Analyse


Ibuprofène ou paracétamol pour l’antipyréxie et l’antalgie des enfants de moins de 2 ans ?


15 11 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Tan E, Braithwaite I, McKinlay CJD, Dalziel SR. Comparison of acetaminophen (paracetamol) with ibuprofen for treatment of fever or pain in children younger than 2 years: a systematic review and meta-analysis. JAMA Netw Open 2020;3:e2022398. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2020.22398


Conclusion
Cette méta-analyse de bonne qualité méthodologique mais basée sur des études de qualité méthodologique moyenne à médiocre montre une efficacité supérieure de l'ibuprofène pour le traitement de la fièvre chez les enfants de moins de 2 ans. Cependant, le faible nombre d'événements indésirables rapportés ne permet pas d'affirmer quelle molécule est plus sûre à utiliser. Par conséquent, de nouvelles concernant le profil de sécurité de ces deux molécules sont nécessaires pour se positionner et baser sa décision sur des preuves scientifiques solides. En ce qui concerne le profil analgésique, aucune différence statistiquement significative n’est mise en évidence entre les deux molécules.



 

La fièvre est une des causes de consultation les plus fréquentes en pédiatrie et en médecine générale (1). Il s’agit d’un mécanisme de défense naturelle et nécessaire, certaines études réalisées chez l’adulte ont suggéré que l’utilisation d’antipyrétique pourrait être associée à une période symptomatique plus longue et un taux d’anticorps neutralisant plus faible en comparaison à des sujets ayant reçu un traitement placebo (2). Dans la plupart des cas, la cause est une infection virale dont l’évolution spontanée se fait le plus souvent vers la guérison totale. Cependant, il est nécessaire d’être particulièrement vigilant chez des enfants âgés de moins de 3 ans, plus encore chez des nouveau-nés âgés entre 1 et 28 jours, considérés comme fonctionnellement immunodéprimés, chez qui il est nécessaire d’exclure en premier lieu la présence d’une infection bactérienne sévère (GRADE A). En 2012, nous avons publié dans Minerva (3) une analyse d’une synthèse méthodique (4). L’auteur unique n’avait isolé que peu d’études avec de faibles populations comparant l’usage d’une monothérapie par paracétamol à une bithérapie (paracétamol associé de manière simultanée ou en alternance à de l’ibuprofène) dans la gestion de la fièvre chez l’enfant de 6 mois à 14 ans. Une méta-analyse n’avait pas été possible. Les résultats n’apportaient pas de preuves suffisantes d’une plus grande efficacité de l’association (simultanée ou alternative) versus monothérapie. Les données étaient insuffisantes en ce qui concerne la sécurité de cette association. Par conséquent, le paracétamol est resté la molécule de choix en cas de fièvre chez l’enfant au vu de son profil de sécurité supérieur.

Malgré leur usage fréquent, force est de constater que de nombreuses interrogations persistent concernant l’efficacité comparée de ces molécules et la sécurité de l’une par rapport à l’autre.

 

Une méta-analyse récente (5) a été réalisée dans le but de comparer l’utilisation d’une monothérapie par paracétamol à l’ibuprofène dans la gestion de la fièvre et/ou de la douleur ainsi que sur les éventuels effets indésirables observés lors de l’administration de l’une ou l’autre molécule chez les enfants âgés de moins de 2 ans. Pour ce faire, les auteurs ont consulté différentes bases de données : MEDLINE, Embase, CINAHL, the Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL) databases, Trial registers ClinicalTrials.gov et Australian New Zealand Clinical Trial Registry. Les critères de sélections des études étaient : de l’année de création de ces bases de données jusqu'en mars 2019, elles pouvaient se dérouler dans divers milieux de soins. Ont été exclues les séries de cas et les études comprenant une co-médication.

Le critère de jugement primaire était la présence de fièvre (en tant que variable continue) ou de douleur 4 h après le début du traitement. Les critères de jugement secondaires étaient la survenue d’effets indésirables à court terme (< 28 jours) ou à long terme (> 28 jours) (saignement gastro-intestinal, hépatotoxicité, insuffisance rénale, infection sévère des tissus mous, empyème et asthme et/ou wheezing), la présence de fièvre ou de douleur à long terme (entre 4 et 24 h après le début du traitement), la présence de fièvre considérée comme variable catégorielle dans les 4 h.

Les auteurs ont planifié des analyses de sous-groupes pour les critères de jugement principaux par dose : dosage faible versus dosage fort, à savoir ≤ 10 mg/kg et > 10 mg/kg pour le paracétamol et ≤ 5 mg/kg et > 5 mg/kg pour l’ibuprofène ; par âge (< 6 mois et ≥ 6 mois) ; pour l'indication et pour l'évaluation des critères de jugement (effet analgésique évalué par le parent ou le soignant vs professionnel de la santé). Ils ont également planifié une analyse de sensibilité, excluant les études à haut risque de biais.

