Revue d'Evidence-Based Medicine



Traitement de l’hypertension chez les personnes âgées d’au moins 80 ans



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 9 Page 130 - 131

Professions de santé


Analyse de
Beckett NS, Peters R, Fletcher AE, et al; HYVET Study Group. Treatment of hypertension in patients 80 years of age or older. N Engl J Med 2008;358:1887-98.


Question clinique
Le bénéfice d’un traitement médicamenteux antihypertenseur persiste-t-il chez des personnes âgées d’au moins 80 ans en termes de prévention d’événements cardiovasculaires ?


Conclusion
Cette étude HYVET concernant des personnes âgées d’au moins 80 ans et hypertendues, montre l’intérêt d’un traitement antihypertenseur par de l’indapamide à libération prolongée, éventuellement associé au périndopril, en termes de diminution de la mortalité globale et surtout de l’insuffisance cardiaque. Elle inclut cependant une population peu représentative pour nous (en forte majorité pas la population des pays de l’ouest, personnes âgées en bonne santé). Un traitement antihypertenseur par diurétique thiazidique ou apparenté, pourrait être prescrit aux personnes âgées d’au moins 80 ans vivant dans les pays d’Europe de l’ouest, dans la mesure où il est conforme aux recommandations de bonne pratique.


 

Résumé

Contexte

Les grandes études évaluant les traitements antihypertenseurs n’incluent pas assez de personnes âgées d’au moins 80 ans pour permettre des conclusions quant à l’intérêt d’un tel traitement chez ces personnes. Des études épidémiologiques établissent une corrélation inverse entre une pression artérielle élevée et un décès dans cette tranche d’âge, probablement en raison des chiffres tensionnels bas présentés par ces personnes âgées quand elles sont gravement malades (1). Chez des personnes fort âgées, certaines données indiquent une diminution du risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) lors du traitement de leur hypertension, mais probablement aux dépens des décès cardiovasculaires et globaux.

Population étudiée

  • 3 845 patients âgés d’au moins 80 ans (en moyenne de 83,6 ans), avec une Pression Artérielle Systolique (PAS) de 160-199 mmHg en position assise ou  ≥140 mmHg en position debout et une Pression Artérielle Diastolique (PAD) < 110 mmHg en position assise (moyenne de 4 mesures sur 2 consultations) ; chiffres tensionnels moyens de 173/90,8 mmHg ; recrutement en Europe, Chine, Australie et Tunisie ; antécédent cardiovasculaire pour 11,8% d’entre eux
  • critères d’exclusion : contre-indication aux médicaments évalués, hypertension secondaire, hypertension maligne, anamnèse d’AVC hémorragique dans les 6 mois, insuffisance cardiaque avec nécessité d’un médicament antihypertenseur, créatininémie > 1,7 mg/dl, kaliémie < 3,5 mmol/l ou > 5,5 mmol/l, goutte, diagnostic clinique de démence, recours à des soins infirmiers (à domicile).

Protocole d’étude

  • RCT en double aveugle
  • intervention : soit 1,5 mg d’indapamide à libération prolongée avec éventuel ajout (suivant l’avis de l’expérimentateur) de 2 à 4 mg de périndopril pour atteindre des valeurs tensionnelles cibles (n=1 933) soit un placebo avec ajout d’un placebo supplémentaire suivant les mêmes critères (n=1 912)
  • valeurs tensionnelles cibles : PAS < 150 mmHg et PAD < 80 mmHg
  • exclusion en cours d’étude si : > 3 mois d’un autre médicament antihypertenseur que ceux évalués, PAS ≥ 220 mmHg et/ou PAD ≥ 110 mmHg malgré le recours aux doses maximales.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : tout AVC fatal ou non, les AIT étant exclus
  • critères secondaires : décès de toute cause, décès cardiovasculaire, décès cardiaque (par infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque ou mort subite), AVC fatal
  • analyse par protocole et en intention de traiter.

