Revue d'Evidence-Based Medicine



Traitement médicamenteux individualisé et preuves dans la littérature



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 3 Page 29 - 29

Professions de santé


 

Les médecins généralistes sont essentiellement préoccupés d’une médecine individualisée. Pour garantir que chaque patient bénéficie de la meilleure prise en charge, le médecin adapte ses diagnostics et traitements, en se basant sur toutes les informations et sur l’expérience dont il dispose. Cette approche intuitive croît avec le nombre d’années de pratique, mais reste anecdotique (1).

Cette approche est apparemment en contraste flagrant avec la prise en charge uniforme propagée par un nombre sans cesse croissant de recommandations qui reflètent les meilleures preuves possibles issues des méta-analyses, synthèses méthodiques et RCTs. Le patient moyen tel que décrit dans les études cliniques ne peut être extrapolé à tous les patients. De plus, peu d’études sont réalisées avec certains groupes de patients tels les patients fort âgés, les patients avec des pathologies multiples (et leurs co-médications) et avec des affections rares. En réponse à cette observation, naît un nouveau paradigme de médecine personnalisée.

 

Une définition très stricte de la « médecine personnalisée » la cerne comme ayant recours uniquement à des tests génétiques pour choisir la thérapeutique individuellement (2). Un nouveau domaine de recherche, la pharmacogénétique, se propose comme solution idéale pour distinguer des sous-groupes pouvant bénéficier d’un ou, au contraire, ne pas être améliorés par, un médicament précis. Cet aspect ne recouvre cependant qu’une faible partie de l’information clinique qui peut être assemblée pour un patient. En outre, chaque génome se traduit dans un phénotype et des facteurs environnementaux interviennent dans l’expression de certains gènes (3). Un exemple pour illustrer ce phénomène. L’hémochromatose est depuis longtemps attribuée à une mutation précise au niveau du gène HFE, observée chez 80% des personnes présentant une hémochromatose familiale. Cette affection est donc considérée comme un héritage homozygote mendélien classique d’une mutation à forte pénétration. Un dépistage effectué chez 40 000 personnes a montré 152 mutations homozygotes du gène HFE, mais une seule personne présentait le tableau clinique d’une hémochromatose. La consommation d’alcool pourrait être un facteur révélateur (2). Cet exemple montre que des caractéristiques génétiques ne représentent qu’une fraction de l’information utile pour le diagnostic et le traitement d’un patient. Parallèlement à des tests génétiques (impayables), il est théoriquement possible d’utiliser certaines caractéristiques phénotypiques pour guider des choix thérapeutiques.
Une interprétation plus large de la « médecine personnalisée » est préférable, qui consiste à prendre en compte toute information disponible (anamnestique, psychosociale, épidémiologique, diagnostique clinique et technique) pour opérer le meilleur choix thérapeutique individualisé (2).

 

Il est donc grand temps de dresser une carte au niveau de la pratique quotidienne, de préférence via un enregistrement électronique. Un trésor immense de données pourrait ainsi être constitué, qui pourrait, à son tour, servir à mieux cibler des analyses sur la pratique. Les patients eux-mêmes et certainement les pharmaciens peuvent y joindre leurs remarques et sensibilités, motivées ou non par la prise de médicaments. Outre des caractéristiques mesurables, des données plus subjectives et moins évidentes doivent être rassemblées. Les données subjectives demandent cependant à être bien définies.

      

Kohane Isaac de la Harvard Medical School (2) mentionne que deux questions concernant le patient sont importantes en médecine individualisée :

1. Qui est ce patient ou quelles sont les caractéristiques importantes de ce patient ?

et

2. A qui ressemble-t-il le plus ou à quel sous-groupe appartient-il ?

Ces deux questions sont liées : au plus précises sont les réponses à la première question, au plus précises seront celles pour la deuxième. Pour déterminer les caractéristiques pertinentes, nécessaires pour déterminer le sous-groupe thérapeutique, des informations sur les différents aspects du patient doivent être assemblées. Il est illusoire de penser que les seules précisions génétiques puissent déterminer le sous-groupe exact.

Ceci implique un revirement dans la récolte des données effectuée par les médecins, les pharmaciens et les autres travailleurs de la santé. Cette collecte doit devenir plus uniforme, les variables importantes doivent être déterminées via un feed-back, des réseaux de données doivent être mis sur pied pour la recherche et l’amélioration de la qualité, une analyse multivariée doit devenir la référence, les données doivent être contrôlées en matière d’erreur, de fraude, de caractère incomplet. Les mesures de protection contre tout abus d’utilisation et pour le respect de la vie privée du patient doivent être maximales (3,4).

En outre, toutes les firmes pharmaceutiques devraient être contraintes de fournir les données individuelles de leurs études à des institutions indépendantes, ce qui permettrait de réaliser des méta-analyses en sous-groupes. Enfin, les médecins et patients pourraient recueillir le fruit d’une prise en charge sur mesure via des aides à la décision par moyen informatique (4). Ce qui est actuellement intuitif et anecdotique deviendrait explicite et également disponible pour le médecin débutant.

 

Cette approche exige un effort important à tous les niveaux et, avant tout, un financement indépendant qui ne sera rentable qu’après plusieurs années. Ce défi ne peut être réalisé que dans le cadre d’une collaboration internationale. La première étape est la prise de conscience des autorités et des financeurs, des chercheurs, des médecins, des pharmaciens et des patients, avec un changement de mentalité et de méthode de travail.

Cette tâche peut paraître impossible ; l’élaboration de la carte génomique semblait aussi être une utopie.    

 

Références

  1. De Cort P. Evidence-based practice. MinervaF 2006;5(4):49.
  2. Kohane IS. The twin questions of personalized medicine: who are you and whom do you most resemble? Genome Med 2009;1:4.
  3. Oguamanam C. Personalized medicine and complementary and alternative medicine: in search of common grounds. J Altern Complement Med 2009;15:943-9.
  4. Downing GJ, Boyle SN, Brinner KM, Osheroff JA. Information management to enable personalized medicine: stakeholder roles in building clinical decision support. BMC Med Inform Decis Mak 2009;8:44.
Traitement médicamenteux individualisé et preuves dans la littérature

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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