Revue d'Evidence-Based Medicine
La pénicilline pour le mal de gorge aigu chez l'enfant?
Minerva 2004 Volume 3 Numéro 9 Page 149 - 151
Professions de santé
Résumé
Contexte
Nous savons que, chez des adultes nécessitant un traitement antibiotique pour leur mal de gorge, une cure de sept jours est préférable à un traitement de trois jours 1-3. Pour les enfants, ceci n'est pas établi.
Population étudiée
Sont sélectionnés, des enfants âgés de 4 à 15 ans souffrant de mal de gorge et suivis dans 43 pratiques de médecine générale aux Pays-Bas. Les critères d'inclusion sont: mal de gorge aigu de moins de sept jours de durée et au moins deux critères de Centor (voir encadré). Parmi les 308 enfants, 45 ont été exclus: en raison d'une menace d'abcès amygdalien (28), d'une scarlatine (9), de la prise d'antibiotique (9) ou d'intolérance à la pénicilline (2). L'âge moyen des enfants était de 10 ans, la moitié était des garçons et la durée moyenne de mal de gorge avant la première consultation de trois jours.
Les critères de Centor |
|
Critère |
Probabilité de GABHS+* |
Exsudat tonsillaire |
4 critères: 56% |
Ganglions cervicaux |
3 critères: 33% |
Absence de toux |
2 critères: 16% |
Fièvre |
1 critère: 7% 0 critère: 3% |
* 10 à 30% des GABHS positifs sont des porteurs sains
Protocole d'étude
Cette étude randomisée, en double aveugle, contrôlée ver sus placebo, inclut finalement 156 patients répartis en trois groupes: pénicilline V durant sept jours (n=46) ou trois jours (n=54), ou un placebo (n=56). Le dosage est de 250 mg par capsule trois fois par jour pour les enfants jusqu'à 10 ans et 500 mg trois fois par jour pour les enfants d'au moins 11 ans. Un frottis de gorge est réalisé à la randomisation et après deux semaines. Un journalier est tenu par les parents, mentionnant l'absentéisme scolaire et les effets indésirables possibles de la pénicilline. Un dernier contrôle téléphonique est effectué après six mois. Pour mettre en évidence une différence d'un jour sur la durée des symptômes, avec un niveau de signification de 5% et avec une puissance de 90%, chaque groupe devait comporter au moins 52 enfants. L'analyse s'est faite en intention de traiter. Mesure des résultats Le critère de jugement primaire est la durée des symptômes (nombre de jours pour la disparition de la douleur). Les critères de jugement secondaires sont: prise d'analgésiques, absentéisme scolaire, complications locales (abcès rétroamygdalien) et récidive dans les premiers six mois.
Résultats
Aucune différence significative n'est observée pour la durée du mal de gorge entre les groupes recevant de la pénicilline durant sept jours (3,8 jours; IC à 95% de 3,2 à 4,4) et le groupe placebo (3,8 jours; IC à 95% de 3,3 à 4,3). En cas de présence de streptocoque ß-hémolytique A (GABHS), (n=96), le mal de gorge guérit plus vite dans le groupe pénicilline sept jours, versus placebo, avec un gain de 0,5 jour (-1,5 à 0,6) mais ceci n'est pas statistiquement significatif. Dans le groupe pénicilline trois jours, ce délai de guérison est au contraire plus long de 1,3 jours (0,2 à 2,4). Aucune différence n'est observée pour l'absentéisme scolaire (2,4 à 2,8), le nombre de récidives dans les six premiers mois, la consommation d'analgésiques ou les effets indésirables. Une efficacité sur l'éradication du GABHS est cependant observée: 68% dans le groupe pénicilline sept jours, pour respectivement 35% et 28% dans les groupes pénicilline trois jours et placebo (p=0,003). Onze enfants ont présenté une complication: abcès rétro-amygdalien (9), scarlatine (1), impétigo (1), dont un dans le groupe pénicilline sept jours, deux dans le groupe pénicilline trois jours et huit dans le groupe placebo. Aucun de ces enfants n'a dû être référé.
