Revue d'Evidence-Based Medicine



Editorial: Etat de déprivation : à intégrer comme facteur de risque



Minerva 2007 Volume 6 Numéro 10 Page 145 - 145

Professions de santé


 

Marjorie a 35 ans, six enfants, pas d’emploi. Elle a terminé péniblement son école primaire et fait ensuite quelques années d’enseignement professionnel qu’elle n’a pas terminé, ne disposant d’aucun diplôme. Elle fume et boit plusieurs bières par jour, avec son compagnon lui aussi sans emploi. Son espérance de vie est encore d’environ 45 ans. Elle souffre de plusieurs problèmes de santé ; il est vrai qu’elle a dépassé l’espérance de vie en bonne santé (espérance de vie sans incapacité ou EVSI) qui est de 24,4 ans pour son niveau de scolarité.

 

Cécile a 35 ans, un enfant et est dentiste. Elle veille à respecter son alimentation (biologique), ne fume pas et ne boit pas d’alcool, pratique régulièrement du sport à la salle de fitness. Son espérance de vie est encore d’environ 48,5 ans avec une espérance d’atteindre ses 49,1 ans en bonne santé..

 

Ce pronostic de santé beaucoup plus sombre pour Marjorie est-il lié uniquement à son hygiène de vie à risque ?

Les inégalités sociales ont un impact certain sur l’état de santé. De nombreuses études internationales ou nationales (1) en ont apporté les preuves. Nous avons déjà abordé ce problème dans la revue Minerva (2). Une récente recherche effectuée en Suède (3) dans un groupe de 49 259 femmes d’âge moyen (30-50 ans à l’inclusion) évalue si un gradient socioéconomique peut être observé dans le risque pour elles de présenter un accident vasculaire cérébral (AVC) et si ce gradient peut être expliqué par des facteurs de risque d’AVC ou par des facteurs psycho-sociaux. Les auteurs utilisent la durée de scolarité pour déterminer le status socioéconomique. Ils observent, sur dix ans de suivi, une relation inverse entre le niveau de scolarité et le risque de survenue d’un AVC : rapport de hasards 2,1 (IC à 95% de 1,4 à 2,9 ; p <0,001) scolarité la plus faible versus la plus forte. Cette association est réduite après ajustement pour les facteurs de risque d’AVC connus (tabac et alcool surtout), alors que les facteurs psycho-sociaux (stress lié à l’emploi, support social) ne semblent pas être en lien. L’évaluation de sa propre santé est fortement liée au risque d’AVC médié par des facteurs établis.   

Cette étude, après d’autres, souligne l’importance de la répartition inégale des facteurs de risque en fonction du niveau socioéconomique. Elle a choisi le niveau de scolarité pour situer le niveau socioéconomique. D’autres scores tentent d’évaluer plutôt l’état de déprivation en tenant compte de l’absence d’emploi, du surhabitat, de l’absence de voiture, de la classe sociale, d’une immigration récente. Elle montre aussi que cette inégalité face à la maladie ne peut être globalement évaluée en ne tenant compte que de ces facteurs de risque classiquement identifiés. La morbidité peut être considérée comme une variable confondante de l'état de déprivation socioéconomique. En tous temps, en tous lieux, dans toutes les cultures, ce sont toujours les mêmes, les défavorisés, qui meurent plus jeunes et après plus d'années avec invalidité, ce n'est que leur morbimortalité qui varie : maladies infectieuses pandémiques auparavant, maladies de civilisation aujourd'hui.

Comment prendre en compte un risque socioéconomique pour la santé en tant que tel ?

Les Ecossais proposent le Scottish Index of Multiple Deprivation (4) régulièrement réadapté. La dernière édition, celle de 2006, contient 37 indicateurs couvrant sept domaines : les revenus actuels, l’emploi, la santé, compétences et formations scolaires, accès aux services (et transports) publics, logement et criminalité. Des aires géographiques précises, limitées, sont ainsi définies.

Leur score de risque cardio-vasculaire ASSIGN intègre, aux côtés des facteurs de risque cardio-vasculaires classiques, cet index de « déprivation » (5). Ce type d’index nous semble utile dans le cadre de l’élaboration de campagnes de prévention, ciblées avec une discrimination positive. Nécessaire aussi à intégrer dans le protocole des études cliniques et dans les guides de bonne pratique pour en faciliter l’interprétation pour le clinicien (6). Indispensable surtout à inclure dans nos échelles d’évaluation de risque, qu’il soit cardio-vasculaire ou autre : à quand un SCORE intégrant un item d’évaluation socioéconomique ?

 

Pierre Chevalier, Michel Roland

 

Références

  1. Willems S. The socio-economic gradient in health: a never-ending story? A descriptive and explorative study in Belgium. [Doctoral Thesis] Ghent University, 2005.
  2. Chevalier P, Soenen K. Sous, soins, santé et illusion de la globalité. [Editorial] MinervaF 2006;5(8):113.
  3. Kuper H, Adami HO, Theorell T, Weiderpass E. The socioeconomic gradient in the incidence of stroke: a prospective study in middle-aged women in Sweden. Stroke 2007;38:27-33.
  4. SIMD. Using the Scottish Index of Multiple Deprivation 2006. Scottish Executive National Statistics Publication. http://www.scotland.gov.uk/simd
  5. Scottish Intercollegiate Guidelines Network (SIGN). Risk estimation and the prevention of cardiovascular disease. A national clinical guideline, February 2007.
  6. De Jonghe M, Roland M. Intégrer les preuves socio-économiques dans les guides de pratique clinique. [Editorial] MinervaF 2004;3(9):138.
Editorial: Etat de déprivation : à intégrer comme facteur de risque

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Roland M.
Centre Universitaire de Médecine Générale, Université Libre de Bruxelles
COI :

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