Revue d'Evidence-Based Medicine



Editorial: Recherche déprimante



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 6 Page 81 - 81

Professions de santé


 

En mars 2007 est paru le rapport du jury de la réunion de consensus organisée par l’INAMI et ayant pour thème « L’usage efficient des antidépresseurs dans le traitement de la dépression » 1. Ce rapport reprend intégralement les commentaires du groupe de recherche dans la littérature et du comité de lecture de celle-ci, groupe comprenant quelques rédacteurs de Minerva. Le but de la recherche dans la littérature était de rechercher les preuves pour la prise en charge de la dépression, affection fréquente et invalidante, qui peut avoir des suites sévères (suicide) : les résultats de cette recherche sont déconcertants et décevants. Très peu d’études évaluent la prise en charge de la dépression mineure, qui est la plus fréquente. La plupart des études sont, en outre, sponsorisées par les firmes concernées, ce qui augmente le risque de biais 2. Quoique les guides de pratique recommandent, lors d’un premier épisode de dépression, de traiter durant six mois, les études se limitent à un suivi de huit à dix semaines. Elles incluent généralement très peu de participants et environ la moitié de ceux-ci arrêtent leur traitement dans les trois mois. Les méta-analyses sont aux prises avec une importante hétérogénéité, ce qui complique la formulation de conclusions 3. Certains auteurs doutent même de l’efficacité des antidépresseurs. Les différences enregistrées sur l’échelle de la dépression d’Hamilton sont souvent minimes et non toujours pertinentes 4. Enfin, une lacune énorme persiste concernant les effets indésirables. Ils ne sont parfois même pas mentionnés. Il est possible que des effets indésirables pertinents et parfois sévères ne se présentent pas dans des RCTs de courte durée : le suicide est un exemple poignant 5.

La conclusion des chercheurs et du comité de lecture est que les études cliniques concernant les antidépresseurs dans la dépression ne montrent pas une efficacité clinique souhaitée et que les effets indésirables sont insuffisamment explorés. Cette constatation est déconcertante, d’autant plus que dans d’autres domaines, par exemple celui des affections cardio-vasculaires, nos connaissances sont meilleures, avec des études sur de plus longue durée, par exemple, pour les antihypertenseurs et les hypolipidémiants.

Paradoxalement, il existe de nombreux guides de pratique concernant la dépression 6-9, qui émettent des avis sur le bon choix, le dosage, la durée du traitement, le choix préférentiel entre antidépresseurs et alternatives non médicamenteuses. Ces choix sont cependant insuffisamment étayés. Nous plaidons donc pour une révision approfondie de ces guides de pratique4.

Est-ce possible ? Dans le Nederlands Tijdschrift voor Geneeskunde, l’épidémiologue J. Vandenbroucke donne une explication simple 10. Pour enregistrer un médicament, la Commission des Médicaments demande des preuves d’efficacité du médicament. Les firmes doivent donc effectuer une ou des études, généralement sur un court terme, montrant une supériorité du médicament versus placebo. Pas de réponse aux autres questions du clinicien. Davantage d’études contrôlées, effectuées en première ligne de soins sont donc nécessaires, surtout concernant la dépression mineure, avec des comparaisons entre les traitements médicamenteux ou non médicamenteux. Les études doivent être de plus longue durée : un an pour un premier épisode et trois ans en cas de dépression récidivante. C’est la seule façon de mieux connaître et l’efficacité et les effets indésirables de ces médicaments. La question est de savoir si les autorités, via l’INAMI ou non, peuvent libérer le budget nécessaire à la réalisation d’études indépendantes pouvant répondre aux questions cliniques du praticien. Cet investissement sera bénéfique non seulement pour la santé publique, mais un usage rationnel des antidépresseurs engendrerait également des économies. L’enregistrement de nouveaux médicaments étant actuellement de plus en plus réalisé à un niveau européen, il est nécessaire que la Commission européenne crée le cadre nécessaire à la réalisation d’études indépendantes évaluant des questions cliniquement pertinentes.

Références

  1. INAMI. L’usage efficient des antidépresseurs dans le traitement de la dépression. Rapport du jury de la réunion de consensus 11 mai 2006. Bruxelles: INAMI, 2007.
  2. Melander H, Ahlqvist-Rastad J, Meijer G, Beermann B. Evidence b(i)ased medicine-selective reporting from studies sponsored by pharmaceutical industry. BMJ 2003:326:1171-3.
  3. Chevalier P, van Driel M, Vermeire E. Synthèse méthodique et méta-analyse : première approche [Editorial]. MinervaF 2007;6(3):33.
  4. Moncrieff J, Kirsch I. Efficacy of antidepressants in adults. BMJ 2005;331:155-6.
  5. Ioannidis JP, Mulrow CD, Goodman SN. Adverse events: the more you search, the more you find [Editorial]. Ann Intern Med 2006;144:298-300.
  6. CBO. Kwaliteitsinstituut voor Gezondheidszorg. Multidisciplinaire richtlijn Depressie 2005.
  7. Van Marwijk HWJ, Grundmeijer HG, Bijl D, et al. NHG-Standaard Depressieve stoornis (depressie). Huisarts Wet 2003;46:614-33. http://nhg.artsennet.nl/upload/104/standaarden/M44/start.htm
  8. National Collaborating Centre for Mental Health. Depression: management in primary and secondary care. National Clinical Practice Guideline. Number 23, 2004. http://www.nice.org.uk/
  9. Prodigy Guidance. Depression (2004). http://www.cks.library.nhs.uk/depression/
  10. Vandenbroucke JP. Niveaus van bewijskracht schieten tekort. Ned Tijdschr Geneeskd 2006;150:2484.
Editorial: Recherche déprimante

Auteurs

De Meyere M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

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