Conclusion des auteurs
Les auteurs de cette étude concluent que la pénicilline n'a pas d'effet favorable sur la durée moyenne des symptômes chez les enfants présentant un mal de gorge. La pénicilline semble cependant diminuer le nombre de complications.
Financement
L'étude est financée par la sécurité sociale et le Stichting Gezondheidsonderzoek, Ysselmond (Pays-Bas).
Conflits d'intérêt
Aucun n'est déclaré.
Discussion
Lacune comblée
Le mal de gorge est un problème fréquemment rencontré en médecine générale (1 à 3%) où il est presque exclusivement géré. Des recommandations existent sur ce sujet précis, dans de nombreux pays 1,2. Cette étude a le principal avantage de combler une lacune: peu d’études se sont intéressées à la durée optimale d'un traitement par pénicilline chez les enfants. Les mêmes auteurs avaient montré l'intérêt de choisir un traitement de sept plutôt que de trois jours chez les adultes 3. Cette étude-ci est l'exemple d'une RCT correctement menée en première ligne de soins et répondant à un manque dans notre arsenal thérapeutique. Deux observations sont cependant à faire, l'une concernant le début, l'autre concernant la fin de l’étude.
Les critères de Centor mis en question
Les auteurs utilisent les critères-mêmes de Centor comme critères d’exclusion: tous les enfants ne présentant pas au moins deux critères de Centor sont bannis de l'étude. Etonnant! Depuis les travaux de Centor, ces critères ont été évalués par différents auteurs et jugés trop faibles. Hjortdahl et coll. 4 arrivaient, déjà en 1988, à la conclusion qu'il était préférable de jouer à pile ou face, et confirmaient ainsi l'ancien adage de Feinstein: «The only typical feature of streptococcal infections is their failure to show a single consistent, typical feature» 5. Les auteurs introduisent un biais dans leur recherche. Celle-ci ne concerne plus les "patients présentant un mal de gorge" et "les patients avec un frottis GAHBS positif " mais "les enfants se plaignant d'un mal de gorge et présentant au moins deux critères de Centor". Deux critères sont exigés, alors que trois étaient nécessaires pour les mêmes auteurs dans leur recherche chez les adultes 3. Aucun motif scientifique n'est avancé. Little pointe également cette lacune dans ses commentaires 6, et prolonge la réflexion. Le plus important n'est pas de savoir s'il y a un streptocoque, vu l'existence de porteurs sains, mais de savoir s’il s'agit d'une infection active due à un streptocoque. Une élévation du titre des ASLO en est le golden standard. Pour ce motif, le frottis de gorge et le streptest ne sont pas de bons outils diagnostiques. Leur sensibilité respective est de 90% et 65%. En tenant compte des porteurs sains de streptocoques, cette sensibilité est en réalité encore plus basse. Une étude récente 7 montre (une fois encore) que l'utilisation des critères de Centor peut avoir un impact sur le nombre de prescriptions antibiotiques (critère faible) mais, pour les raisons énumérées plus haut, pas sur les résultats cliniques des patients (critères forts) 7. Cette étude a sélectionné ses sujets sur la base d'au moins trois critères de Centor et non deux 8 .
La pénicilline prévient-elle l'abcès rétro-amygdalien?