Résultats

  • étude arrêtée prématurément pour raison éthique ; suivi moyen de 1,8 ans
  • pression artérielle : après 2 ans, PAS 15,0 mmHg et PAD 6,1 mmHg plus basses dans le groupe traitement actif versus placebo ; valeurs cibles atteintes respectivement pour 48% et  19,9% des patients
  • critère primaire pour le groupe traitement actif versus placebo, réduction relative des AVC fatals ou non (30% ; IC à 95% de -1 à 51 ; p=0,06)
  • critères secondaires : réduction relative des AVC fatals (39% ; IC à 95% de 1 à 62 ; p=0,05), de la mortalité globale (21% ; IC à 95% de 4 à 35 ; p=0,02), de l’insuffisance cardiaque (64% ; IC à 95% de 42 à 78 ; p<0,001)
  • effets indésirables : plus d’effets indésirables sévères dans le groupe placebo (448) que dans le groupe traitement actif (358 ; p=0,001 pour la différence) ; seuls 5 événements attribués aux médicaments (3 dans le groupe placebo, 2 dans le groupe traitement actif).

Conclusion des auteurs

Un traitement par indapamide à libération prolongée associé ou non à du périndopril, est bénéfique chez des personnes âgées d’au moins 80 ans.

Financement

British Heart Foundation et l’Institut de Recherches Internationales Servier.

Conflits d’intérêt

Tous les auteurs ont reçu des financements de plusieurs firmes à titres divers.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude repose sur une méthodologie correcte, garantie d’ailleurs par le groupe de chercheurs, pratiquement tous auteurs ayant mené à bien la précédente gigantesque étude Syst-Eur. La randomisation est bien effectuée, sans différence pour les caractéristiques dans les deux groupes, et le étude clinique randomisée (RCT), les sujets appartenant à la population faisant l’objet de l’étude sont distribués de façon aléatoire (par exemple à l’aide d’enveloppes fermées) entre groupe(s) expérimental(aux) et groupe(s)-témoin. L’allocation en aveugle se réfère au fait que l’on tient secrète (ou aveugle) la répartition des patients entre les différents groupes constitués pour la recherche. Cela signifie que celui qui constitue les groupes (par exemple en distribuant les enveloppes) ne connaît pas le contenu de l’enveloppe et que le code ne peut pas être identifié. De cette manière on évite le biais d’attribution (ou d’allocation).">secret de l’attribution est bien respecté. L’analyse est faite en intention de traiter. Il faut souligner que le recrutement en Europe de l’Ouest fut très difficile et globalement marginal (2% de la population totale d’étude), malgré l’accès des chercheurs au réseau Syst-Eur. Les populations esteuropéennes (Bulgarie, Roumanie, Russie) et chinoises sont mieux représentées : respectivement 56% et 39% de l’échantillon. Cette constatation pose question pour l’extrapolabilité des résultats à nos patients vus en médecine générale en Belgique. Il s’agit aussi de personnes âgées en bonne santé : seuls 11,8% présentent une anamnèse cardiovasculaire, environ 7% un diabète et leur IMC moyen est situé juste sous les 25 kg/m².

Les auteurs soulignent à juste titre que la détermination de la cause de décès dans cette population âgée est souvent très difficile : des critères stricts ne sont pas correctement transmis. Nous pouvons craindre que ce problème soit encore plus important dans des pays disposant de moins de possibilités techniques que dans les pays de l’Ouest. Cette détermination est pourtant fort importante pour la fiabilité des résultats et des conclusions.

Interprétation et mise en perspective des résultats

Une importante synthèse a montré qu’une diminution de la PAS moyenne de 20 mmHg réduit le risque d’AVC de 62% chez des patients âgés de 50 à 59 ans, pour une réduction limitée à 33% entre 80 et 89 ans (2). Le bénéfice est à mettre en balance avec le risque potentiel d’une augmentation de la mortalité globale, comme effectué dans la méta-analyse INDANA précitée (1), méta-analyse regroupant les données de tous les patients âgés d’au moins 80 ans inclus dans les études d’intervention importantes pour les médicaments antihypertenseurs. Les auteurs de cette méta-analyse ont pu acquérir auprès des différents chercheurs des études originales les données individuelles des patients inclus (au total 1 670). Ils observent une diminution significative du nombre d’AVC (RRR 34% ; IC à 95% de 8 à 52) mais pas de la mortalité globale (RRR 6% ; IC à 95% de -5 à 18). Le comble est que l’étude pilote menée pour HYVET montrait une tendance similaire (3). Cette étude effectuée dans 10 centres européens était en protocole ouvert et incluait 1 283 personnes hypertendues âgées d’au moins 80 ans, randomisées dans des groupes traités par diurétique, lisinopril ou placebo. Du diltiazem pouvait être ajouté, si nécessaire. Elle montrait aussi une diminution significative du nombre d’AVC (HR 0,47 ; IC à 95% de 0,24 à 0,93), mais une tendance à une augmentation de la mortalité globale (HR 1,23 ; IC à 95% de 0,75 à 2,01). Pour chaque AVC prévenu, un décès pour une autre cause était possible !

