Revue d'Evidence-Based Medicine
Fibromyalgie : efficacité de traitements non médicamenteux sur la douleur ?
Texte publié sous la responsabilité de la rédaction francophone
Contexte
La douleur diffuse chronique, élément majeur de la fibromyalgie, est cause de morbidité très importante. L’efficacité clinique de la thérapie cognitive comportementale (TCC) et de séances d’exercices dans des services de soins de première ligne chez des patients souffrant de douleurs diffuses est avancée mais les synthèses méthodiques et méta-analyses montrent des résultats parfois discordants (1). L’offre de thérapie cognitive comportementale est insuffisante, et une dispensation par téléphone (TCCT) pourrait être une alternative. Une comparaison de ces deux approches ainsi que d’une intervention les associant, versus soins courants, restait donc importante au vu des données actuelles.
Résumé
Population étudiée
- patients d’au moins 25 ans, recrutés dans 8 centres de pratique générale (1 en Ecosse et 7 en Angleterre) identifiés comme souffrant de douleur diffuse chronique, selon les critères de fibromyalgie de l’American College of Rheumatology, pour laquelle ils avaient consulté leur médecin traitant au cours de l’année précédente
- parmi 45 994 patients qui ont reçu un questionnaire, 878 l’ont renvoyé complété et étaient éligibles et 442 ont été finalement inclus (moins d’un % de la population ciblée) ; âge moyen de 55 à 57 ans, 72 à 80% de femmes
- critères d’exclusion : trouble psychiatrique sévère (suicidaire ou psychotique), incapacité de participer à l’intervention, contre-indication à l’exercice ou à l’intervention, douleur thoracique à l’effort, syncope, épilepsie non contrôlée, fracture récente.
Population étudiée
- patients ≥25 ans, recrutés dans 8 centres de pratique générale (1 en Ecosse et 7 en Angleterre) souffrant de douleur diffuse chronique, selon les critères de fibromyalgie de l’American College of Rheumatology, motif de consultation au cours de l’année précédente
- 45 994 patients ont reçu un questionnaire par voie postale, 878 le complètent et sont éligibles ; 442 inclus (<1 % de la population ciblée) ; âge moyen de 55 à 57 ans, 72 à 80% de femmes
- critères d’exclusion : trouble psychiatrique sévère (suicidaire ou psychotique), incapacité de participer à l’intervention, contre-indication à l’exercice ou à l’intervention, douleur thoracique à l’effort, syncope, épilepsie non contrôlée, fracture récente.
Protocole d’étude
- étude randomisée, contrôlée
- randomisation des patients qui ont accepté de participer à l’étude entre 4 bras :
- « traitement habituel » (TH) proposé par le médecin de famille, mais non enregistré (n=109)
- TCCT (par 4 thérapeutes, dont 1 en France, 1 au Canada, 1 en Irlande, 1 en Angleterre) + TH : évaluation initiale, 7 séances hebdomadaires (de 30 à 45 minutes), puis 1 séance à 3 mois et 1 à 6 mois, distribution d’un manuel (n=112)
- programme d’exercices de gymnastique (durée recommandée de 20 à 60 minutes, au moins 2 x/semaine) +TH. Une séance initiale puis 6 séances mensuelles conduites par un instructeur pour le suivi (n=109)
- intervention combinée (TCCT + exercices de gymnastique) + TH (n=112)
- durée des interventions : 6 mois.
Mesure des résultats
- critère de jugement primaire : échelle d’évaluation de 7 points (de beaucoup plus mal à beaucoup mieux), auto-administrée pour mesurer le changement de santé; scores 6 (mieux) et 7 (beaucoup mieux) jugés comme une amélioration cliniquement significative
- critères de jugement secondaires : échelles d’évaluation : fatigue (CPG), capacité de mobilisation, stratégies de coping (VPMI), sommeil (échelle de sommeil), plaintes psychiques (GHQ), peur de la mobilisation (TSK), santé mentale et physique (sur SF36), qualité de vie
- résultats mesurés par questionnaire envoyé par voie postale ou réalisé par téléphone en insu du traitement suivi, 6 mois et 9 mois après la randomisation
- ajustement pour : âge, genre, centre, degré de douleur chronique, résultats au questionnaire général de santé de départ
- calculs des Odds Ratio avec IC à 95% et du NST
- enregistrement des événements négatifs et étude des coûts
- analyse en intention de traiter fort modifiée : patients avec données complètes.
