Revue d'Evidence-Based Medicine
Pratiquer une spirométrie pour influencer l’arrêt tabagique ?
Résumé
Contexte
L’arrêt tabagique est la seule intervention ayant montré un effet favorable sur le décours et le pronostic de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Un « âge pulmonaire » peut être déterminé à la spirométrie : âge moyen des individus ayant une même valeur de volume expiratoire maximal par seconde (VEMs) que la personne évaluée. Nous ne savions pas si la communication des résultats de la spirométrie et de l’âge pulmonaire peut influencer favorablement le taux d’arrêt tabagique.
Population étudiée
- 561 patients (47% d’hommes), de 53 ans (ET 12) d’âge moyen, fumeurs connus dans les 12 derniers mois, recrutés dans 5 pratiques de médecine générale en Angleterre
- critères d’exclusion : oxygénothérapie, antécédent de cancer du poumon, tuberculose, asbestose, silicose, bronchiectasies, pneumonectomie
- caractéristiques : en moyenne 30 paquets-années, VEMs moyen à 90% (ET 20) des valeurs prédites, indice de Tiffeneau moyen de 74 (ET 12).
Protocole d’étude
- étude randomisée, contrôlée
- spirométrie effectuée pour tous les participants
- attribution aléatoire soit dans un groupe intervention (n=280) recevant immédiatement le résultat pour leur âge pulmonaire sur un graphique de Fletcher et Peto (1), soit dans un groupe contrôle (n=281) ne recevant pas cette information précise
- 4 semaines après ce contact, envoi postal avec les résultats de la spirométrie, avec mention de l’âge pulmonaire pour le groupe intervention et seule mention du VEMs pour le groupe contrôle ; pour les deux groupes, recommandation d’arrêt du tabac avec fourniture d’adresses de contact de services locaux du système de soins de santé (NHS) offrant des services d’aide à l’arrêt du tabac.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : arrêt du tabac après 12 mois, confirmé par la mesure du CO respiratoire et de la cotinine salivaire
- critères secondaires : modification de consommation tabagique quotidienne avouée, survenue de nouveau diagnostic
- analyse en intention de traiter.
Résultats
- sorties d’études : 11,2% sans différence entre les groupes
- critère de jugement primaire, arrêt tabagique à 12 mois : 13,6% (38/280) dans le groupe intervention versus 6,4% (18/281) dans le groupe contrôle ; réduction absolue de risque RAR de 7,2% (IC à 95% de 2,2% à 12,1%; p=0,005), soit un NST de 14
- analyse en sous-groupe : pas de fréquence d’arrêt supérieure en cas d’âge pulmonaire plus péjoratif versus normal
- critères secondaires : consommation quotidienne avouée de cigarettes diminuant de 16,5 à 11,7 dans le groupe intervention et de 17,4 à 13,7 dans le groupe contrôle ; valeur p=0,03 pour la différence
- recours à d’autres aides pour l’arrêt (services de soins de santé, substitut nicotinique, bupropion, acupuncture, hypnose) : 10,7% dans le groupe intervention, 7,8% dans le groupe contrôle.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que la communication aux fumeurs de l’âge pulmonaire déterminé à la spirométrie augmente significativement la chance de l’arrêt tabagique, tout en soulignant que le mécanisme par lequel cette intervention agit n’est pas clair.
Financement
Research award from the Health Foundation.
Conflits d’intérêt
Aucun n’est déclaré.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette étude prospective, randomisée, effectuée en première ligne de soins, est bien détaillée et évalue l’arrêt tabagique au moyen de tests biochimiques. Les chercheurs ont effectué une spirométie chez tous les participants, ce qui leur a permis d’estimer avec précision l’efficacité de la communication des résultats de la spirométrie mais surtout de l’âge pulmonaire sur la proportion d’arrêt tabagique. Cette spirométrie répond aux critères de qualité formulés dans le guide de pratique de la British Thoracic Society et est effectuée avec un seul type d’appareil. L’évaluation des résultats est effectuée en insu de l’intervention. Les résultats donnés pour des analyses en sous-groupes ne reposent pas sur une puissance suffisante.
Interprétation des résultats
Un an après la spirométrie, environ le double de sujets avaient arrêté de fumer s’ils avaient été confrontés à leurs données exprimées en âge pulmonaire, avec un NST de 14. L’intervention ne se résume cependant pas à cette communication initiale d’un chiffre : l’information est située sur un graphique de Fletcher et Peto avec explications sur l’effet du tabac sur les valeurs mentionnées. Quatre semaines après ce contact, une lettre individualisée leur rappelle les données, particulièrement l’âge pulmonaire. Pour le groupe contrôle, seul le VEMs est communiqué, sans commentaire. Des recommandations pour l’arrêt du tabac sont faites dans les deux groupes.
