Revue d'Evidence-Based Medicine
Efficacité de suppléments calciques pour prévenir les fractures
Résumé
Contexte
Le coût des fractures ostéoporotiques est important, par exemple supérieur à celui du cancer du sein (aux E.-U.). Le coût de certains traitements préventifs pourrait être aussi élevé que celui des fractures (hors coût humain). Un traitement préventif moins onéreux mais efficace est donc bienvenu, l’administration de suppléments calciques par exemple. L’efficacité d’un tel traitement calcique en termes de prévention de fracture restait cependant incertaine.
Méthodologie
Synthèse méthodique et méta-analyse
Sources consultées
- MEDLINE, EMBASE, Current Content, CINAHL, Cochrane DARE, CENTRAL et CDSR
- recherche d’études non publiées ou en cours (banque de données d’études, sites web d’institutions)
- listes de références des études trouvées
- articles de synthèses, résumés de congrès
- pas de restriction de langue.
Etudes sélectionnées
- RCTs incluant des patients âgés d’au moins 50 ans
- traités par calcium ou calcium associé à de la vitamine D versus placebo
- avec données sur les fractures et/ou sur la perte osseuse ostéoporotique
- exclusion : publications doubles, absence de groupe placebo ou contrôle, calcium sous forme d’apport alimentaire, en supplémentation complexe ou avec un autre traitement pour l’ostéoporose (fluoride, hormones, antirésorbeurs), vitamine D sans calcium.
- RCTs sélectionnées : 29 sur 7 867 références initiales potentiellement pertinentes ; 13 avec association calcium + vitamine D, les autres avec calcium seul.
Population concernée
- 63 897 patients ; majorité de femmes (92%) ; âge moyen de 67,8 ans (ET 9,7)
- risque fracturaire initial moyen de 16% (10-22) sur une échelle non précisée.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : toute fracture (hanche, vertèbre, poignet) exprimé en rapport de risque
- critère secondaire : densité minérale osseuse (DMO), modification versus départ exprimée en pourcentage de différence moyenne
- durée moyenne des études : 3,5 ans
- analyse en modèle d'effets aléatoires.
Résultats
- 17 études avec fracture comme critère : rapport de risque 0,88 (IC à 95% de 0,83 à 0,95 ; p=0,0004) ; NST de 63 sur 3,5 ans pour prévenir une fracture
- 24 études avec DMO comme critère : perte osseuse de hanche réduite de 0,54% (0,35 - 0,73 ; p<0,0001) et vertébrale de 1,19% (0,76 - 1,61 ; p<0,0001)
- analyses en sous-groupes : réduction de fracture plus importante dans les études avec proportion d’observance plus élevée (p<0,0001), apport calcique alimentaire moindre et chez les personnes plus âgées ; effet plus important pour des doses de calcium supérieures à 1 200 mg versus moins et de vitamine D supérieures à 800 UI versus moins ; résultats non influencés par la localisation de la fracture, le sexe, un antécédent de fracture, l’ajout de vitamine D ou la valeur plasmatique de vitamine D initiale (différences non statistiquement significatives pour ces 2 derniers items).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent avoir les preuves d’une efficacité de l’administration de calcium ou de calcium avec de la vitamine D, pour le traitement préventif de l’ostéoporose chez des sujets âgés d’au moins 50 ans. Ils recommandent des doses quotidiennes minimales de 1 200 mg de calcium et de 800 UI de vitamine D en cas de traitement associé.
Financement
Gouvernement australien qui n’est intervenu à aucun des stades de l’étude.
Conflits d'intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette méta-analyse est un cas d’école pour les tests et analyses réalisables dans ce type de recherche. Les auteurs ont, en effet, réalisé les démarches suivantes :
- agrément inter-chercheurs pour les extractions des données (statistique κ) : 0,882 = bon agrément (Kappa + 1 = agrément parfait)
- analyse de la qualité méthodologique des études avec analyse de sensibilité suivant la qualité méthodologique : RR plus important si moins bonne qualité mais pas de différence significative
- analyse en modèle d’effets aléatoires après recherche de l’hétérogénéité avec le test Q de Cochran et le test I² (montrant une hétérogénéité significative pour certains critères (fractures de hanche))
- méta-régression pour l’efficacité du traitement en fonction de l’âge, du risque fracturaire initial, du poids corporel, de la durée de l’étude, de l’observance
- analyse d’influence de chaque étude sur l’ampleur de l'effet : pas d’effet observé
- recherche de l’hétérogénéité clinique et analyse en sous-groupes selon des facteurs « biologiques » (âge, taux initial de vitamine D sérique, dose médicamenteuse) ou en fonction de facteurs de risque (institutionnalisation ou non, antécédent de fracture)
- méta-analyse cumulative en fonction de la date de parution avec analyse de l’influence possible de nouvelles études : preuves constantes dans le temps, non modifiées par les études récentes (à population plus importante)
- recherche d’un biais de publication, qui est présent ; estimation du nombre potentiel d’études nécessaire pour modifier les conclusions (fail-safe method) : 100 études avec résultats non significatifs ou 22 études montrant un effet défavorable. Les auteurs concluent qu’il est hautement improbable que ce biais de publication ait une importance.