Résultats
- critère de jugement primaire à 6 mois et à 9 mois : voir tableau
- critères de jugement secondaires : après ajustement, amélioration significative attribuée au TCCT pour l’échelle de sommeil à 6 mois et pour le score SF36 à 9 mois, à l’intervention combinée pour le score SF36, le score VPMI et le score TSK
- QALY : pas de démonstration d’amélioration significative pour les diverses interventions à 6 et 9 mois.
Tableau. Résultats pour le critère de jugement primaire suivant les groupes (traitement habituel = TH, TH + thérapie cognitive comportementale par téléphone (TCCT), TH + exercices, TH + exercices + TCCT) exprimés en % et en Odds Ratio (OR) ajustés avec IC à 95% et NST.
|
TH n=109 |
TH + TCCT n=112 |
TH + exercices n=109 |
TH + exercices + TCCT n=112 |
||||
|
6 mois n=88 |
9 mois n=98 |
6 mois n=87 |
9 mois n=91 |
6 mois n=92 |
9 mois n=99 |
6 mois n=94 |
9 mois n=102 |
Beaucoup mieux |
8,1% |
8,3% |
29,9% |
32,6% |
34,8% |
24,2% |
37,2% |
37,1% |
Beaucoup mieux : OR ajustés (IC à 95%) |
|
|
5,0 (2,0-12,5) |
5,4 (2,3-12,8) |
6,2 (2,5-15,1) |
3,6 1,5-8,5) |
7,1 (2,9-17,2) |
6,2 (2,7-14,4) |
NST |
|
|
4 |
4 |
4 |
6 |
3 |
3 |
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que la thérapie cognitive comportementale délivrée par téléphone a donné des résultats substantiels, statistiquement significatifs et des améliorations durables dans l’évaluation globale des patients.
Financement
Prix de l’Arthritis Research UK, Chesterfield, R.-U.
Conflits d’intérêt des auteurs
Aaucun n’est déclaré
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Les auteurs ont tenté un véritable défi ; la définition, la sélection et l’évaluation de la douleur diffuse chronique ainsi que de sa prise en charge sont difficiles. En outre, en une seule étude, ils ont tenté de répondre à plusieurs questions !
L’étude est très détaillée. Les caractéristiques de la population et des interventions sont bien précisées. La randomisation paraît rigoureuse. Les quatre groupes randomisés étaient relativement homogènes, mais on n’a pas pris en compte le « traitement habituel », qui était une co-intervention et donc avec un risque de biais.
Il était bien entendu impossible de réaliser une étude en double aveugle. Mais d’autres éléments affaiblissent l’étude. Seuls 33,2% des patients contactés ont répondu au questionnaire de dépistage et parmi les 884 invités (les auteurs n’expliquent pas pourquoi 6 patients non éligibles ont été invités), 431 patients n’ont pu être contactés, ont refusé ou ne se sont pas présentés. Ces éléments affaiblissent la validité interne et externe de l’étude. Les résultats ont été examinés en régression logistique et sont rapportés en OR ajustés pour l’âge, le sexe, des scores initiaux (CPG, GHQ) et le centre de recrutement.
Le fait que l’évaluation ait été réalisée de deux manières différentes (auto-administrée ou réponse à un questionnaire par téléphone), a pu entraîner des biais supplémentaires.
Le problème majeur est l’analyse soi-disant en ITT modifiée mais n’incluant que les patients avec données complètes, ce qui équivaut à une analyse par protocole.
Interprétation des résultats
Les résultats présentés par les auteurs sont assez spectaculaires, mais il faut ici aussi apporter quelques nuances. On note un taux d’abandons relativement élevé (près de 20% dans le bras TCCT). Le traitement habituel prescrit par le médecin traitant n’était pas précisé. Les interventions proposées aux patients ont pu influencer les propositions du médecin traitant et le suivi de celles-ci. Les patients ont été recrutés dans des centres de première ligne de Grande-Bretagne, mais le fait que 3 des 4 thérapeutes offrant les séances par téléphone étaient basés en France, au Canada ou en Irlande laisse un peu perplexe. Il ne s’agit plus d’une intervention de soins de santé primaires. Dans les 4 groupes, les soins habituels sont poursuivis. Dans 3 groupes, une intervention autre est ajoutée. Il n’est pas étonnant, dans ce domaine de douleurs chroniques difficiles à soulager, qu’un nouveau traitement soit plus efficace que l’ancien ; l’amélioration est par ailleurs semblable dans les 3 groupes avec ajout d’un traitement. Le critère de jugement primaire est uniquement subjectif (amélioration déterminée par le patient). Les évaluations ont été réalisées à 6 mois (juste à la fin de l’intervention) et à 9 mois, ce qui est relativement court pour une pathologie chronique où importent surtout les effets à long terme. Les auteurs, cependant, présentent la brièveté de l’intervention comme une de ses forces.