Autres études
Une synthèse méthodique réalisée en 2007 a isolé 7 RCTs évaluant l’effet de la communication des résultats de la spirométrie sur l’arrêt tabagique (2). Les auteurs de cette synthèse concluent à des preuves insuffisantes pour montrer une efficacité substantielle. Ils insistent sur le fait que ceci ne signifie pas une absence d’efficacité mais bien une absence de preuve irréfutable d’efficacité. Dans 6 des 7 RCTs, le pourcentage d’arrêt du tabagisme est supérieur dans le groupe intervention versus groupe contrôle, et cette observation est statistiquement significative dans 4 études. La seule étude qui évalue de manière indépendante l’efficacité de la spirométrie sur l’arrêt du tabac ne montre cependant pas d’efficacité. Toutes les études montrent des limites méthodologiques : randomisation peu claire, populations trop faibles, mauvaise observance et nombreuses sorties d’étude, arrêt du tabac sur déclaration individuelle non certifiée par test biochimique, imprécision sur le processus de communication des résultats de spirométrie. En outre, il est difficile d’évaluer séparément l’effet de la réalisation d’une spirométrie, d’autres interventions d’aide à l’arrêt tabagique étant simultanément effectuées, comme dans cette étude-ci. D’autres études plus récentes montrent des résultats contradictoires ainsi que des problèmes de méthodologie (3-5). Pour ces motifs, un récent guide de pratique de l’US Preventive Services Task Force recommande de ne pas pratiquer de spirométrie pour le dépistage de la BPCO chez les adultes, quel que soit leur status tabagique (6).
Pour la pratique
Cette étude montre que la réalisation d’une spirométrie qualitativement standardisée peut contribuer à l’arrêt tabagique. Il est important d’être conscient que pour l’obtention de résultats aussi favorables dans la pratique, il ne suffit pas de communiquer au patient son âge pulmonaire, mais que l’ensemble de l’intervention doit être réalisé : communication immédiate d’une information personnalisée comprenant les données de l’âge pulmonaire, données situées sur le graphique de Fletcher et Peto, influence du tabagisme sur ces données, envoi d’un rapport des résultats spirométriques accompagné de recommandations pour l’arrêt du tabagisme après 4 semaines.
Pour la pratique, deux importantes difficultés demeurent : comment réaliser des mesures spirométriques fiables en pratique courante et comment en communiquer les résultats, plus particulièrement cette notion d’âge pulmonaire, soit verbalement, soit sur un graphique, de manière compréhensible pour renforcer la motivation du patient à arrêter de fumer ? L’utilité éventuelle de cette spirométrie avec communication de l’âge pulmonaire pour aider au sevrage tabagique ne peut pas être étendue à la réalisation d’une spirométrie de dépistage chez tout patient non fumeur actif à la recherche d’une BPCO asymptomatique par absence de preuve d’un bénéfice.
Conclusion
Cette étude montre que le fait de communiquer au patient fumeur son âge pulmonaire estimé peut être bénéfique pour l’arrêt du tabac, dans le cadre d’une intervention structurée. Le fait de pratiquer une spirométrie et de commenter l’âge pulmonaire estimé en fonction du tabagisme, avec un rappel écrit quatre semaines plus tard, accompagné de recommandations pour l’arrêt, permet un arrêt du tabagisme un an après la spirométrie pour environ le double de patients que ceux recevant la même intervention mais sans la communication de l’âge pulmonaire. Il reste à comparer cette intervention bénéfique dans cette étude à d’autres interventions pour l’arrêt du tabagisme.
Lien vers l'article original dans le BMJ
Références
- Fletcher C, Peto R. The natural history of chronic airflow obstruction. BMJ 1977;1:1645-8.
- Wilt TJ, Niewoehner D, Kane RL, et al. Spirometry as a motivational tool to improve smoking cessation rates: a systematic review of the literature. Nicotine Tob Res 2007;9:21-32.
- Bednarek M, Gorecka D, Wielgomas J, et al. Smokers with airway obstruction are more likely to quit smoking. Thorax 2006;61:869-73.
- Buffels J, Degryse J, Decramer M, Heyrman J. Spirometry and smoking cessation advice in general practice: a randomised clinical trial. Respir Med 2006;100:2012-7.
- Stratelis G, Molstad S, Jakobsson P, Zetterström O. The impact of repeated spirometry and smoking cessation advice on smokers with mild COPD. Scand J Prim Health Care 2006;24:133-9.
- U.S. Preventive Services Task Force. Screening for chronic obstructive pulmonary disease using spirometry: U.S. Preventive Services Task Force recommendation statement. Ann Intern Med 2008;148:529-34.
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