Revue d'Evidence-Based Medicine



La pata-analyse



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 1 Page 1 - 1

Professions de santé


 

 

Au début du siècle dernier, en 1911, sous la plume d'Alfred Jarry, le père d'Ubu, le Docteur Faustroll mettait au point la pataphysique (1). La pataphysique est « la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité ». Elle était issue de la réflexion suivante : « La science actuelle se fonde sur le principe de l’induction : la plupart des hommes ont vu le plus souvent tel phénomène précéder ou suivre tel autre, et en concluent qu’il en sera toujours ainsi. D’abord ceci n’est exact que le plus souvent, dépend d’un point de vue, et est codifié selon la commodité, et encore ! Au lieu d’énoncer la loi de la chute des corps vers un centre, que ne préfère-t-on celle de l’ascension du vide vers une périphérie, le vide étant pris pour unité de non-densité, hypothèse beaucoup moins arbitraire que le choix de l’unité concrète de densité positive eau ? »

Méta comme après

En 1976, Glass introduisait le terme de méta-analyse (2), technique développée initialement dans le domaine des sciences sociales et de l'éducation. A partir des années 1980, cette technique fut également employée dans le domaine médical (en cardiovasculaire, oncologie, soins périnataux en premier lieu) (3). En 1990 était créée la Cochrane Collaboration qui allait progressivement bien codifier la méthodologie des synthèses méthodiques nécessaires à la réalisation d’une méta-analyse. Depuis 1991, le nombre de synthèses méthodiques (avec ou sans méta-analyse) de la Cochrane Collaboration n’a cessé de croître : à ce jour (novembre 2011), 4 600 synthèses méthodiques réalisées avec la méthodologie Cochrane sont disponibles dans leur bibliothèque et quelques milliers d’autres synthèses validées sont référencées et résumées. Le but d’une méta-analyse est de faire la somme des connaissances dans un domaine précis, de baser les décisions médicales, en particulier les choix thérapeutiques, sur une synthèse des meilleures preuves disponibles. Une méta-analyse est basée sur quelques grands principes (4) :

  • analyse portant sur toute l’information disponible obtenue par une recherche exhaustive de toutes les études dans le domaine précis, pour être le plus objectif possible
  • réalisation suivant une méthode, basée sur un protocole strict établi a priori, pour éviter l’arbitraire de choix influencés par les résultats
  • utilisation de techniques statistiques propres afin de prendre en compte la nature probabiliste des résultats des différentes études.

Nous avons plusieurs fois déjà dans Minerva, souligné des aspects méthodologiques propres aux méta-analyses, notamment la nécessité qu’elles reposent sur une synthèse méthodique, exhaustive et rigoureuse de la littérature (5-8).

La méta-analyse est devenue progressivement, le type de publication pouvant apporter le meilleur niveau de preuve, pour autant bien sûr que sa méthodologie soit correcte mais aussi que les études sur lesquelles elle repose soient valides. Une méta-analyse valide reposant sur des RCTs de grande taille et elles-mêmes valides est ainsi un « must » mais il en est d’autres…

Pata comme patatras

En 2009, nous avons publié dans la revue Minerva (9), l’analyse d’une synthèse méthodique de la Cochrane concernant les soins de bouche en cas d’halitose (10). Les auteurs de cette publication concluaient à l’intérêt de certains produits mais, au vu de la faiblesse des preuves apportées, notre jugement était beaucoup plus sévère : synthèse n’isolant que des petites études sans homogénéité clinique entre elles et ne permettant aucune conclusion fiable.

Deux synthèses méthodiques plus récentes de la Cochrane Collaboration montrent encore plus l’attitude critique rigoureuse à garder face à toute méta-analyse. Spurlinck et coll. (11) mettent à jour une précédente synthèse méthodique évaluant l’intérêt de l’administration d’un antibiotique en cas de bronchiolite. La méthodologie de recherche et d’analyse est rigoureuse dans cette synthèse. Elle ne trouve que de (très) petites RCTs, avec des résultats très peu ou pas probants en faveur des antibiotiques. Les auteurs concluent cependant à des preuves minimes de l’intérêt d’administrer des antibiotiques en cas de bronchiolite. Cette conclusion nous semble incorrecte (12). Becker et coll. (13) mettent à jour une précédente synthèse méthodique évaluant l’intérêt d’administrer des bêta 2-mimétiques en cas de bronchite aiguë, sur le score de toux, différentes caractéristiques de la toux, le retentissement sur l’incapacité de travail. Les différentes études trouvées, datant toutes du siècle dernier, ne sont guère en faveur de ce traitement. Les auteurs de cette synthèse concluent à de faibles preuves de l’intérêt d’une administration courante de bêta 2 mimétiques chez des adultes présentant une toux aiguë. A nouveau, cette conclusion qui repose sur une analyse d’un sous-groupe (35 personnes), ne nous semble pas acceptable (14). Nous sommes dans ces derniers exemples, plus proches d’une pata-analyse que d’une méta-analyse.

 

Conclusion

Si la technique de la méta-analyse peut être précieuse pour mieux orienter nos choix thérapeutiques dans un domaine où la littérature est abondante et parfois non concordante, des méta-analyses ne reposant que sur de (très) petites études, de validité posant question, ne peuvent guère nous aider à mieux soigner nos patients. Pour les autres méta-analyses, de bonne facture méthodologique et reposant sur de nombreuses RCTs valides, l’interprétation restera quand même prudente, notamment pour l’ampleur d’effet rapportée (15).

 

Références

  1. Alfred Jarry. Gestes et opinions du Docteur Faustroll, pataphysicien. Roman néo-scientifique. Paris. Bibliothèque Charpentier, Eugène Fasquelle Editeur 1911.
  2. Glass GV. Primary, secondary and meta-analysis of research. Educational Research 1976;5:3-8.
  3. Egger M, Smith DG, Altman DG, editors. Systematic reviews in health care: meta-analysis in context. London: BMJ Publishing Group; 2001.
  4. Cucherat M. Méta-analyse des essais thérapeutiques. Editions Masson 1997, pp 390.
  5. Chevalier P, van Driel M, Vermeire E. Synthèse méthodique et méta-analyse : première approche. MinervaF 2007;6(3):33.
  6. Chevalier P, van Driel M, Vermeire E. Evaluation de la qualité méthodologique des méta-analyses. MinervaF 2008;7(1):16.
  7. Chevalier P. Concepts et outils en EBM: Lecture critique d’une méta-analyse
    MinervaF 2008;7(5):80.
  8. Chevalier P. Résultats différents de méta-analyses. MinervaF 2009;8(1):12.
  9. Chevalier P. Bains de bouche antiseptiques pour traiter l’halitose. MinervaF 2009;8(5):58-9.
  10. Fedorowicz Z, Aljufairi H, Nasser M, et al. Mouthrinses for the treatment of halitosis. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 4
  11. Spurling GK, Doust J, Del Mar CB, Eriksson L. Antibiotics for bronchiolitis in children. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 6.
  12. Chevalier P. Antibiotiques en cas de bronchiolite ? Minerva online 28/02/2012.
  13. Becker LA, Hom J, Villasis-Keever M, van der Wouden JC. Beta2-agonists for acute bronchitis. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 7.
  14. Chevalier P. Pas de bêta 2 mimétique pour une bronchite aiguë. MinervaF 2012;11(1):2-3.
  15. Chevalier P. Crédibilité et inflation de l’efficacité dans les méta-analyses. MinervaF 2012;11(1):12.
La pata-analyse

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
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