Une synthèse Cochrane 8 mentionne que certaines études rapportent des abcès rétro-amygdaliens, mais sans augmentation significative dans le groupe placebo. En suivant les conclusions des auteurs de l'étude analysée ici, le BMJ se laisse également emporter en mentionnant dans l'encart "What this study adds": «Penicillin-V may reduce the development of streptococcal sequelae such as quinsy, scarlet fever or impetigo». Un seul cas de scarlatine et d'impétigo sont observés. Parmi les neufs complications, trois surviennent dans les groupes pénicilline pour six dans le groupe placebo. Les auteurs écrivent eux-mêmes que la puissance de cette étude est trop faible pour en tirer des conclusions et que ces séquelles peuvent être parfaitement traitées au moment du diagnostic: «la prévention de ces séquelles n'est pas une indication pour une antibiothérapie». Une remarque encore sur le nombre et la prise en charge des abcès rétro-amygdaliens. Parmi les 45 enfants exclus, 28 le sont pour abcès rétro-amygdalien. Ajoutés aux neufs cas observés en cours d'étude, l'incidence en est énorme. Etonnement, les cas mentionnés n'ont fait l'objet d'aucune référence, ce qui est en contradiction avec les recommandations du NHG-standaard 1 .
Aucune efficacité
La constatation la plus remarquable de cette étude est l'absence observée du moindre effet du traitement sur la durée des symptômes, ce qui est en contradiction avec les observations réalisées chez des adultes, pour lesquels un gain d’un à deux jours a été rapporté, en Belgique également 3,8,9. Les auteurs supposent que cette observation est causée par le plus grand nombre de porteurs sains chez les enfants (30% versus 7% chez les adul tes) 10. Entre des cures de trois et de sept jours, aucune différence n'est également observée sur l'évolution clinique, tout en notant une différence significative sur l'éradication des streptocoques. Avec raison, les auteurs n'attachent cependant aucune importance clinique à cette dernière observation.
Recommandations pour la pratique
Cette étude conclut à l'absence d'efficacité de la pénicilline sur la durée des symptômes, sur l'utilisation d'analgésiques, sur l'absentéisme scolaire ou sur les récidives chez les enfants présentant un mal de gorge et au moins deux critères de Centor. Aucune différence également dans l'efficacité clinique d’une cure de trois versus sept jours. Les conclusions des Recommandations de Bonne Pratique belges restent donc valables. La règle est de ne pas prescrire d'antibiotique en cas de mal de gorge aigu, excepté chez des patients fort malades ou à risque 2. Si un traitement par pénicilline est indiqué, une cure de sept jours est recommandée.
La rédaction
Références
- Dagnelie C, Zwart S, Balder F et al. NHG- Standaard Acute keelpijn. Huisarts Wet 1999;42:271-8.
- De Meyere M, Matthys J. Mal de gorge aigu. Recommandation de Bonne Pratique. BAPCOC, SSMG, WVVH 2001.
- Zwart S, Sachs S, Ruijs G et al. Penicillin for acute sore throat: randomised double blind trial of seven days versus three days treatment or placebo in adults. BMJ 2000;320:150-4.
- Hjortdahl P, Lærum E, Mowinckel P. Clinical assessment of pharyngitis in general practice. Scand J Prim Health Care 1988;6:219-23.
- Feinstein A, Spagnuolo M. Sore throats, streptococcal infections, and prevention of rheumatic fever. J Chronic Dis 1962;15:623-33.
- Little P. Commentary: More valid criteria may be needed. BMJ 2003;327:1327-8.
- McIsaac WJ, White D, Tannenbaum D, Low DE. A clinical score to reduce unnecessary antibiotic use in patients with sore throat. CMAJ 1998;158:75-83.
- Del Mar CB, Glasziou PP, Spinks AB. Antibiotics for sore throat (Cochrane Review). In: The Cochrane Library, Issue 2, 2004. Chichester, UK: John Wiley & Sons, Ltd.
- De Meyere M, Mervielde I, Verschraegen G, Bogaert M. Effect of penicillin on the clinical course of streptococcal pharyngitis in general practice. Eur J Clin Pharmacol 1992;43:581-5.
- Zwart S, Ruijs GJHM, Sachs APE et al. Betahaemolytic streptococci isolated from acute sore-throat patients: cause or coincidence? A case-control study in general practice. Scand J Infect Dis 2000;32:377-84
Auteurs
De Meyere M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
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Glossaire
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