Revue d'Evidence-Based Medicine



Préhabilitation et prévention des chutes pour les personnes âgées vulnérables



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 5 Page 77 - 80

Professions de santé


Analyse de
1. Day L, Fildes B, Gordon I, et al. Randomised factorial trial of falls prevention among older people living in their own homes. BMJ 2002;325:128-33. 2. Gill T, Baker D,Gottschalk M,Peduzzi P, Allore H, Byers A. A program to prevent functional decline in physically frail, elderly persons who live at home. N Engl J Med 2002;347:1068-74.


Conclusion
Pour ralentir la progression du déclin fonctionnel des personnes âgées, une intervention d’amélioration de leurs capacités physiques est utile à court et moyen terme. Pour prévenir les chutes, la pratique d’exercices physiques est reconnue efficace dans l’étude analysée. D’autres études ont montré l’utilité d’interventions multidimensionnelles, incluant la suppression de médicaments psychotropes (benzodiazépines entre autres). Toutes ces interventions semblent plus efficaces pour les personnes présentant, au départ, les meilleures capacités physiques.


 

De nombreuses études se sont penchées sur la prévention des chutes chez les personnes âgées, ou la réhabilitation de ces personnes, après une chute ou un AVC par exemple. Une perspective plus large de ces problèmes, envisage actuellement la “préhabilitation” ou prévention du déclin fonctionnel de personnes âgées plus vulnérables (frail). Dans cette optique, nous analysons deux études récentes dans ce domaine.

 

1. Day L, Fildes B, Gordon I, et al. Randomised factorial trial of falls prevention among older people living in their own homes. BMJ 2002;325:128-33.

 

Résumé

Cette étude randomisée, contrôlée, concerne 1090 patients australiens âgés d’au moins 70 ans (moyenne d’âge de 76,1 ans) vivant à leur domicile. Ils sont sélectionnés sur base volontaire, à partir de listes électorales, et doivent être en bonne santé. L’étude, d’un suivi de 18 mois, évalue le délai entre le début de l’observation et la première chute ainsi que la modification des facteurs de risque de chute: force du quadriceps, équilibre, vision, nombre de facteurs de risque de chute liés à l’environnement dans l’habitat. Les trois interventions possibles consistent en exercices en groupe, corrections des facteurs de risque liés à l’environnement au domicile et amélioration des capacités visuelles. Une combinaison ou absence de ces trois interventions permet de répartir les participants en 8 groupes. Le but de l’étude est de comparer les modifications des différents critères de jugement entre les groupes d’intervention pour évaluer l’efficacité comparative des trois interventions. Ce sont les interventions comportant les exercices, seuls ou en association, qui se sont révélées efficaces, versus aucune intervention (p < 0,05). Les trois interventions combinées montrent une réduction de fréquence de chute (0,67 pour 1,00 pour le groupe sans intervention, avec IC à 95% de 0,51 à 0,88, p = 0,004) soit une réduction annuelle de chute de 14% avec un NNT à 7. Les exercices seuls donnent un ratio de fréquence de 0,82 (IC à 95%: 0,70 – 0,97) avec un NNT de 14. Un aménagement isolé des facteurs de risque environnementaux montre un ratio de fréquence de 0,92 (IC à 95%: 0,78 – 1,08), donc non significatif.Une intervention limitée à la correction des troubles visuels offre un ratio de 0,81 (IC à 95%: 0,65 – 1,02), donc également non significatif.

Conflits d’intérêt/Financement

L’étude est financée par des fonds publics ou du Rotary et aucun conflit d’intérêt n’est déclaré.

 

2. Gill T, Baker D,Gottschalk M,Peduzzi P, Allore H, Byers A. A program to prevent functional decline in physically frail, elderly persons who live at home. N Engl J Med 2002 ; 347 : 1068-74.