Les auteurs ont inclus dans cette méta-analyse 19 études dont 11 RCTs et 8 non-RCTs comprenant au total 241138 patients (dont > 2/3 âgés de moins de 2 ans), dans divers milieux de soins et dans 7 pays différents.

 

 

Les résultats montrent :

 

pour les critères de jugement primaires :

effets sur la fièvre et la douleur ≤ 4 h

4 RCTs ont conclu à une réduction de la fièvre en faveur de l’ibuprofène (DMS de 0,38° avec IC à 95% de 0,08 à 0,67° ; p=0.01 ; I² = 49% ; niveau de preuve modéré) ;

absence de preuves pour les non-RCTs

l’analyse en sous-groupe ne montre pas de preuve quant à une réduction plus ou moins importante de la fièvre avec des doses plus ou moins élevées des deux médicaments

aucune étude (RCTs & non-RCTs) n’a montré de résultats statistiquement significatifs concernant une réduction de la douleur

pour les critères de jugement secondaires :

effet sur la fièvre et la douleur à long terme, en tant que variables continues

dans les RCTs : on observe une réduction de la température dans les 4 à 24 h suivant le traitement en faveur de l’ibuprofène (DMS de 0,24° avec IC à 95% de 0,03 à 0,45° ; p = 0,03 ; niveau de preuve modéré) et de la douleur (DMS de 0,2 avec IC à 95% de 0,03 à 0,37 ; p = 0,02 ; niveau de preuve modéré) ; il n’y a pas de différence significative quant au profil antipyrétique des deux molécules à 1 à 3 jours (p = 0,67) et à plus de 3 jours (p=0,58)

dans les non-RCTs : pas de résultats statistiquement significatifs

effet sur la fièvre et la douleur à long terme, en tant que variables catégorielles

les RCTs montrent, en faveur de l’ibuprofène, une probabilité plus importante d’être afébrile dans les 4 h (53,6% vs 41,1% ; p = 0,05) ; de même que de 4 à 24 h (68,3% vs 49,8% ; p<0,001) ; une étude montre une absence de douleur 4 à 24 h après la prise d’ibuprofène (69,2% vs 44,0% ; p= 0,01)

dans les non-RCTs : absence de données

pour les critères de jugement de sécurité

effets secondaires à court terme ≤ 28 jours

 

très peu d’effets indésirables ont été rapportées, que ce soit dans les RCTs ou les non- RCTs ; la plupart des essais n’en ont rapporté aucun ; 7 études (n = 27932) rapportent avec un niveau de preuve modéré un risque de présenter un effet indésirable : OR de 1,08 avec IC à 95% de 0,87 à 1,33 ; p = 0,50 ; I² = 0%

RCTs + non-RCTs : niveau de preuve insuffisant concernant l’apparition d’effets secondaires sévères et spécifiques d’un organe ou tissu

effets secondaires à long terme ≥ 28 jrs

RCTs : sur 354 patients analysés, aucun effet indésirable sévère n’a été rapporté

non-RCTs : une seule étude montrait un risque plus important pour le paracétamol de développer un asthme et/ou wheezing (p = 0,02).

 

 

Deux auteurs ont sélectionné de manière indépendante les articles inclus. Les divergences lors du processus de vérification ont été résolues par discussion ou par l’intervention d’un tiers. Ces deux auteurs ont évalué le risque de biais en utilisant le Cochrane Risk of Bias Tool pour les essais randomisés et le ROBINS-I Tool pour les essais non randomisés. A une exception près, les essais non randomisés non contrôlés étaient tous à risque modéré (3/8) ou élevé de biais (4/8). Concernant les essais randomisés contrôlés, 2/12 étaient à haut risque de biais et une analyse de sensibilité excluant ces deux études n’a pas montré de modification par rapport aux résultats finaux.

Les études incluses posent question quand on regarde plus en détail les suppléments : certaines études ne semblent pas orientées douleur ou fièvre, même si le paracétamol et/ou l’ibuprofène sont utilisés. L’étude qui assure un suivi sur 10 ans a pour sujet l’asthme.

Seuls 796 patients (N = 4) ont pu être inclus dans les calculs relatifs à l’analgésie. Aucune de ces 4 études n’estime l’effet clinique à 4 h.

Il existe un grand flou concernant la mesure des critères de sécurité. Un très grand nombre de résultats concernant les effets indésirables ne sont pas répertoriés de manière systématique. Par conséquent, il est difficile d’en dégager des conclusions globales et d’affirmer avec une part de certitude suffisante que l’incidence des effets indésirables est comparable pour ces deux molécules. L’incidence très faible d’effets indésirables sévères dans les études ainsi que les échantillons faibles semblent rassurants mais ne permettent pas de conclure avec certitude, sur base des résultats décrits ici, quant aux profils de sécurité de ces deux médicaments. Et ceci d’autant plus que la plupart des études incluses se limitent à 28 jours d’observation. Les résultats décrits à long terme proviennent d’études d’observation, avec les biais méthodologiques inhérents à ce type d’étude.

