patients atteints de FA paroxystique avec une consommation modérée d’alcool n’était pas connu. Un essai australien tente de répondre à cette question (6).

 

Cette étude interventionnelle prospective, en protocole ouvert, randomisée et multicentrique, réalisée dans 6 hôpitaux australiens, a été menée chez 140 patients (85% d’hommes, âge moyen de 69 ans +/- 9 ans). Sur les 697 patients sélectionnés, seuls 140 ont été inclus dans l’étude. 70 patients ont été assignés dans le groupe abstinence, et 70 dans le groupe contrôle. Les critères d’inclusions étaient les suivants : être âgé de 18 à 85 ans, avoir une consommation de 10 unités (équivalent à 120 g d’alcool) ou plus d’alcool par semaine et avoir une FA paroxystique (deux épisodes ou plus dans les 6 mois précédant l’étude). Les patients présentant une dépendance ou un abus d’alcool, une dysfonction ventriculaire gauche (fraction d’éjection < 35%), une pathologie non cardiaque importante ou un trouble psychiatrique ont été exclus.

Deux critères primaires ont été évalués : le temps écoulé avant récidive de la FA et la charge totale de la FA, à savoir le pourcentage de temps de FA, durant les 6 mois de suivi.

Les patients du groupe abstinence ont bénéficié d’un suivi mensuel, tant oral que par mail, dans le but de renforcer leur adhérence au projet. La complétion des questionnaires de suivi n’a pas été idéale pour un bon nombre de patients selon les auteurs.

Les patients du groupe abstinence ont réduit leur consommation d’alcool de 16,8 (±7,7) à 2,1 (±3,7) unités d’alcool par semaine (soit une réduction de 87,5%). 43 patients du groupe abstinence (61%) ont réussi à être abstinents. 19,5% des patients du groupe contrôle ont également réduit leur consommation d’alcool en passant de 16,4 (±6,9) à 13,2 (±6,5) unités par semaine. Les auteurs ont constaté que dans le groupe abstinence, une FA d’une durée de plus de 30 secondes survenait chez 53% des patients versus 73% dans le groupe contrôle. Le temps écoulé avant récidive était significativement plus long dans le groupe abstinence que dans le groupe contrôle (HR de 0,55 avec IC à 95% de 0,36 à 0,84 ; p = 0,005).

La charge totale de la FA après 6 mois de suivi a été significativement plus basse dans le groupe abstinence que dans le groupe contrôle (pourcentage de temps médian en FA de 0,5% avec un intervalle interquartile de 0,0 à 3,0 versus 1,2% avec un intervalle interquartile de 0,0 à 10,3 ; p = 0,01).

Cette RCT comporte cependant certaines limitations. Tout d’abord la petite taille de l’échantillonnage, celle-ci s’explique en partie par la réticence des patients sélectionnés à être abstinents ; 70% des patients éligibles n’ont pas voulu être enrôlés dans l’étude pour cette raison. La durée totale de l’étude constitue également une limitation, elle a été réduite à 6 mois à la place de 12 mois car les participants ne voulaient pas être abstinents une année entière. Il faut également noter l’hétérogénéité de la population, avec différents mécanismes de détection de l’arythmie, ainsi que 85% des participants de sexe masculin. La limite la plus importante selon les auteurs, malgré toutes les précautions prises et les moyens de contrôle d’une abstinence réelle mis en place, est la déclaration des quantités de consommation d’alcool par les patients eux-mêmes.

Cette étude n'était pas suffisamment puissante pour déterminer l'effet sur les maladies cardiovasculaires, l'insuffisance cardiaque, les accidents vasculaires cérébraux ou la mortalité. La question de l’influence d’une abstinence complète sur ces événements cardiovasculaires reste ouverte. Des études complémentaires évaluant la réduction de la consommation d’alcool ou sa consommation non quotidienne pourraient donc être intéressantes, ainsi qu’une étude avec un nombre plus important de femmes. La question de savoir si une abstinence totale chez des consommateurs réguliers est envisageable à long terme reste entière.

 

Conclusion

Cette étude prospective, de bonne qualité méthodologique, montre que l’abstinence d’alcool réduit les récidives d’arythmie chez des patients consommateurs réguliers souffrants de fibrillation auriculaire, ainsi que le pourcentage de temps en fibrillation auriculaire. Elle comporte cependant certaines limitations (petit échantillon, durée de l’étude raccourcie, population hétérogène, déclaration de la consommation d’alcool par les patients).

 

Pour la pratique

La SSMG et NICE rappellent que l’alcoolisme chronique peut s’accompagner de cardiomyopathie métabolique responsable d’une cardiomégalie dilatée et de fibrillation auriculaire (FA) chronique (7). La consommation d’alcool peut interférer avec le traitement par anticoagulant de la FA en augmentant les risques de saignement (8). Le bénéfice d’une diminution importante ou d’une abstinence totale de la consommation d’alcool chez des patients présentant une consommation d’alcool modérée atteints de FA devra être renforcé par d’autres études, en gardant en ligne de mire qu’un changement de mode de vie doit être acceptable pour les patients, afin que celui-ci puisse s’inscrire dans la durée.

 

 

Références 

  1. WHO. Alcohol Fact sheet, 2017. Disponible sur: http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0007/343744/2017-Alcohol-Fact-Sheet-FINAL.pdf?ua=1
  2. Chugh SS, Havmoeller R, Narayanan K, et al. Worldwide epidemiology of atrial fibrillation: a global burden of disease 2010 study. Circulation 2014;129:837-47. DOI: 10.1161/CIRCULATIONAHA.113.005119
  3. Nationaal Huisartsen Genootschap.  NHG-standaard Atriumfibrilleren (M79). Derde herziening 2017.
  4. Voskoboinik A, Prabhu S, Ling LH, et al. Alcohol and atrial fibrillation: a sobering review. J Am Coll Cardiol 2016;68:2567-76. DOI: 10.1016/j.jacc.2016.08.074
  5. Larsson SC, Drca N, Wolk A. Alcohol consumption and risk of atrial fibrillation: a prospective study and dose-response metaanalysis. J Am Coll Cardiol 2014;64:281-9. DOI: 10.1016/j.jacc.2014.03.048
  6. Voskoboinik A, Kalman JM, De Silva A, et al. Alcohol abstinence in drinkers with atrial fibrillation. N Engl J Med 2020;382:20-8. DOI: 10.1056/NEJMoa1817591
  7. Groupe de travail de la SSMG. La fibrillation auriculaire. SSMG 2002, disponible sur : https://www.ssmg.be/wp-content/images/ssmg/files/Recommandations_de_bonne_pratique/rbp_fibrillation.pdf
  8. National Institute for Health and Care Excellence. Atrial fibrillation: management 2014. NICE Clinical guideline [CG180]. Disponible sur: https://www.nice.org.uk/guidance/cg180/chapter/1-Recommendations#interventions-to-prevent-stroke-2

Auteurs

Abid Y.
médecin généraliste, CAMG UCLouvain
COI :

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