 

Résumé

Cette étude randomisée, contrôlée, inclut 188 personnes de 75 ans ou plus (âge moyen de 83 ans) vivant au domicile. Leur vulnérabilité est qualifiée de modérée à sévère suivant leur incapacité à réaliser, respectivement, 1 ou 2 tests physiques dérivés du “step up and go” (marche sur 3 mètres et retour en moins de 10 secondes, se relever d’une chaise sans l’aide des bras). Plusieurs critères d’exclusion sont décrits, parmi lesquels un score inférieur à 20 au Mini-Mental State Examination (MMSE). L’intervention consiste en un programme d’exercices et d’aménagement de l’environnement établi après évaluation par un kinésithérapeute. Celui-ci enseigne les exercices précis, lors de visites au domicile (16 prévues, 14,9 ± 2,4 réellement effectuées au cours des 6 mois d’intervention). Les visites sont maintenues jusqu’à vérification de la capacité de réaliser seul les exercices. Après les 6 premiers mois, un contact téléphonique mensuel est poursuivi pendant encore 6 mois. Le groupe contrôle est gratifié de visites mensuelles comportant des conseils d’hygiène de vie (alimentation, médicaments, activités physiques, hygiène de sommeil) pendant 6 mois, puis également d’un contact téléphonique mensuel pendant 6 mois. Une évaluation est faite à 3,7 et 12 mois. Le critère de jugement primaire est un score évaluant 8 incapacités physiques sur une échelle de 0 à 16 (pour chaque item 0 = pas d’incapacité ; 1 = difficulté, mais pas besoin d’aide ; 2 = besoin d’aide). Le critère de jugement secondaire est l’admission dans un home. Dans la réduction de la progression du déclin fonctionnel, l’intervention se révèle efficace : score pour les groupes intervention et contrôle de 2,3 et 2,8 au départ, de 2,0 et 3,6 à 7 mois (p = 0,008 pour la comparaison du changement par rapport au départ), 2,7 et 4,2 à 12 mois (p = 0,02). Aucune différence n’est observée dans l’admission dans un home.

Conflits d’intérêt/Financement

L’étude est financée par le “National Institute on Aging” et le “Gaylord Rehabilitation Research Institute”. Pas de conflit d’intérêt mentionné.

 

Discussion

Les deux articles analysés ici illustrent deux points d’approche complémentaires d’un même problème de santé publique : les incapacités fonctionnelles de la personne âgée. Celles-ci sont corrélées à une mortalité accrue, à un risque majoré de chutes, d’hospitalisation, d’admission dans un home, à un recours plus important à des services d’aide.

Prévention des chutes

L’étude de Day et collaborateurs porte sur la prévention des chutes, évalue les facteurs de risque reconnus comme principaux de ces chutes et l’efficacité relative de trois interventions différentes. Les exercices sont réalisés en groupe, 1 heure par semaine, pendant 15 semaines, et ciblent principalement l’équilibre. 74% seulement des personnes attribuées aux groupes de cette intervention ont commencé leurs exercices. Ces personnes étaient également invitées à faire les exercices 1 x par jour pendant 12 mois, mais la moyenne des personnes n’a effectué que 2 séances hebdomadaires.L’enregistrement des chutes, réalisé par les personnes elles-mêmes, a peut-être été inférieur à la réalité. L’analyse des modifications des facteurs de risque de chute grâce à l’intervention semble cependant confirmer les chiffres de chute communiqués. Ce sont donc clairement les exercices, seuls ou en association, qui modifient le risque de chute. L’initiation de ce programme est cependant refusée par 1/4 des sujets entrés dans l’étude. Dans sa revue de la littérature, Gillespie 1 notait comme interventions probablement efficaces dans la prévention des chutes :

• un programme de renforcement musculaire et d’exercices d’équilibre ;

• une intervention de groupe de Tai-Chi ;

• une évaluation et modification des facteurs de risque liés à l’environnement en prévention secondaire (post-chute);

• un arrêt des médicaments psychotropes ;

• une intervention de dépistage et de traitement multidisciplinaire, multifactorielle.

C’est ce dernier type d’intervention qui est recommandé au niveau international 2, 3.

