Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité de la vaccination anti-grippale chez les enfants



Minerva 2005 Volume 4 Numéro 9 Page 142 - 144

Professions de santé


Analyse de
Jefferson T, Smith S, Demicheli V et al. Assessment of the efficacy and effectiveness of influenza vaccines in healthy children: systematic review. Lancet 2005;365:773-80.


Question clinique
Quelle est l'efficacité du vaccin contre l'influenza, qu'il soit vivant atténué administré par voie nasale ou mort et inactivé administré par voie intramusculaire, chez des enfants sains âgés de moins de 16 ans?


Conclusion
Cette méta-analyse montre que la vaccination contre l'influenza est efficace chez les enfants âgés de plus de deux ans. Pour les enfants de moins de deux ans, une efficacité de la vaccination contre l'influenza n'a pas été montrée. Les données concernant des critères pertinents tels que la mortalité, les complications sévères et la transmission de l'influenza font défaut. Cette insuffisance d'arguments ne permet pas de recommander une vaccination générale des enfants en bonne santé.


 

Résumé

Contexte

Une vaccination systématique des enfants de 6 à 23 mois a été initiée aux Etats-Unis en 2004. Une extension de cette mesure aux enfants d'âge scolaire est envisagée. Le but est de réduire ainsi le nombre de patients atteints d'influenza, le nombre de contaminations, la mortalité des personnes âgées ainsi que les coûts médicaux et économiques. Une synthèse Cochrane évaluant l'efficacité de la vaccination contre l'influenza chez des patients adultes en bonne santé a montré que l'efficacité semble plus grande que l'efficacité pratique.

Méthode

Synthèse méthodique et méta-analyse.

Sources consultées

Les auteurs ont consulté la Cochrane Library, Medline, Embase, Biological Abstracts et le Science Citation Index jusque juin 2004. Si nécessaire, un contact a été établi avec les producteurs de vaccins et avec les auteurs d'articles pertinents.

 

Articles sélectionnés

Ont été recherchées: les études cliniques randomisées (RCTs), les études de cohorte et cas-témoin évaluant, auprès d'enfants âgés de 16 ans au plus, l'efficacité d'un vaccin contre la grippe (indépendamment des dosages, préparations et schémas d'administration) versus placebo ou absence d'intervention. Quatorze RCTs (et une RCT concernant une vaccination au cours d'une épidémie), huit études de cohorte et une étude cas-témoin sont sélectionnées.

Population étudiée

Enfants âgés de seize ans au plus.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est l'efficacité (nombre de cas d'influenza confirmés par analyse de laboratoire, par isolation de virus et/ou par sérologie), l'efficacité clinique (nombre de constatations cliniques de syndromes grippaux jusqu'à un an après la vaccination), le nombre d'hospitalisations et de décès liés à la grippe et d'autres indicateurs de maladie caractérisant la grippe. Les études homogènes sont reprises dans une méta-analyse.

Résultats

Les vaccins vivants atténués ont une efficacité de 79% (IC à 95% de 48 à 92) et une efficacité clinique de 38% (IC à 95% de 33 à 43) comparés au placebo ou à l'absence d'immunisation chez des enfants âgés de plus de deux ans. Ces vaccins n'ont pas été étudiés auprès d'enfants de moins de deux ans. L'efficacité et l'efficacité clinique de vaccins morts inactivés est inférieure à celle des vaccins vivants atténués: respectivement 65% (IC à 95% de 47 à 76) et 28% (IC à 95% de 22 à 33). Chez les enfants de moins de deux ans, l'efficacité clinique n'est pas significative. Les résultats des études de cohorte sont superposables à ceux des RCTs. Le vaccin contre l'influenza montre une amélioration limitée à un moindre absentéisme scolaire prolongé (RR 0,14; IC à 95% de 0,07 à 0,27). Aucune amélioration n'est observée dans le nombre de cas de grippe secondaires, d'infections respiratoires basses, d'otites moyennes aiguës et d'hospitalisations.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les vaccins contre l'influenza sont efficaces chez les enfants de plus de deux ans (surtout les vaccins vivants atténués administrés en deux doses). L'efficacité clinique est cependant inférieure à l'efficacité observée dans les études. De nouvelles études à grande échelle, évaluant également la mortalité, les complications sévères et la transmission de l'influenza, sont nécessaires pour pouvoir recommander une vaccination générale des enfants.