Le fait de se voir offrir gratuitement l’aide d’un spécialiste (parfois basé à l’étranger) a pu entraîner un impact positif et même un sentiment de gratitude de certains patients qui a pu influencer les réponses en faveur des interventions offertes.
On peut questionner aussi l’acceptabilité des thérapies par téléphone dans d’autres contextes, dans d’autres cultures, ainsi que leur possibilité de financement.
Il y avait tellement de critères de jugement secondaires que le fait de trouver quelques résultats significatifs n’est sans doute pas très fiable ; un niveau de valeur p plus bas aurait pu être exigé pour corriger cette redondance.
Finalement, on peut se demander s’il n’aurait pas été plus simple de réaliser une étude comparant la thérapie cognitive comportementale par téléphone versus par contact direct.
Autres études
Nous avions déjà mentionné dans Minerva l’intérêt d’une participation à un programme d’exercices individualisé, progressif, de type gymnastique d’entretien pour des patients souffrant de fibromyalgie (2,3). De manière générale, les synthèses méthodiques reconnaissent au mieux des effets partiels et inconstants des différents traitements de la fibromyalgie. Différentes méta-analyses ont reconnu des bénéfices statistiques de certains traitements médicamenteux (duloxétine (4), gabapentine (5), prégabaline (6)) avec une pertinence clinique restant discutable. D’autres méta-analyses ont montré l’intérêt des exercices aérobies pour améliorer la capacité physique et certains symptômes (mais pas significativement la douleur) (7) et de certains traitements psychologiques dont la TCC sur la douleur, le status fonctionnel, le sommeil et autres symptômes (8). Une autre méta-analyse (9) montre l’absence de preuve d’intérêt significatif de la TCC sur les critères de douleur, fatigue, sommeil et qualité de vie.
Conclusion de Minerva
Cette RCT de qualité méthodologique limitée montre, chez des sujets souffrant de douleurs diffuses dans le cadre d’une fibromyalgie, l’intérêt de l’ajout d’une thérapie cognitive comportementale téléphonique, d’exercices ou des deux aux soins habituels en termes d’amélioration subjective de l’état de santé mais non pour d’autres critères dont les QALY, à 6 et 9 mois.
Pour la pratique
Une revue systématique des recommandations basées sur les preuves pour la prise en charge de la fibromyalgie (1) a identifié 3 guides de pratique, venant de l'American Pain Society (APS), de l’Association of the Scientific Medical Societies in Germany (AWMF) et de l’European League Against Rheumatism (EULAR). Les deux premières accordent le plus haut niveau de recommandation à l’exercice aérobique, au traitement cognitif comportemental, à l’amitriptyline et au traitement multidimensionnel tandis que la troisième accorde le plus haut niveau de preuves au traitement pharmacologique. La distinction entre niveaux de preuves et niveaux de recommandation n’est pas claire ; les discordances entre ces guides de pratique illustrent les différences de choix pour les inclusions d’étude, la pondération des résultats et dépendent fort probablement aussi des compositions de pannels d’experts.
La RCT analysée ici n’apporte pas d’élément valide pour remettre ces guides de pratique en question.
Références
- Häuser W, Thieme K, Turk DC. Guidelines on the management of fibromyalgia syndrome - a systematic review. Eur J Pain 2010;14:5-10.
- De Cort P. La pratique du fitness pour le traitement de la fibromyalgie. MinervaF 2003;2(6):100-1.
- Richards SCM, Scott DL. Prescribed exercise in people with fibromyalgia: parallel group randomised controlled trial. BMJ 2002;325:185-8.
- Lunn MP, Hughes RA, Wiffen PJ. Duloxetine for treating painful neuropathy or chronic pain. Cochrane Database Syst Rev 2009, Issue 4.
- Moore RA, Wiffen PJ, Derry S, McQuay HJ. Gabapentin for chronic neuropathic pain and fibromyalgia in adults. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 3.
- Moore RA, Straube S, Wiffen PJ, et al. Pregabalin for acute and chronic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2009, Issue 3.
- Busch AJ, Barber KA, Overend TJ, et al. Exercise for treating fibromyalgia syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 4.
- Glombiewski JA, Sawyer AT, Gutermann J, et al. Psychological treatments for fibromyalgia: a meta-analysis. Pain 2010;151:280-95.
- Bernardy K, Füber N, Köllner V, Haüser W. Efficacy of cognitive-behavioral therapies in fibromyalgia syndrome: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. J Rheumatol 2010;37:1991-2005.
Ajoutez un commentaire
Commentaires