Prévention du déclin fonctionnel

GIll et collaborateurs annoncent une étude portant sur la prévention du déclin fonctionnel. En fait, leur recherche concerne uniquement les capacités physiques des personnes âgées. L’intervention consiste en un programme d’exercices physiques adapté à l’évaluation, avec aménagement partiel des locaux et l’évaluation porte, elle aussi, sur les incapacités physiques fonctionnelles. Comme dans la majorité des études, les personnes présentant des troubles cognitifs significatifs (MMSE < 20) sont exclues. La population étudiée est relativement âgée (moyenne de 83 ans). Les personnes incluses dans l’étude présentant un score au MMSE < 24, montrent des résultats moins bons. Sur la base d’un seul test physique (step up and go décomposé), les auteurs déterminent une vulnérabilité modérée ou sévère. Cette distinction est corrélée par le score d’incapacité fixé dans l’étude (à partir de 8 incapacités physiques différentes). Il faut cependant noter un score d’incapacité plus élevé dans le groupe contrôle des participants à vulnérabilité sévère. L’intervention se déroule sur 12 mois : 6 mois d’intervention “physique” proprement dite, puis 6 mois d’encouragement téléphonique régulier à poursuivre les efforts. Malgré cette intervention prolongée, les scores d’incapacité montrent une évolution semblable dans les différents groupes (intervention et contrôle) et sous groupes (vulnérabilité modérée et sévère) : diminution de l’incapacité à 3 mois (excepté dans le groupe contrôle à vulnérabilité modérée !) puis une remontée à 7 et 12 mois avec des scores plus sévères qu’au départ de l’étude (sauf dans le groupe intervention à vulnérabilité modérée). L’intervention ne montre donc qu’une légère régression de l’incapacité dans un groupe de patients à vulnérabilité modérée, régression qui s’estompe avec les mois d’observation. Une évaluation à plus long terme (> 12 mois) aurait permis de préciser si, d’une part, les personnes âgées continuaient leurs exercices, et, d’autre part, si le bénéfice acquis se maintenait par rapport à un groupe contrôle. Aucun intervalle de confiance n’est donné en chiffres. Il figure pourtant dans une analyse graphique des résultats des sous-groupes à 7 et 12 mois. Les résultats donnés par ce graphique ne correspondent pas aux données du texte (pour le sexe et les scores de MMSE). Il faut noter que seuls 65 % des participants ont suivi le programme complet dans le groupe intervention (pour 21% d’arrêts non explicités) contre 83 % dans le groupe contrôle. Aucun effet indésirable n’est mentionné pour l’intervention. Il n’y a pas de diminution observée pour les chutes ; dans le texte, une tendance à une diminution des chutes avec fractures est citée mais non chiffrée. La puissance de l’étude est insuffisante pour évaluer ce critère.

Intérêt d’une intervention multidimensionnelle

Une méta-analyse a récemment été publiée 4 concernant les interventions au domicile incluant des aspects médicaux, fonctionnels, psychosociaux et environnementaux. L’analyse en sous-groupes (avec le risque de biais que cela suppose 5) montre un intérêt de ce type d’intervention multidimensionnelle si elle comporte au moins 9 visites de suivi. Dans ce cas, on observe une diminution des institutionnalisations, une amélioration du statut fonctionnel (dans le groupe à risque de décès faible) et une diminution de la mortalité (uniquement dans le groupe de 72,7 à 77,5 ans).

Contrairement à d’autres interventions préventives, il faut sans doute conclure dans ce domaine-ci à une plus grande efficacité si le risque est moindre (personnes moins âgées, moins vulnérables, avec meilleure espérance de vie, patients non hospitalisés).

Rôle essentiel du médecin généraliste

Quel rôle peuvent jouer les intervenants de première ligne dans ce domaine ? Hirsch5 affirme que les modèles GEM (Geriatric Evaluation and Management) ne peuvent être pris en charge par les praticiens de première ligne et doivent être implémentés par des équipes gériatriques entraînées (comportant ou non un gériatre). Ce point de vue n’est pas partagé par les médecins généralistes qui ont réalisé des recommandations de bonne pratique sur ce sujet 6, 7 ni dans l’analyse d’autres études de prévention des chutes, par exemple en prévention secondaire 8. Le rôle du médecin généraliste est essentiel : examen physique et mental, ré-examen des traitements médicamenteux en fonction du risque et, si nécessaire, en collaboration avec d’autres intervenants, examen et propositions d’aménagement de l’environnement ainsi que mise sur pied de programme spécifique d’exercices physiques. Pour rappel, la prévention des chutes est un élément incontournable de la prise en charge du problème des fractures ostéoporotiques liées à l’âge 9.