- Un seul reproche à faire : la valeur p considérée comme statistiquement significative est fixée à <0,05 pour tous les tests, ce qui est insuffisant dans des analyses en sous-groupes, qui n’ont uniquement, de toute façon, que valeur d’hypothèses.
Autres études
Les auteurs citent eux-mêmes de précédentes méta-analyses en précisant leurs limites : moindre population (1), calcium seul sans calcium + vitamine D (2), limitation à la fracture de hanche (3) ainsi que leurs résultats non concordants. Nous avions déjà analysé dans Minerva (4), une méta-analyse évaluant l’efficacité de l’administration de vitamine D (avec du calcium dans la majorité des études incluses) (5). Cette méta-analyse montrait, dans une population de femmes âgées, l’efficacité d’une dose quotidienne de 700 ou 800 UI de vitamine D sans conclusion possible pour la dose de calcium. L’administration de suppléments de vitamine D (avec du calcium) dans des populations de personnes âgées institutionnalisées est prouvée (dans des RCTs) bénéfique en termes de réduction du risque de fracture ostéoporotique (6). Cette méta-analyse-ci inclut toutes les publications les plus récentes.
Résultats utiles pour la pratique ?
Les auteurs calculent pour le critère primaire (montrant une différence statistiquement significative), un NST de 63 pour éviter une fracture sur 3,5 ans de traitement. En analyse en sous-groupes, les auteurs estiment ce NST à 30 pour des patients plus âgés (au-delà de 70 ans), avec apport calcique alimentaire faible, en cas d’institutionnalisation, ou en cas de bonne observance, mais il ne s’agit ici que d’hypothèses. Il n’y a pas d’études uniquement avec des hommes, ni avec des patients avec ostéoporose secondaire ou comorbidité majeure : des conclusions ne sont donc pas possibles pour ces patients. Cette étude ne permet également pas de préciser un bénéfice respectivement en prévention primaire et en prévention secondaire. Il n’y a pas d’évaluation de co-interventions comme la prévention des chutes. Pour cette prévention, les guidelines (7,8) recommandent une prise en charge multifactorielle et multidisciplinaire pour diminuer le risque d’une chute avec lésion, comme nous l’avions déjà publié dans Minerva (9).
Conclusion
Cette méta-analyse montre l’intérêt de l’administration de calcium à une dose d’au moins 1 200 mg par jour à des personnes âgées de plus de 50 ans (forte majorité de femmes) en prévention de fractures ostéoporotiques. La place de cette administration de calcium versus un apport alimentaire accru et spécifiquement en prévention primaire (absence de fracture) ou secondaire, n’est pas précisée par cette méta-analyse. L’association de vitamine D (800 UI par jour) n’apporte pas de bénéfice complémentaire notable, mais reste cependant recommandée chez les patients institutionnalisés. Un programme de prévention des fractures chez des personnes âgées doit également inclure la prévention des chutes.
Références
- Avenell A, Gillespie WJ, Gillespie LD, O’Connell DL. Vitamin D and vitamin D analogues for preventing fractures associated with involutional and post-menopausal osteoporosis. Cochrane Database Syst Rev 2005, Issue 3.
- Sea B, Wells G, Cranney A, et al; Osteoporosis Methodology Group and The Osteoporosis Research Advisory Group. Meta-analysis of calcium supplementation for the prevention of postmenopausal osteoporosis. Endocr Rev 2002;23:552-9.
- Boonen S, Lips P, Bouillon R, et al. Need for additional calcium to reduce the risk of hip fracture with vitamin D supplementation: evidence from a comparative meta-analysis of randomized controlled trials. J Clin Endocrinol Metab 2007;92:1415-23.
- Chevalier P. Le rôle de la vitamine D dans la prévention des fractures. MinervaF 2006;5(3):41-3.
- Bischoff-Ferrari HA, Willett WC, Giovannucci E, et al. Fracture prevention with vitamin D supplementation: a meta-analysis of randomized controlled trials. JAMA 2005;293:2257-64.
- Boonen S, Bischoff-Ferrari HA, Cooper C, et al. Addressing the musculoskeletal components of fracture risk with calcium and vitamin D: review of the evidence. Calcif Tissue Int 2006;78:257-70.
- National Institute for Clinical Excellence (NICE). Falls. The assessment and prevention of falls in older people. Clinical Guideline 21, November 2004.
- Nederlandse Vereniging voor Klinische Geriatrie. Richtlijn: Preventie van valincidenten bij ouderen. 2004.
- Chevalier P. « Préhabilitation » et prévention des chutes pour les personnes âgées vulnérables. MinervaF 2003;2(5):77-9.
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