Il nous semble étonnant que l’étude HYVET ait été brusquement arrêtée pour une raison éthique, en raison d’une différence de mortalité globale (inattendue) entre les deux groupes. Lors du premier rapport intermédiaire, 2 ans auparavant, cette observation n’était pas faite ; la réduction des AVC (attendue) n’était pas encore significative. La diminution de la mortalité globale dans une étude d’intervention pour un traitement antihypertenseur est exceptionnelle ; seule l’étude ouverte STOP de Dahlof a pu montrer une telle diminution (4). Une explication possible pour cette observation est l’intérêt particulier de l’indapamide, analogue thiazidique, éventuellement associé au périndopril (25% de traitement par indapamide seul) dans la prévention de l’insuffisance cardiaque. Dans l’étude HYVET, les résultats pour la prévention de l’insuffisance cardiaque sont particulièrement bons : HR 0,36 (IC à 95% de 0,22 à 0,58 ; p<0,001). En comparaison, l’étude Syst-Eur évaluant un antagoniste calcique comme traitement initial, ne montrait pas de diminution significative du nombre de cas d’insuffisance cardiaque (29%). Par contre, l’étude SHEP (5), évaluant un diurétique thiazidique, montre une diminution des cas d’insuffisance cardiaque : HR 0,51 (IC à 95% de 0,37 à 0,71 ; p<0,001).

 

Conclusion

Cette étude HYVET concernant des personnes âgées d’au moins 80 ans et hypertendues, montre l’intérêt d’un traitement antihypertenseur par de l’indapamide à libération prolongée, éventuellement associé au périndopril, en termes de diminution de la mortalité globale et surtout de l’insuffisance cardiaque. Elle inclut cependant une population peu représentative pour nous (en forte majorité pas la population des pays de l’ouest, personnes âgées en bonne santé). Un traitement antihypertenseur par diurétique thiazidique ou apparenté, pourrait être prescrit aux personnes âgées d’au moins 80 ans vivant dans les pays d’Europe de l’ouest, dans la mesure où il est conforme aux recommandations de bonne pratique (6).   

 

Références

  1. Oates DJ, Berlowitz DR, Glickman ME, et al. Blood pressure and survival in the oldest old. J Am Geriatr Soc 2007;55:383-8.
  2. Lewington S, Clarke R, Qizilbash N, et al; Prospective Studies Collaboration. Age-specific relevance of usual blood pressure to vascular mortality: a meta-analysis of individual data for one million adults in 61 prospective studies. Lancet 2002;360:1903-13.
  3. Bulpitt CJ, Beckett NS, Cooke J, et al; Hypertension in the Very Elderly Trial Working Group. Results of the pilot study for the Hypertension in the Very Elderly Trial. J Hypertens 2003;21:2409-17.
  4. Dahlöf B, Lindholm LH, Hansson L, et al. Morbidity and mortality in the Swedish Trial in Old Patients with Hypertension (STOP-Hypertension). Lancet 1991;338:1281-5.
  5. Kostis JB, Davis BR, Cutler J, et al. Prevention of heart failure by antihypertensive drug treatment in older persons with isolated systolic hypertension. SHEP Cooperative Research Group. JAMA 1997;278:212-6.
  6. De Cort P, Philips H, Govaerts F, Van Royen P. Recommandation de Bonne Pratique. L’hypertension. SSMG 2004.
Traitement de l’hypertension chez les personnes âgées d’au moins 80 ans



Ajoutez un commentaire

Commentaires