Revue d'Evidence-Based Medicine



L’agomélatine...



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 9 Page 105 - 105

Professions de santé


 

 

Les chercheurs qui réalisent des synthèses méthodiques et des méta-analyses sont souvent confrontés à des données indisponibles ou non contrôlables (1). Ces dernières années, les revues médicales ont consacré de nombreux articles au problème du biais de notification et de publication dans la présentation des résultats de recherche. Différentes initiatives ont déjà été prises pour lutter contre cette forme de biais, comme l’enregistrement obligatoire des essais cliniques, la déclaration des conflits d’intérêt dans les publications et la rédaction de recommandations destinées aux auteurs (2).

Une synthèse méthodique ou une méta-analyse ne peut être publiée dans une revue médicale renommée que si elle satisfait aux critères PRISMA (3). Ce qui n’est par contre pas obligatoire pour une revue narrative, de sorte que la présentation des résultats de l’étude puisse être trompeuse. La revue de la littérature effectuée par Hickie et coll. sur l’utilité des médicaments contenant de la mélatonine dans le traitement de la dépression majeure en est un exemple type (4). Dans cet article, les auteurs accordent une attention particulière à l’agomélatine (Valdoxan®), un agoniste de la mélatonine qui bénéficie d’un enregistrement européen depuis 2009 pour le traitement de la dépression majeure chez l’adulte. Pour montrer un effet, ils utilisent, pour l’agomélatine, également des données non publiées, ce qui n’est pas le cas pour le rameltéon et le tasimeltéon. Ils présentent, sous forme de tableau, les résultats de dix études contrôlées versus placebo, dont la moitié comporte également un groupe recevant un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine. Il ressort de cette revue que les cinq études publiées (n=2 245) indiquent toutes un avantage statistiquement significatif de l’agomélatine, à raison de 25 ou 50 mg par jour, par rapport au placebo. La différence entre les scores moyens sur l’échelle de dépression de Hamilton (Hamilton Rating Scale for Depression, HRSD) avant et après le traitement variait de 0,6 à 3,2 points. D’après les recommandations du NICE, cette différence n’est pas cliniquement pertinente (5). Par l’intermédiaire de l’Agence européenne des médicaments (EMA), les auteurs ont également trouvé cinq études non publiées (n=2 124). Toutefois aucune d’entre elles n’a pu établir une différence statistiquement significative entre l’agomélatine et le placebo sur l’échelle HRSD. Pour montrer un effet sur la prévention des rechutes, les auteurs ont eu recours à trois essais, dont un seul a été publié. Ici de même, les deux études non publiées, contrairement à l’étude publiée, n’ont trouvé aucune différence entre le placebo et l’agomélatine en ce qui concerne la prévention des rechutes. Les chiffres repris dans les tableaux contrastent donc vivement avec la conclusion peu nuancée des auteurs, qui affirment que l’agomélatine a des effets antidépresseurs cliniquement pertinents et que le nombre de rechutes est moins important chez les patients sous agomélatine.

Au lendemain de la publication en ligne de la revue, un article intitulé « L’agomélatine, un antidépresseur efficace » a été publié sur le site Internet de Medisch Contact (6), ce qui illustre bien comment la publication dans une revue renommée telle que le Lancet peut rapidement mener à la diffusion de messages trop peu nuancés. Les délégués médicaux, eux aussi, ne tardent pas à exploiter les articles de ce genre pour propager leur message commercial. Plusieurs années avant la publication de l’article de Hickie et coll., des sources issues de l’ISDB (International Society of Drug Bulletins) avaient déjà émis des observations critiques à propos de l’enregistrement de l’agomélatine pour le traitement de la dépression majeure (7,8).

Début 2012 ont paru enfin dans le Lancet quelques réactions critiques de la part des lecteurs à propos de cette revue. Toutes mettaient en doute la façon dont les données sont présentées et font mention d'un biais de publication et de conflits d'intérêt (9). Malheureusement, les lecteurs remarquent moins facilement ces réactions que les publications originales, tandis que le message de la publication originale s'est largement répandu au moment de la parution de ces réactions. Non seulement il est invraisemblable que la revue par des pairs du Lancet n'ait pas découvert les lacunes dans la publication, il est également inquiétant qu'il fallut attendre neuf mois avant la parution dans le Lancet des réactions critiques.

Comment expliquer pourquoi les éditeurs du Lancet ont fait publier une étude fort tendancieuse d'une façon si peu nuancée ? Il est important de savoir que les revues se rétribuent en partie grâce aux réimpressions. La citation fréquente d'une publication n'est pas seulement susceptible d'augmenter le facteur d'impact de la revue, mais augmente aussi la demande de réimpressions. Dans leur étude de cohorte impliquant six revues renommées, Lundh et coll. ont trouvé une association positive entre la publication d'études sponsorisées par l’industrie et le facteur d'impact de la revue (10). Les auteurs ont également sollicité des informations sur les revenus de la revue. Pour le Lancet, pas moins de 41% des revenus provenaient de réimpressions, pour le BMJ il ne s’agissait que de 3%.

Les dernières années, les rédacteurs de revues médicales ont investi beaucoup de temps et d'énergie à rendre plus transparents les conflits d'intérêt des auteurs. Il revient maintenant aux éditeurs eux-mêmes de rendre publics leurs propres intérêts financiers et ceux de leurs employés (11).

 

 

Références

  1. Lemiengre M. Que sont les données devenues ? MinervaF 2011;10(7):79.
  2. Kassirer J. Flaws in the medical literature: who's to blame? Arch Immunol Ther Exp 2010;58:395-7.
  3. Liberati A, Altman DG, Tetzlaff J, et al. The PRISMA Statement for Reporting Systematic Reviews and Meta-Analyses of Studies That Evaluate Health Care Interventions: Explanation and Elaboration. PLoS Med 2009;6:e1000100.
  4. Hickie I, Rogers N. Novel melatonin-based therapies: potential advances in the treatment of major depression. Lancet 2011;378:621-31.
  5. Declercq T, Poelman T. Dépression mineure : antidépresseurs et benzodiazépines efficaces ? MinervaF 2011;10(7):84-5.
  6. Hordijk M. Agomelatine efficiënt antidepressivum. Medisch Contact 2011;21:1331.
  7. Bijl D. Agomelatine. Geneesmiddelenbulletin 2010;44:42-43.
  8. Agomélatine (Valdoxan). Des risques, mais pas d'efficacité prouvée. Rev Prescr 2009;29:646-50.
  9. Novel melatonin-based treatments for major depression. Lancet 2011;379:215-9.
  10. Lundh A, Barbateskovic M, Hróbjartsson A, Gøtzsche PC. Conflicts of interest at medical journals: the influence of industry-supported randomised trials on journal impact factors and revenue - cohort study. PLoS Med 2010;7:e1000354.
  11. Marcovitch H. Editors, publishers, impact factors, and reprint income. PLoS Med 2010;7:e1000355.
L’agomélatine...



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