Les modalités de suivi ne sont pas décrites correctement. L’étude est financée par des fonds universitaires indépendants.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

La Haute Autorité de Santé (HAS) en France (6) et le guide de la Duodecim adapté au contexte belge par Ebpracticenet (7) rappellent que pour la fièvre, en première intention, il est recommandé de commencer par des mesures physiques simples telles que découvrir l’enfant et ne pas augmenter la température de la pièce. En cas d’inconfort clinique, ces mesures peuvent être associées à un traitement médicamenteux. Ils recommandent le paracétamol en première intention à la dose de 15 mg/kg à administrer une fois par 6 heures. La réponse ou la non-réponse au traitement antipyrétique ne donne aucune information sur l'existence d’une infection bactérienne sévère et ne devrait pas être utilisée dans le processus de décision clinique (8). Il est également important de rappeler que la fièvre, si elle est bien tolérée sur le plan clinique, n’est pas une indication à administrer un antipyrétique (9).

Pour la douleur, l’ANAES (10) rappelait déjà en 2001 que si l’on veut traiter efficacement la douleur, il faut l’évaluer, la traiter et ensuite évaluer l’effet du traitement. UpToDate (11) rappelle que les principaux objectifs de la gestion de la douleur pédiatrique sont de réduire, contrôler et prévenir la douleur. La prise en charge varie en fonction du type, de l’étiologie, de la gravité et de la durée de la douleur. Des évaluations régulières de la douleur doivent être effectuées tout au long du traitement et des auto-évaluations doivent être obtenues dans la mesure du possible. Les douleurs légères à modérées peuvent généralement être traitées de manière adéquate avec du paracétamol et des anti-inflammatoires non stéroïdiens.

 

Conclusion

Cette méta-analyse de bonne qualité méthodologique mais basée sur des études de qualité méthodologique moyenne à médiocre montre une efficacité supérieure de l'ibuprofène pour le traitement de la fièvre chez les enfants de moins de 2 ans. Cependant, le faible nombre d'événements indésirables rapportés ne permet pas d'affirmer quelle molécule est plus sûre à utiliser. Par conséquent, de nouvelles concernant le profil de sécurité de ces deux molécules sont nécessaires pour se positionner et baser sa décision sur des preuves scientifiques solides. En ce qui concerne le profil analgésique, aucune différence statistiquement significative n’est mise en évidence entre les deux molécules.

 

 

Références  

  1. Les diagnostics les plus fréquents. Observatoire de la médecine générale. SFMG. URL: http://omg.sfmg.org/content/donnees/top25.php
  2. Graham NM, Burrell CJ, Douglas RM, et al. Adverse effects of aspirin, acetaminophen, and ibuprofen on immune function, viral shedding, and clinical status in rhinovirus-infected volunteers. J Infect Dis 1990;162:1277-82. DOI: 10.1093/infdis/162.6.1277
  3. Vanwelde A. Fièvre chez l’enfant : paracétamol et/ou ibuprofène ? MinervaF 2012;11(4):49-50.
  4. Purssell E. Systematic review of studies comparing combined treatment with paracetamol and ibuprofen, with either drug alone. Arch Dis Child 2011;96:1175-9. DOI: 10.1136/archdischild-2011-300424
  5. Tan E, Braithwaite I, McKinlay CJD, Dalziel SR. Comparison of acetaminophen (paracetamol) with ibuprofen for treatment of fever or pain in children younger than 2 years: a systematic review and meta-analysis. JAMA Netw Open 2020;3:e2022398. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2020.22398
  6. Haute Autorité de Santé. Prise en charge de la fièvre chez l'enfant. HAS 2016.
  7. Fièvre chez l’enfant. Ebpracticenet 1/07/2019.
  8. American College of Emergency Physicians Clinical Policies Committee; American College of Emergency Physicians Clinical Policies Subcommittee on Pediatric Fever. Clinical policy for children younger than three years presenting to the emergency department with fever. Ann Emerg Med. 2003;42:530-45. DOI: 10.1067/s0196-0644(03)00628-0
  9. Section on Clinical Pharmacology and Therapeutics; Committee on Drugs, Sullivan JE, Farrar HC. Fever and antipyretic use in children. Pediatrics 2011;127:580-7. DOI: 10.1542/peds.2010-3852
  10. ANAES (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé). Evaluation et stratégies de prise en charge de la douleur aiguë en ambulatoire chez l’enfant d’un mois à 15 ans. Arch Pediatr 2001;8:420-32.
  11. Evaluation and management of pain in children. UpToDate 2021. Last updated: 6/02/2020.

 


Auteurs

Kamdem MM.
assistante en médecine générale, UCLouvain
COI :

Saubry MI.
médecin généraliste, UCLouvain
COI :

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :

Glossaire

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