 

Conclusion

Pour ralentir la progression du déclin fonctionnel des personnes âgées, une intervention d’amélioration de leurs capacités physiques est utile à court et moyen terme.Pour prévenir les chutes, la pratique d’exercices physiques est reconnue efficace dans l’étude analysée.D’autres études ont montré l’utilité d’interventions multidimensionnelles, incluant la suppression de médicaments psychotropes (benzodiazépines entre autres). Toutes ces interventions semblent plus efficaces pour les personnes présentant, au départ, les meilleures capacités physiques.

Prévention des chutes chez les personnes âgées : principales recommandations 6,7

Évaluation du risque

  • Examen médical pour dépister les facteurs de risque intrinsèques : troubles de l’équilibre, perte de force musculaire, troubles visuels, troubles de la marche ou difficultés de déplacement (get up and go test).
  • Si dépistage positif, explorations complémentaires : référence spécialisée, bilan fonctionnel par un kinésithérapeute, évaluation de l’autonomie (échelle I.A.D.L.) par le médecin ou un collaborateur.
  • Évaluation des risques liés à l’environnement en fonction des risques propres de la personne âgée.

Intervention

  • Médicale : corrections, si possible, des facteurs de risque intrinsèques.
  • Adaptation éventuelle du traitement médical en fonction des risques de chute.
  • Education sanitaire : tabac, alcool, alimentation, sommeil.
  • Programmes spécifiques en fonction du niveau de prévention (primaire ou secondaire) en collaboration avec les kinésithérapeutes, ergothérapeutes, infirmières et aide familiales.
  • Les interventions efficaces sont celles qui combinent un diagnostic des facteurs de risque individuels et une intervention associant une correction de ces facteurs de risque individuels avec un aménagement de l’environnement.

 

Références

  1. Gillespie L, Gillespie W, Robertson M, et al. Interventions for preventing falls in elderly people (Cochrane Review). In: The Cochrane Library, Issue 1, 2003. Oxford: Update Software.
  2. OMS.Vieillir en restant actif. Cadre d’orientation. OMS 2002.WHO/NMH/NPH/028.
  3. Comité Scientifique de Kiné. Québec. L’activité physique, déterminant de la qualité de vie des personnes de 65 ans et plus. Québec.
  4. Stuck A, Egger M, Hammer A, et al. Home visit to prevent nursing home admission and functional decline in elderly people. Systematic review and meta-regression analysis. JAMA 2002;287:1022-8.
  5. Hirsch C. Review: Home visiting with multidimensional assessment and multiple visits is effective in low risk elderly people. Comment on: Stuck A, Egger M, Hammer A, Minder C, Beck J. Home visit to prevent nursing home admission and functional decline in elderly people. Systematic review and meta-regression analysis. JAMA 2002;287:1022-8 in Evid Bas Med 2002;7:148.
  6. Société scientifique de médecine générale.Prévention des chutes chez les personnes âgées. Recommandation de Bonne Pratique. SSMG 2001.
  7. Wertelaers A, Govaerts F. Preventie van letsels ten gevolge van vallen bij 65-plussers. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Huisarts Nu 2001;30:434-52.
  8. Goemaere S. Een interdisciplinaire interventie voorkomt opnieuw vallen bij bejaarden.Huisarts Nu (Minerva) 1999;28:338-40.
  9. Vermeire E. Fractuurpreventie: de kracht van evidentie of de impact van optimisme? Huisarts Nu (Minerva) 2001;30:88-93.
Préhabilitation et <strong><a style="font-size:medium" data-toggle="popover" data-trigger="hover" title="prévention" data-content="Trois niveaux de prévention peuvent être distingués. La prévention primaire englobe toutes les interventions ou activités visant à la prévention d’une maladie. Ces interventions visent les facteurs étiologiques de la maladie, par exemple l’arrêt du tabac pour éviter le cancer du poumon ou la vaccination pour prévenir des maladies infectieuses. La prévention secondaire vise à influencer favorablement l’évolution d’une maladie par un diagnostic précoce, par exemple par un dépistage de l’hypertension ou par une recherche de cas de diabète sucré. La prévention tertiaire vise à améliorer la santé des personnes souffrant d’une maladie (chronique) en accélérant la guérison ou en évitant des complications. L’administration d’acide acétylsalicylique après un accident vasculaire cérébral ou le contrôle de la glycémie ainsi que l’éducation de la personne diabétique sont des exemples de prévention tertiaire.">prévention</a></strong> des chutes pour les personnes âgées vulnérables

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
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