Financement

Regione Piemonte (Italie) et l'Université d'Oxford (Royaume Uni).

Conflit d'intérêt

Le premier auteur a reçu des fonds de Sanofi Synthelabo et possédait auparavant des actions chez GlaxoSmithKline. Les autres auteurs ne mentionnent pas de conflit d'intérêt.

 

 

Discussion

Absence de critères d'évaluation pertinents

Il s'agit ici d'une synthèse méthodique, élaborée selon la méthodologie Cochrane, signifiant donc une revue correcte et fiable des études existantes concernant ce sujet. Malheureusement, cette étude souffre aussi du manque d'études ayant des critères d'évaluation pertinents tels que mortalité, complications et transmission de l'influenza. De plus, il n'existe que peu d'études qui comparent différents modes d'administration et différents vaccins. Les chiffres manquants concernant la mortalité et l'hospitalisation sont habituellement extraits de façon indirecte d'études épidémiologiques. Une telle étude a montré que, lors d'épidémies de grippe, le nombre d'hospitalisations, particulièrement chez les enfants plus jeunes, augmente de quatre à cinq fois en comparaison avec une autre période de l'année 1. Un décès lié à la grippe est heureusement rare dans ce groupe d'âge; le nombre de participants est donc trop faible dans la plupart des études pour pouvoir se prononcer à ce sujet. Ces études n'évaluent également pas les complications à court et long termes, telles que la survenue du syndrome de Guillain-Barré ou les réactions allergiques.

Il y a une grande hétérogénéité dans les études évaluées, qui est attribuable, par exemple, à une différence dans la durée du suivi, dans les types de vaccins, dans la définition et la confirmation du tableau clinique de l'influenza, dans les souches virales circulantes et dans la concordance entre les souches virales du vaccin et l'incidence de la grippe durant les épidémies. En dépit de cette hétérogénéité, les auteurs ont pris le risque de sommer les résultats de certaines études, ce qui compromet la validité des résultats. En éliminant six études russes de l'analyse (analyse de sensibilité), l'efficacité est renforcée, mais parfois non significativement du fait d'un intervalle de confiance plus large. Les auteurs mentionnent eux-mêmes ne pas avoir de bonnes raisons pour mettre en doute ces études et la performance des vaccins russes utilisés.

Protection individuelle

Une vaccination comporte toujours deux aspects: la protection individuelle et la protection du groupe grâce à la réduction de la transmission. Cette synthèse n'aborde que la protection individuelle. Comme chez les adultes, l'efficacité est plus importante sur les cas d'influenza certifiés que sur les syndromes grippaux et les vaccins vivants sont plus performants 2. Le vaccin vivant évalué est disponible aux Etats-Unis (et non en Belgique); il n'est autorisé qu'à partir de l'âge de cinq ans. Les vaccins morts inactivés ont surtout une efficacité sur la gravité des symptômes et sur la survenue de complications. Il faut remarquer que cette synthèse ne montre pas d'efficacité sur la survenue d'otite moyenne aiguë ni de pneumonie. Chez les enfants de moins de deux ans également, les études font défaut pour pouvoir démontrer quelqu'efficacité. Malgré ces limites, les enfants sont vaccinés dès l'âge de six mois aux Etats-Unis.

Protection de groupe?

De par leur faible immunité de base contre l'influenza, les enfants sont fort susceptibles de contracter cette infection (le pourcentage d'enfants infectés est de 25% pour 10% des adultes). Leur maladie durera plus longtemps et ils produiront plus de virus que les adultes 3. Les petits enfants sont les premiers à contracter la grippe lors d'une épidémie. D’où l'intérêt de maîtriser les épidémies par le biais de la vaccination des enfants 3. Une étude américaine calcule, suivant un modèle, qu'une vaccination annuelle de 20% des enfants âgés de six à dix-huit mois entraînerait une réduction de 46% du nombre total des cas de grippe aux E.U. 3. Au Japon, tous les enfants en âge scolaire ont été vaccinés contre l'influenza de 1962 à 1994 (avec un vaccin inactivé), mais cette pratique a été ensuite interrompue. L'opinion publique s'est mobilisée et l'utilité de cette vaccination a été mise en doute 4. Des études épidémiologiques ultérieures ont cependant montré une diminution remarquable de la mortalité par pneumonie et par influenza durant cette période et une nouvelle recrudescence au Japon depuis 1994 5.

En théorie, le vaccin vivant atténué délivré par voie nasale (non encore disponible en Belgique), procurerait une meilleure immunité au niveau du nez et des voies respiratoires, et protègerait mieux contre la transmission, que les vaccins inactivés disponibles actuellement 6. Ces vaccins sont cependant insuffisamment étudiés chez les enfants.

Le «Centers for Disease Control» et le «Prevention's Advisory Committee on Immunization Practices» des E.U. conseillent, depuis 2004, de vacciner également les enfants sains âgés de six à vingt-trois mois, massivement, avec un vaccin inactivé 7. Certaines régions canadiennes leur ont également emboîté le pas. Les directives à ce sujet n'ont pas encore été actualisées en Europe et la recommandation se limite à une vaccination des enfants présentant une affection chronique telle que l'asthme ou le diabète 8-10.

 

Conclusion

Cette méta-analyse montre que la vaccination contre l'influenza est efficace chez les enfants âgés de plus de deux ans. Pour les enfants de moins de deux ans, une efficacité de la vaccination contre l'influenza n'a pas été montrée. Les données concernant des critères pertinents tels que la mortalité, les complications sévères et la transmission de l'influenza font défaut. Cette insuffisance d'arguments ne permet pas de recommander une vaccination générale des enfants en bonne santé.

 

Références

  1. Neuzil KM, Mellen BG, Wright PF et al. The effect of influenza on hospitalizations, outpatient visits and courses of antibiotic in children. N Engl J Med 2000;342:225-31.
  2. Demicheli V, Rivetti D, Deeks JJ, Jefferson TO. Vaccines for preventing influenza in healthy adults (Cochrane Review). Cochrane DatabaseSyst Reviews 2004, Issue 3.
  3. Weycker D, Edelsberg J, Halloran ME et al. Population-wide benefits of routine vaccination of children against influenza. Vaccine 2005;23:1284-93.
  4. Hirota Y, Kaji M. Scepticism about influenza vaccine efficacy in Japan. Lancet 1994;344:408-9.
  5. Reichert TA, Sugaya N, Fedson DS et al. The Japanese experience with vaccinating schoolchildren against influenza. N Engl J Med 2001;344:889-96.
  6. Michiels B, Coenen S, Avonts D et al. Who benefits from an influenza vaccination of GPs? Vaccine 2001;20:1-2.
  7. Harper SA, Fukuda K, Uyeki TM et al. Prevention and Control of influenza: recommendations of the Advisory Committee on Immunization Practices (ACIP). MMWR Recomm Rep 2004; 53(RR-6):1-40.
  8. Essen GA, Sorgedrager YCG, Salemink GW et al. NHG-Standaard. Influenza en Influenzavaccinatie. Huisarts Wet 1993;36:342-6.
  9. Govaerts F. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Preventie van influenza. Huisarts Nu 1999;28:108-16.
  10. National Health Service. Influenza. PRODIGY Guidance 2004.
 
Efficacité de la vaccination anti-grippale chez les enfants

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
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